Jean-Pierre Delas et Bruno Milly, Histoire des pensées sociologiques.
Texte intégral
1Cette cinquième édition de l’Histoire des pensées sociologiques offre un large panorama des fondamentaux de la sociologie. La volonté des auteurs est ici réaffirmée d’en présenter une histoire vivante et de mettre ses divers courants, parfois concurrents, en relation les uns avec les autres de manière à brosser un portrait cohérent de l’ensemble des discours sur le social. Ce faisant, l’ouvrage offre un éclairage renouvelé sur les débats épistémologiques internes à la discipline, historiques et actuels. Ce travail est décliné en trois parties : un retour aux textes originaux, une histoire des moments fondateurs de la discipline, et enfin une présentation historicisée des grands courants théoriques.
2 Avant de s’intéresser à l’institutionnalisation de la sociologie comme discipline de la fin du XIXème siècle à la Seconde Guerre Mondiale, en Europe et aux États-Unis, l’ouvrage étudie la « naissance » de la sociologie, de l’Antiquité au Moyen-Âge jusqu’aux Lumières. Il s’agit de premiers questionnements sur la société sans vraiment être une démarche sociologique à proprement parler. C’est entre la fin du XIXème siècle et la seconde guerre mondiale que la discipline sera finalement institutionnalisée. Jean-Pierre Delas et Bruno Milly reviennent sur quatre berceaux de la sociologie : la Grande-Bretagne et L’Italie respectivement avec Spencer et Vilfredo Pareto ; la France avec l’hégémonisme durkheimien ; l’Allemagne et la querelle des méthodes ; les États-Unis avec l’École de Chicago.
3Si des personnalités telles qu’Auguste Comte, Alexis de Tocqueville, Karl Marx ont posé les bases du raisonnement sociologique, c’est avec Émile Durkheim que se pose la question de l’institutionnalisation de la discipline. En Europe la sociologie s’impose progressivement comme une discipline autonome au cours du XXème siècle, mais cette structuration connaît des singularités nationales. En France, elle est fortement liée au contexte socio-politique et est dominée par les thèses durkheimiennes. Émile Durkheim obtient une chaire de « pédagogie et science sociale » à Bordeaux, et se montre en faveur d’une socialisation forte capable de répandre une morale « républicaine et laïque » avec la participation de l’école publique. En 1913, il obtient une « chaire de sociologie » à la Sorbonne. Mais c’est surtout en fondant L’Année sociologique qu’il parvient à faire école. Cette revue publie principalement des contributions au savoir sociologique empirique, mais aussi des apports à caractère théorique et épistémologique, ainsi que des recherches en histoire des sciences sociales. En présentant ensuite les auteurs qui ont assuré la postérité de Durkheim, l’ouvrage rappelle sa centralité sans toutefois faire l’écueil d’en faire l’unique représentant de la sociologie française.
4 Sont aussi abordés les autres courants fondamentaux de la discipline. En Allemagne, le débat expliquer/comprendre formulé par Dilthey est une des clés de l’histoire de la pensée sociologique au XXème siècle : il fonde le clivage entre les positivistes et les défenseurs d’une compréhension empathique et subjectiviste. Enfin, aux États-Unis la sociologie se développe rapidement, sous l’impulsion d’un système universitaire jeune et décentralisé. L’ouvrage revient sur les mutations importantes que connaitront les États-Unis après la guerre de Sécession : élan social, explosion industrielle et urbaine, immigration… La sociologie américaine, notamment avec l’école de Chicago, s’intéresse alors à la problématique urbaine et l’étude des « vices ».
5Après un chapitre sur les « quatre fondateurs de la sociologie » (Tocqueville, Marx, Durkheim, Weber), Jean-Pierre Delas et Bruno Milly reviennent sur le déploiement des sociologies d’après-guerre. L’intérêt ici est de proposer une périodisation de la sociologie contemporaine dans les grands pays occidentaux, la pensée de certains auteurs qui ne peuvent être répertoriés dans les écoles précédemment citées. À partir des années 1940, la discipline se diversifie et s’autonomise, en France par exemple c’est « la fin du durkheimisme et la diversification des maîtres » : l’après-guerre est une période de reconstruction pour la discipline (jugée subversive par les dirigeants du régime de Vichy). Ainsi, sans renoncer totalement à l’héritage de Durkheim, la sociologie renouvelle ses domaines et ses méthodes de recherche. À partir des années 1960-1970, les sociétés industrielles se transforment, et avec elles les façons de penser le social. De nouveaux questionnements liés à la société « post-industrielle » et aux revendications « post- matérialistes » émergent. Les décennies 1980 et 1990 voient apparaître de nouveaux questionnements et de nouveaux objets d’études, parmi lesquels le genre et les études féministes. Au niveau épistémologique, c’est aussi un moment d’éclatement des paradigmes dominants et de dépassement de contradictions conceptuelles : en France, l’opposition holisme vs individualisme s’affaiblit avec la mise en avant des approches interactionnistes et individualistes d’une part, et la complexification des approches holistes d’autre part. Au début du XXIème siècle, la sociologie est institutionnalisée, enseignée à l’université depuis plus d’un siècle, son statut scientifique ne ferait donc plus débat. Cependant, l’éclatement de la discipline se poursuit, on observe une dualité entre l’enseignement des grands travaux fondateurs et le travail de terrain. Notons également, d’un point de vue épistémologique, le renouveau qui s’opère depuis quelques décennies grâce aux sciences cognitives et neurosciences. Grâce aux progrès de l’imagerie médicale, le débat objet sociologique/biologique semble dépassé.
6Les chapitres suivants sont consacrés chacun à un courant particulier en sociologie. Cela présente l’intérêt d’en appréhender les débats internes de manière fine et de rassembler des auteurs et des écoles qui semblent parfois relativement éloignés. L’ouvrage présente ainsi : les culturalismes ; les fonctionnalismes ; les structuralismes ; les individualismes méthodologiques, qui considèrent que l’individu est au cœur de l’explication du social, par opposition aux théories déterministes et holistes ; enfin, l’interactionnisme symbolique et l’ethnométhodologie qui analysent les significations des relations sociales pour les acteurs au niveau microsociologique. En guise de conclusion, le tout dernier chapitre propose un éclairage sur les relations entre la sociologie et d’autres disciplines (économie, anthropologie et psychologie) , parfois marquées par le conflit et la rivalité. L’intérêt de ce chapitre est d’apporter également un éclairage épistémologique sur les fondements scientifiques de la sociologie.
7Cet ouvrage très pédagogique présente de manière dynamique l’histoire de la pensée sociologique. Plus qu’un simple catalogue ou empilement de théories et d’auteurs, il propose une réelle mise en perspective épistémologique, scientifique et historique de chaque courant, analysé à la lumière de ses relations avec les autres courants et les autres disciplines.
Pour citer cet article
Référence électronique
Cassandre Le Saëc, « Jean-Pierre Delas et Bruno Milly, Histoire des pensées sociologiques. », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 26 octobre 2021, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/51994 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.51994
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