Laurence Badel, Diplomaties européennes. XIXe-XXIe siècle
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1Écrire une monographie sur les diplomaties européennes de l’époque contemporaine est un grand défi intellectuel et une vaste entreprise scientifique. Laurence Badel a réussi dans son dernier ouvrage à relever ce défi et présenter une synthèse du sujet, tout en n’omettant pas les nouvelles approches qui émergent dans le champ. Son livre est ainsi une synthèse dans le sens classique du terme, qui embrasse une vaste littérature en plusieurs langues en allant des auteurs canoniques jusqu’aux dernières parutions. Ce faisant, Laurence Badel montre le renouvellement constant des recherches sur les théories et pratiques des diplomaties au sens pluriel du mot. Par sa méthodologie polyvalente, ce livre comble une lacune dans la littérature du domaine, qui bénéficiait pourtant d’une production extraordinaire durant les dernières années.
2L’ouvrage est composé de cinq parties qui regroupent au total treize chapitres logiquement ordonnés et structurés. Il commence par la préface de l’ambassadeur Pierre Sellal, qui souligne l’originalité de cette « impressionnante encyclopédie historique de la diplomatie » (p. 5) et l’actualité du sujet. La première partie est ensuite consacrée aux définitions. Elle comprend une introduction théorique où l’auteure donne une présentation historique du terme diplomatie, avec ses différentes approches scientifiques, notamment les méthodes classiques, sociologiques et culturalistes. L’auteure cite longuement les théoriciens les plus caractéristiques de l’abondante littérature consacrée au sujet, dont elle nous donne une liste très complète dans la bibliographie qui se trouve à la fin de son ouvrage. Soulignons ici la perspective européenne et globale de Laurence Badel, qui nous présente non seulement les écoles novatrices françaises (avec des laboratoires axés sur l’histoire diplomatique comme le groupe de chercheurs des professeurs Lucien Bély et Georges-Henri Soutou ou le CRHIA de Nantes), mais aussi les principaux penseurs allemands (J. Paulmann et M. Schulz), ou encore anglo-saxons (à l’instar de J. Black, P. Kennedy et J. R. Kelley). Après avoir circonscrit les notions élémentaires de la diplomatie, l’auteure s’occupe d’une question substantielle : la diplomatie est-elle un art ou une science (un métier à apprendre) ? En expliquant la genèse du corps diplomatique, elle montre dans quelle mesure les anciennes traditions et structures diplomatiques survivent, et comment la professionnalisation s’enracine selon les pays et les aires culturels. Dans le chapitre 3, elle consacre une réflexion stimulante à la problématique « genre et diplomatie » en évoquant l’histoire de l’entrée progressive des femmes dans ces carrières. C’est une partie très bien réussie de la synthèse, non seulement par sa structure narrative bien élaborée et ses explications claires, mais aussi par les cas très intéressants que l’auteure nous présente à travers les carrières des premières ambassadrices, comme Alexandra Kollontaï ou Rózsa Bédy-Schwimmer.
3Dans la seconde partie, l’auteure s’occupe des acteurs de la diplomatie. Elle distingue alors deux structures : les diplomaties nationales, dont elle retrace l’histoire à partir des origines jusqu’à nos jours ; et les paradiplomaties, dont le rôle ne cesse de monter dans les périodes les plus récentes. En lisant cette partie, le lecteur peut apprécier les définitions claires et utiles que l’auteure lui fournit à mesure du développement du sujet. La construction successive des différents réseaux consulaires et diplomatiques nous montre comment ces structures évoluent vers des administrations étatiques progressivement encadrées par le droit international.
4Les diplomaties culturelles et économiques constituent le sujet principal de la partie suivante. Ici, Laurence Badel insiste longtemps sur les effets du développement des nouvelles technologie de l’information et de la communication (NTIC), ainsi que sur le rôle des médias dans la formation d’une opinion publique internationale au fil des deux derniers siècles – depuis la Révolution française jusqu’à nos jours. Ce faisant, en présentant les enjeux de notre période, elle souligne d’une part la restructuration des dispositifs nationaux, d’autre part l’impossibilité d’une diplomatie européenne – quoique la coopération des diplomaties économiques ait eut un certain succès au niveau européen après la seconde guerre mondiale, en dépit même des intérêts économiques nationaux, qui restaient des facteurs très forts. Dans la conclusion de cette partie, l’auteure admet ainsi que les diplomaties restent encore largement nationales et constituent un soft power non négligeable, tandis que les paradiplomaties inaugurent à l’échelle européenne une diplomatie commune, efficace grâce à la coopération des États membres de la Communauté économique européenne (CEE).
5La quatrième partie montre comment l’actuelle diplomatie européenne et ses institutions se sont développées à partir des structures nationales. On y retrouve les fondements intellectuels de la culture diplomatique européenne, avec ses racines gréco-romaines et judéo-chrétiennes, ainsi que la culture de la paix caractéristique de notre continent à partir de l’époque moderne, et les progrès juridiques contemporains qui donnèrent naissance à un droit international, européen et communautaire. L’auteure y explique clairement les négociations permanentes qui produisirent des hiérarchies complexes entre États et cultures et conduisirent à un espace européen diplomatique. Cette partie comporte toutefois beaucoup de questions laissées en suspens.
6La dernière partie est consacrée aux relations internationales entre Européens et non-Européens depuis au moins le XIXe siècle. On y souligne l’importance de la connaissance des civilisations étrangères – d’où l’importance d’un corps de traducteurs, interprètes et nombres d’autres experts et médiateurs. L’altérité joue un rôle très important sur différents niveaux, et qui s’accentue bien entendu lors des conflits internationaux, où il faut négocier avec les ennemis. Les approches sociologiques et culturalistes de la perception de l’Autre trouvent ici leur place aussi, en dépit de la bonne connaissance des traditions anthropologiques ou religieuses des pays concernés. La diplomatie devient alors plus un comportement qu’une institution. Et la problématique des conflits diplomatiques est plus particulièrement au cœur du chapitre 12, qui traite de la dichotomie entre diplomatie et violence, c’est-à-dire entre négociation et recours à l’ultima ratio des souverains anciens.
7Dans ce nouveau livre français sur les diplomaties européennes, Laurence Badel présente d’une manière claire et structurée les grands aspects de la construction diplomatique européenne contemporaine, tout en accordant une importance à ses origines plus anciennes. Son ouvrage est une approche transdisciplinaire d’un domaine où l’histoire, la sociologie, les études juridiques, l’anthropologie culturelle se mêlent et avec d’autres sciences humaines. Le grand avantage du livre réside dans le fait qu’il s’appuie sur une documentation originale et une bibliographie à la fois bien choisie et multilingue. L’auteure présente son objet dans un style scientifique qui n’en est pas moins facile à lire. In fine, nous pouvons ajouter que ce riche ouvrage de Laurence Badel constituera un manuel indispensable aux étudiants qui travaillent sur cette période de l’histoire européenne, ainsi qu’aux lecteurs recherchant des connaissances approfondies sur le fonctionnement des diplomaties dans le monde actuel.
References
Electronic reference
Ferenc Tóth, « Laurence Badel, Diplomaties européennes. XIXe-XXIe siècle », Lectures [Online], Reviews, Online since 24 October 2021, connection on 12 October 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/51874 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.51874
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