Cyrille P. Coutansais, La (re)localisation du monde
Texte intégral
1La crise de la Covid-19 a mis en lumière les problèmes liés à une économie trop fortement mondialisée, en particulier la question de la dépendance absolue de certains pays développés à économie de marché (PDEM) – comme la France – à l’égard de la Chine sur de nombreux produits (à l’instar notamment des masques qui devaient se révéler une ressource cruciale pour freiner la pandémie). Dès lors, la nécessité de relocaliser certaines industries dans les PDEM est apparue comme une priorité. S’il l’on n’en voit pas encore la traduction concrète, c’est un fait que la thématique de relocalisation industrielle a été (au moins un temps) au centre du débat public. Une des grandes forces de l’ouvrage de Cyrille P. Coutansais est de montrer que cette relocalisation industrielle est en fait déjà présente, puisqu’elle se serait principalement amorcée au lendemain de la crise de 2007-2008. Loin de l’époque des années 1990-2000, où la mondialisation paraissait irrésistible et la fragmentation de la chaîne de valeur toujours plus affinée par les firmes multinationales, une relocalisation de l’économie mondiale serait désormais en place depuis plus de dix ans. Un « monde localisé » émergerait au détriment du « monde globalisé ». Plus précisément, l’auteur considère que trois révolutions conjuguées permettent d’expliquer cette rupture.
2Tout d’abord, une « révolution industrielle » qui est en fait une révolution technologique : la robotique et le numérique sont désormais entrés dans les usines des PDEM, si bien que leur appareil productif se trouve en mesure de produire très vite et à un coût comparable à celui qui existe dans les pays émergents (à bas salaires). Dès lors, l’impatience des consommateurs peut être satisfaite tout en proposant des produits compétitifs. Par exemple, l’arrivée de la 5G doit permettre une synchronisation du cycle production-vente-livraison – Zara va selon l’auteur pouvoir lancer des productions quasiment en fonction des prévisions météorologiques. Car une fabrication en flux-tendus, à la demande, n’a d’intérêt économique que si la livraison aux magasins peut se réaliser très rapidement, ce qui suppose aussi une production locale.
3Ensuite, il faut tenir compte de la « révolution énergétique » : l’essor des énergies renouvelables dans le mix énergétique des économies des pays développés, ceci pour répondre aux impératifs du développement durable, conduit à multiplier les sources locales d’énergie, ce qui nécessite de produire localement pour les utiliser.
4Enfin, troisième révolution, celle de l’accès aux ressources : le recyclage des objets permet de trouver de plus en plus de « matières premières » à proximité, si bien que les firmes ont moins besoin de s’en procurer dans le reste du monde. De fait, l’économie circulaire prend de plus en plus d’importance, même si des gains potentiels existent encore, notamment si les industriels parviennent à penser le recyclage dès la conception des produits. L’auteur donne un exemple très significatif de cette écologie industrielle qui se développe actuellement avec l’utilisation partagée des palettes. Auparavant, l’enseigne Leroy Merlin rapatriait systématiquement les palettes de ses magasins vers ses plateformes logistiques ; aujourd’hui, elle les laisse à une autre enseigne (comme Carrefour), qui fait de même avec les magasins de bricolage, et ainsi de suite... Si bien que les palettes circulent moins, et leur transport pollue beaucoup moins.
- 1 Berger Suzanne, Made in monde. Les Nouvelles frontières de l’économie mondiale, Paris, Seuil, 2006.
5Ainsi, le « made in monde »1 tend progressivement à se modifier pour laisser apparaitre un « made in local » (qui est aussi un « made in régional ») satisfaisant le besoin d’immédiateté des consommateurs, au contraire des produits issus de « l’économie Lego », qui arrivent dans des containeurs transportés sur des bateaux particulièrement lents. Ceci permet donc de mieux répondre aux défis imposés par la finitude du monde : épuisement des ressources énergétiques et des ressources naturelles, réchauffement climatique… Cyrille P. Coutansais raconte ici cette mutation, celle d’une nouvelle ère qui serait en train de s’ouvrir sous nos yeux : celle du « made in local ». S’il n’est pas question de démondialisation dans cet ouvrage, force est de constater que les changements actuels – et plus encore ceux à venir – témoignent au moins d’un vif essoufflement de la mondialisation telle qu’on a pu la connaitre à partir des années 1990. On voit ainsi réapparaitre des frontières politiques, qu’elles soient nationales comme aux États-Unis, ou régionales dans l’Union européenne.
6Pour conclure, Cyrille P. Coutansais livre un ouvrage informé et précis, qui sait ne pas rester seulement théorique. Chacun des arguments déployés est illustré par des cas concrets d’entreprises. Au bout de sa démonstration, l’auteur s’interroge alors : qui seront les nouveaux maîtres de ce monde de moins en moins multinational et de plus en plus multilocal ? Sa réponse : les firmes qui parviendront à contrôler les ressources (naturelles, numériques…) et à maitriser les flux (en termes de transports, ou encore de distribution). Par conséquent, ce sont aussi les transformations profondes du capitalisme qui nous sont données à constater avec ce livre passionnant.
Notes
1 Berger Suzanne, Made in monde. Les Nouvelles frontières de l’économie mondiale, Paris, Seuil, 2006.
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Référence électronique
Éric Keslassy, « Cyrille P. Coutansais, La (re)localisation du monde », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 20 octobre 2021, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/51870 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.51870
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