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Bruno Valat, Judith Rainhorn (dir.), Protection sociale en Italie fin XIXe-XXe siècles

Mara Bisignano
Protection sociale en Italie fin XIXe-XXe siècles
Bruno Valat, Judith Rainhorn (dir.), « Protection sociale en Italie fin XIXe-XXe siècles », Revue d'Histoire de la protection sociale, n° 12, 2019, 227 p., Paris, Comité d'histoire de la Sécurité sociale, ISSN : 19699123.
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Texte intégral

1Ce numéro thématique de la Revue d’Histoire de la Protection Sociale propose au lecteur une immersion dans l’histoire tourmentée de la construction de l’État social italien. C’est à cet exercice à la fois complexe et stimulant que nous invitent les coordinateurs du dossier. À cette fin, Bruno Valat et Judith Rainhorn ont rassemblé quatre contributions qui livrent une lecture diachronique du processus d’édification d’un système de protection sociale en Italie. Ces textes, présentés selon un ordre chronologique permettant de mettre en perspective les analyses produites sur différents pans de la protection sociale, ont en commun de mettre en lumière les dynamiques sociales qui ont présidé au développement de l’État social.

2La force du dossier réside justement dans la capacité des coordinateurs et des auteurs à rendre compte finement des moteurs du changement social depuis l’unification du pays en 1861. C’est là un pari ambitieux, nécessitant d’appréhender les caractéristiques des contextes politiques, économiques et sociaux dans lesquels se produisent les évolutions historiques, mais aussi la spécificité des jeux d’acteurs, des formes de coopération et/ou d’opposition qui dépendent des représentations et des intérêts qu’ils portent ou défendent.

3L’introduction du numéro revient d’emblée sur ce qui fait l’originalité de l’expérience italienne en montrant le poids des caractéristiques institutionnelles (pluralité d’acteurs en concurrence), fonctionnelles (clientélisme) et financières (assiette des ressources étroites en raison d’un faible taux d’emploi et du travail informel) d’un système de protection sociale réputé pour longtemps peu efficace et suscitant de la défiance ou à défaut de la méfiance à l’égard des institutions sociales. Ce faisant, le lecteur est invité à appréhender l’État social italien comme un processus historique dont les continuités/discontinuités sociales et la reproduction/production des rapports sociaux peuvent se lire à l’aune des dynamiques du système social, de ses propriétés internes (unité nationale tardive, rôle prépondérant de l’église, configuration politique, etc.) comme de ses extériorités (conflits armés, industrialisation, urbanisation, etc.).

4Longtemps, la politique sociale relève du quasi-monopole de l’église. L’État montre une certaine frilosité à intervenir dans la sphère sociale. L’explication tient dans le refus de toute ingérence étatique de l’église catholique, de la bourgeoisie où les idées libérales font recette, et du mouvement ouvrier naissant. C’est par conséquent seulement dans le dernier quart du XIXème siècle que la question sociale entre dans l’agenda politique. Et c’est à cette époque que sont jetées les bases d’un système de protection sociale embryonnaire, à travers l’adoption de plusieurs mesures qui visent à réglementer le travail des enfants, à protéger les travailleurs contre les risques d’accidents du travail, ou encore à reconnaitre le rôle des sociétés de secours mutuel. Ce sont d’ailleurs les fonctions de ces caisses de secours mutuel qui font l’objet de la contribution de Robin Launay. À partir de l’exemple de la société ouvrière de Messine, l’auteur s’attache à comprendre la transformation progressive des formes de sociabilité ouvrières dans les milieux urbains du Sud de la péninsule, dans un contexte de développement de la législation sociale. Il montre en outre comment le mutualisme initialement pensé pour couvrir le risque de maladie – d’inaptitude au travail – s’est peu à peu mué en un organe de « soutien, de bienveillance mais aussi de contrôle social » (p. 24) venant concurrencer l’église. Ainsi, ces associations finissent par devenir un enjeu politique au moment de l’unité de l’Italie en se faisant les vecteurs de diffusion des valeurs démocratiques et de promotion de l’éducation ouvrière pour favoriser une conscientisation laïque des classes laborieuses. À cette période, l’État social en est à ses premiers balbutiements. La Première Guerre mondiale joue alors un rôle décisif dans l’édification du système de protection sociale à travers l’introduction des premières assurances obligatoires (invalidité, vieillesse, chômage).

5C’est justement sur cette période charnière (1916-1920) que porte la seconde contribution de ce numéro de la revue. À rebours des analyses institutionnalistes, Paolo Mattera s’interroge sur le rôle joué par les masses populaires dans la construction de l’assurance sociale. À partir de matériaux originaux (correspondances, annotations, remarques ou allusions disséminées dans les archives traditionnelles), il montre comment « la pression venant d’en-bas » (p. 39) a fini par peser dans les choix politiques. Dans une société italienne fortement morcelée par la pluralité des statuts socio-économiques et divisée territorialement et culturellement, l’auteur analyse finement la difficulté à créer des systèmes unitaires et uniformes. Il révèle le processus qui a fait « se rencontrer l’État et les masses populaires » (p. 46) et, par-delà, comment s’est construite l’idée que les institutions peuvent apporter une aide à des populations fragilisées. La Grande Guerre est présentée comme un fait historique de premier ordre qui permet l’intégration des « masses dans l’État » (p. 47), et un pas vers une évolution démocratique. L’article se conclut par une évocation des tentatives avortées de construction d’un système de protection sociale universaliste. Il faut en effet attendre 1978 pour voir la traduction en acte d’un tel projet.

6Ilaria Pavan retrace dans sa contribution le parcours (et les débats) qui conduisent à l’édification d’un Servizio Sanitario Nazionale (SSN) à vocation universaliste et financé par l’État. Le texte donne à voir l’importance de cette réforme qui fait de la santé un droit fondamental de l’individu. Pour comprendre la naissance du SSN, l’auteure interroge le rôle des acteurs et revient sur la manière dont est structurée la protection de la santé en Italie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Partant de la filiation avec le fascisme, le texte parcourt le processus d’extension de la protection de la santé à différentes catégories de travailleurs (travailleurs domestiques, apprentis, artisans, commerçants, etc.) selon une logique liée à l’emploi. L’accent est mis sur les écarts de traitement entre catégories professionnelles, mais aussi vis-à-vis des sans-emploi. Ce sont ces différences que vient corriger un SSN influencé par l’exemple du National Health Service britannique. L’auteure dévoile enfin les subtilités des jeux d’acteurs (syndicaux et politiques) – sous l’impulsion du mouvement ouvrier et des partis de gauche – qui après moult hésitations donneront corps à « l’un des exemples les plus intéressants de création d’une conscience moderne (humanitaire et scientifique, solidaire et socialiste) que l’Italie eût connu jusqu’alors » (p. 79).

7Après trente ans de croissance économique et d’élargissement des politiques de protection sociale, les années 1980 constituent une période de transition où le système italien commence à montrer les signes d’un changement de logique. C’est cette période que s’attache à travailler Gianni Silei. L’auteur reprend à son compte la dialectique de la crise et des difficultés de financement de la protection sociale (des branches retraite et santé notamment) pour relater les projets de réforme du système italien qui se sont succédés au gré des alternances politiques entre la démocratie chrétienne et le parti socialiste. En miroir, l’article montre comment la rhétorique de la crise a fini par imprégner des projets de réforme qui substituent les logiques de performance, d’efficacité et de sélectivité à celles de solidarité et d’égalité. Faute « d’un compromis qui satisfasse toutes les composantes politiques » (p. 98), c’est au début de la décennie suivante que s’opère le changement. La réforme des retraites est en ce point emblématique.

8La diversité des contributions – des objets comme des approches – fait la force et l’originalité de ce dossier qui nous renseigne sur une réalité peu ou mal connue, et pour laquelle le poids des représentations (clientélisme, différenciation territoriale, instabilité politiques, etc.) trahit plus qu’elle ne travestit la réalité historique. De ce point de vue, ce numéro de la RHPS est une belle réussite. Avec les coordinateurs, on regrettera toutefois l’absence d’une contribution sur la parenthèse du fascisme (1922-1943), dont on sait qu’elle a significativement marqué l’histoire du système de protection sociale, ne serait-ce qu’à travers la création des organismes d’assurance maladie. Mais on regrettera peut-être davantage encore l’absence de texte sur les changements profonds intervenus dans les années 1990. Dans un contexte marqué par le processus d’adhésion à l’Europe de Maastricht et la défiance à l’égard de la classe politique et des organes syndicaux confédéraux, il aurait été fort intéressant de questionner le rôle joué par les gouvernements techniques, comme d’ailleurs les jeux d’acteurs (politiques, économiques, syndicaux) auxquels ont donné lieu les pactes sociaux. Une telle contribution aurait été un apport important à la compréhension des changements qui ont affecté l’organisation et la conception du système de protection sociale italien.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mara Bisignano, « Bruno Valat, Judith Rainhorn (dir.), Protection sociale en Italie fin XIXe-XXe siècles », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 14 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/51764 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.51764

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Rédacteur

Mara Bisignano

Chercheuse en sociologie, IDHE.S (UMR 8533), Université Paris Nanterre.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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