Bruno Palier, Réformer les retraites
Texte intégral
1La réforme des retraites occupe une place centrale dans le débat politique mais aussi économique et social. En mêlant les approches historiques et comparatives, Bruno Palier mobilise un impressionnant corpus statistique et théorique pour éclairer les discussions sur ce sujet. L’ouvrage est articulé en six chapitres.
2Le chapitre 1 décrit le développement des retraites dans les pays occidentaux depuis leur naissance, dans la deuxième moitié du XIXe. L’auteur distingue quatre familles de systèmes de retraites. Dans les systèmes bismarckiens anciens, l’essentiel des prestations retraites versées relèvent de l’assurance-vieillesse. Celle-ci fonctionne par répartition et est financée par les cotisations sociales. Les prestations sont contributives c’est-à-dire qu’elles dépendent soit de l’ancien salaire, soit de la durée de cotisation et du montant des cotisations sociales versées au cours de la période d’activité. Dans les systèmes bismarckiens modernes, la majorité des prestations retraites est aussi versée par un mécanisme assuranciel financé par répartition. Cependant, le système d’assurance-vieillesse s’ajoute à un système beveridgien antérieur (financé par l’impôt) qui garantit une retraite minimale à tous les citoyens âgés. Le régime « multi-piliers » forme la troisième famille des systèmes de retraite. Dans ce cadre, le premier pilier beveridgien est complété par une assurance vieillesse obligatoire financée en capitalisation. Cette dernière peut être gérée au niveau de la branche, de l’entreprise voire de l’individu. Enfin, dans les systèmes résiduels anglo-saxons, le premier pilier beveridgien est complété par une assurance-vieillesse par capitalisation volontaire.
3Le chapitre 2 démontre, statistiques à l’appui, la réussite des retraites. Depuis le début des années 1990, dans les pays de l’OCDE, les retraités ont un niveau de vie équivalent à celui des actifs et sont peu exposés à la pauvreté. Cette réussite s’explique par les importantes ressources consacrées aux retraites : en moyenne, les pays de l’OCDE consacrent 12,7% de leur PIB aux dépenses publiques et privées de retraite.
4Le chapitre 3 explique le retournement opéré dans la gestion des systèmes de retraites à partir des années 1980. Au cours des Trente Glorieuses, les réformes des retraites avaient pour but d’améliorer le sort des retraités. Mais depuis les années 1980, ces réformes cherchent à faire des économies. Selon l’auteur, cette rupture ne découle pas seulement de l’évolution démographique mais aussi d’autres facteurs de nature économique et politique. La démographie pèse bien sûr sur les retraites : l’allongement de la durée de vie, l’arrivée à la retraite des baby-boomers et le ralentissement de la croissance démographique vont aboutir à une hausse du poids des dépenses de retraites dans le PIB jusqu’en 2040. Cependant, en Europe comme en France, les réformes menées depuis les années 1990 (et accélérées à partir de 2009) ont considérablement réduit le besoin de financement futur des régimes de retraite. En diminuant le niveau de vie des futurs retraités, les États ont ralenti la croissance des dépenses de retraite : au sein de l’Union Européenne, elles ne devraient augmenter que de 0,4 point de PIB d’ici 2040. Malgré l’amélioration de la situation comptable, la baisse des dépenses de retraite demeure à l’ordre du jour. Pour comprendre ce paradoxe, Bruno Palier insiste sur le rôle de l’intégration européenne. Jusque dans les années 1970, les pays européens augmentaient régulièrement les cotisations sociales pour équilibrer leurs système de retraite. Cependant, l’appartenance au marché unique complique l’usage de ce levier car le coût du travail est déterminant dans la compétition économique. Comme toute hausse des ressources est exclue, seule une baisse des dépenses peut assurer l’équilibre des systèmes de retraite. En outre, la surveillance budgétaire appliquée aux membres de la zone euro incite de nombreux gouvernements à réformer les retraites pour limiter leurs déficits et ralentir la progression des dépenses sociales.
5Dans le chapitre 4, Bruno Palier montre que les institutions internationales influencent les réformes des retraites. Pour ces institutions, ces réformes doivent réduire les dépenses de retraite. Dans un rapport de 1994, la Banque mondiale a proposé une réforme particulièrement ambitieuse : le système par répartition financerait uniquement un revenu minimum garanti aux retraités alors que la fonction de remplacement du revenu d’activité serait assurée par des mécanismes de capitalisation. Si cette proposition n’a jamais été appliquée en l’état, elle a promu un système à trois piliers qui influence la conception des réformes des retraites, notamment en Europe. Dans le système promu, le premier pilier, financé par les impôts ou les cotisations sociales, opère une redistribution pour garantir un revenu minimum aux retraités afin d’éviter la pauvreté des personnes âgées. Le deuxième pilier doit assurer le maintien du niveau de revenu par rapport à la période d’activité. Ce deuxième pilier fonctionne selon le principe actuariel : le montant de la retraite est strictement dépendant du montant cotisé par chacun au cours de sa période d’activité. Enfin, à ces deux premiers piliers financés par répartition doit s’ajouter le troisième pilier qui prend la forme d’un complément de retraite financé par capitalisation.
6Dans le chapitre 5, Bruno Palier détaille les réformes des systèmes de retraite européens depuis les années 1990. Grâce à la typologie établie au chapitre 1, l’auteur montre que la nature des réformes dépend largement du type de régime de retraite préexistant dans chaque pays. Au-delà des différences nationales, plusieurs tendances communes se dégagent des réformes des retraites menées en Europe. Tout d’abord, on assiste à une diffusion du modèle multipiliers promu par les institutions internationales. Ensuite, le deuxième pilier des systèmes de retraite (celui qui doit assurer le maintien du niveau de revenu à la retraite) évolue d’une logique de prestations définies (le montant de la pension de retraite est calculé en référence à un taux de remplacement appliqué à un salaire de référence) vers une logique de cotisations définies (le montant de la pension n’est pas garanti et dépend de la situation démographique et économique). Troisièmement, toutes les réformes aboutissent à une baisse progressive du taux de remplacement des retraites publiques du deuxième pilier : la modification des règles d’indexation des retraites (elles sont revalorisées en fonction du taux d’inflation et non plus du taux de croissance du salaire moyen), l’augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir des droits à la retraite et l’actuarisation des retraites (le montant de la pension reçu dépend de plus en plus fortement du montant cotisé au cours de la vie professionnelle) expliquent cette baisse. Cette évolution donne naissance à la quatrième tendance : le développement de la capitalisation. Celle-ci est vue par les gouvernements comme le seul moyen de compenser l’inévitable baisse des pensions publiques. Cependant, dans les faits, la possibilité d’épargner pour sa retraite n’est pas ouverte à tous. Seuls les salariés les plus aisés ou bénéficiant de systèmes par capitalisation abondés par leurs employeurs peuvent compter sur le troisième pilier pour compléter leur retraite. Ces inégalités ont conduit au retour de la pauvreté parmi les personnes âgées. Pour répondre à ce défi, de nombreux gouvernements ont décidé d’augmenter le niveau de la retraite minimale (premier pilier) sans revenir sur la baisse du taux de remplacement des retraites publiques du deuxième pilier.
- 1 L’intensification et de la dégradation des conditions sont bien documentées (voir Christian Baudelo (...)
7Enfin, Bruno Palier consacre son dernier chapitre aux réformes des retraite en France. À partir de l’apparition des premières inquiétudes sur le financement des retraites dans les années 1980, l’auteur détaille les différentes réformes et tentatives de réforme. En outre, il résume minutieusement les rapports et prises de positions publiques des principaux acteurs des débats. Il explique aussi les effets des changements de législation sur la situation du régime de retraites et celle des retraités. Les réformes qui se sont succédées depuis 1993 ont contenu la hausse prévisible du poids des dépenses de retraite dans le PIB au prix d’une dégradation progressive du taux de remplacement des pensions. Pour compenser la hausse de l’espérance de vie, toutes les réformes ont fait augmenter la durée de cotisation (à l’exception de celle de 2010 qui a agi sur l’âge légal de la retraite). Cependant, cette volonté d’augmenter la durée du travail se heurte à deux obstacles. Le premier tient aux comportements des entreprises : celles-ci ont tendance à se séparer de leurs travailleurs âgés dès qu’elles le peuvent. De plus les salariés français souhaitent partir à la retraite le plus tôt possible, ce qui constitue le deuxième obstacle à l’allongement de la durée des carrières. En effet, les entreprises se sont engagées dans une « course au rendement »1 (p. 146) qui est source de fatigue et de stress pour les salariés. Selon Bruno Palier, l’État et les partenaires sociaux ne se préoccupent pas suffisamment de ces deux obstacles majeurs à l’allongement de la durée des carrières. Ainsi, les débats sur l’allongement de la durée du travail semblent « surtout avoir tourné autour de la façon d’organiser un départ précoce pour certains, alors que l’enjeu est plutôt de chercher à améliorer les conditions de travail et la formation pour tous, afin que tous puissent et souhaitent rester au travail plus longtemps » (p. 144).
8En résumé, Bruno Palier propose un livre remarquable sur les systèmes de retraite et leurs évolutions. À sa lecture, le non-spécialiste prendra connaissance des grandes problématiques liées aux réformes des retraites. De son côté, le lecteur plus informé bénéficiera de l’impressionnant travail de synthèse historique et statistique de l’auteur.
Notes
1 L’intensification et de la dégradation des conditions sont bien documentées (voir Christian Baudelot et Michel Gollac, Travailler pour être heureux ?, Paris, Fayard, 2003, et Philippe Askénazy, Les désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, Paris, Le Seuil, 2004.
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Référence électronique
Edouard Couëtoux, « Bruno Palier, Réformer les retraites », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 septembre 2021, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/50940 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.50940
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