Isabelle Danic, Magali Hardouin, Régis Keerle, Pascal Plantard, Olivier David (dir.), Adolescentes et adolescents des villes et des champs. La dimension spatiale des inégalités éducatives
Texte intégral
- 1 Ineduc (Inégalités éducatives et construction des parcours des 11-15 ans dans leurs espaces de vie) (...)
1Cet ouvrage collectif a pour objet de recherche l’analyse de la dimension spatiale des inégalités éducatives. Il présente une partie des résultats de la recherche menée sur les inégalités éducatives, liées aux différences des espaces de vie des adolescents en France, dans le cadre du programme Ineduc1. L’objectif est ainsi d’analyser l’influence plus ou moins grande des espaces de vie (caractérisés par le lieu d’habitation, le lieu d’implantation du collège, le milieu dans lequel évolue l’adolescent) sur l’accès aux ressources éducatives. De nombreux travaux sociologiques existent déjà sur l’explication des inégalités scolaires entre enfants et adolescents, mais peu traitent des inégalités éducatives dans un sens plus large, et encore moins en lien avec la question spatiale. Le programme Ineduc s’intéresse à des dimensions qui vont au-delà du domaine purement scolaire et explore différentes facettes de l’éducation, telles que les activités extra scolaires, les mobilités touristiques ou encore les activités numériques. Les contributions soulignent ainsi qu’il existe une multitude de paramètres « qui mêlent à la fois les caractéristiques propres à l’individu et à sa famille, ainsi que son mode de vie et le milieu dans lequel il évolue » (p. 11) pour étudier toute la complexité des inégalités éducatives.
2Avant de présenter les principales conclusions des différentes recherches, il est nécessaire de préciser le protocole d’enquête et les matériaux mobilisés par l’équipe de chercheurs. Le programme Ineduc repose sur une enquête quantitative et qualitative menée dans trois régions : l’Aquitaine, la Bretagne et la Basse-Normandie. Le choix de ces trois régions a permis aux chercheurs d’analyser et de comparer des territoires relativement diversifiés sur le plan sociodémographique, sur le plan scolaire et sur le plan politique. L’analyse quantitative consiste en l’étude de données collectées par questionnaires passés dans 36 collèges, auprès d’adolescents de 14-15 ans. Ces 36 collèges ont été sélectionnés selon trois critères : le type de milieu dans lequel est localisé l’établissement (rural, périurbain, urbain), le secteur de l’établissement (privé ou public) et la composition sociale de l’établissements (population favorisée, mixte, défavorisée, au regard des moyennes académiques). Dans chacune des trois régions, quatre collèges ont été sélectionnés en milieu rural, quatre en milieu périurbain, et quatre en milieu urbain. La passation des questionnaires s’est déroulée auprès des élèves de quatrième de ces 36 collèges (N=3356). Un autre questionnaire a été soumis aux familles des adolescents (N=1043). Ces deux questionnaires portaient sur les pratiques culturelles, sportives et scolaires des adolescents, leur temps passé devant les écrans, leur sociabilité avec les pairs, leur rapport à l’école, etc. Une enquête qualitative, organisée en monographies de sites, complète l’enquête quantitative. Elle est centrée sur trois sites dans chacune des trois régions retenues, soit neuf sites au total, pour qualifier les contextes de vie des adolescents, leurs pratiques scolaires et leurs loisirs. Le choix des sites s’est effectué en fonction du zonage délimité par l’Insee en 2010, soit un site sélectionné en zone rurale, un site sélectionné en zone périurbaine et enfin un site sélectionné en zone urbaine, dans chacune des trois régions. La conjugaison de méthodes qualitatives et quantitatives permet d’obtenir un matériau dense de données exploitées dans l’ensemble des contributions.
3Deux des cinq contributions interrogent l’influence de l’action publique sur les inégalités éducatives en fonction des contextes spatiaux. La contribution de Régis Keerle étudie précisément les effets de l’espace à partir des distances les familles vis-à-vis des équipements, mais aussi les effets des politiques publiques. L’auteur s’appuie principalement sur les enquêtes de terrain rapportées dans les monographies. Patrick Lecaplain analyse, à l’aide d’entretiens menés avec les élus et les professionnels, les différences de mise en œuvre du Programme national de réussite éducative (PNRE) dans les territoires sélectionnés. La dimension géographique est essentielle dans la compréhension de ces différences mais les variables relatives aux partenariats locaux, à la culture politique et institutionnelle et aux dynamiques propres aux élus et aux professionnels doivent également être prises en considération. Les distances géographiques aux différents services d’aide dans des territoires urbains, périurbains et ruraux expliquent des inégalités de traitement des adolescents en difficulté scolaire, mais l’auteur met aussi en évidence les logiques proprement politiques et professionnelles. Les deux contributions montrent ainsi que l’action publique ne compense que rarement l’écart d’accès aux ressources éducatives selon le type de territoire.
4La dimension matérielle de l’espace désigne l’offre des équipements et des services éducatifs présents sur un territoire ainsi que les réseaux et services de mobilité qui en permettent l’accès. Cette dimension matérielle est essentielle pour comprendre les inégalités éducatives ; elle est traitée dans les cinq contributions. Celle de Isabelle Danic, Barbara Fontar et Agnès Grimault-Leprince s’intéresse aux différenciations des pratiques de loisirs des adolescents. Les auteurs soulignent que la variable liée à la distance plus ou moins grande aux divers équipements éducatifs est importante pour comprendre les différences de pratiques des adolescents. Ainsi, les adolescents de milieu urbain ont une plus forte probabilité d’être très « cultivés » ou encore « conviviaux » (avoir un réseau de sociabilité très fort) par rapport aux enfants de milieu rural, en raison d’une offre d’activités et d’équipements culturels beaucoup plus importante. Cependant, d’autres variables sont à prendre en compte : les représentations que les adolescents se font de ces équipements, le capital culturel, social et économique des familles , le rapport des familles à la mobilité. Les inégalités territoriales se combinent ainsi souvent avec les inégalités sociales, économiques et culturelles, produisant des effets de compensation ou d’amplification. La variable sociale reste très discriminante : les adolescents provenant de milieu social favorisé sont le plus souvent encouragés à apprécier l’offre culturelle, sportive et conviviale, largement présente en territoire urbain. L’originalité de cette contribution réside dans le croisement de différentes variables qui permet de considérer toute la complexité des comportements de loisirs des adolescents dans leur espace de vie.
5Agnès Grimault-Leprince, Pascal Plantard et Rozenn Rouillard étudient, à l’aide d’analyses statistiques bi-variées et multivariées, les liens entre la réussite scolaire et les usages du numérique. Ils décomposent les usages différents que les adolescents peuvent faire d’internet et cherchent à repérer ceux qui apparaissent liés favorablement ou défavorablement à la réussite scolaire. Ils mettent également en évidence les relations entre les expériences subjectives de la scolarité des adolescents (amour de l’école plus ou moins fort) et leur usages différenciés du numérique. Les régulations parentales de ces usages et le degré d’équipement des chambres des adolescents sont également pris en considération. Les résultats de cette recherche soulignent l’émergence d’un élève dit tacticien, qui sait ainsi utiliser habilement internet afin de servir son travail scolaire. Cependant, les élèves provenant de milieu social défavorisé ne réussissent pas aussi bien à exploiter internet dans une perspective d’amélioration de leurs résultats scolaires. Ces adolescents sont également plus sensibles à un usage intensif de SMS ou encore des réseaux sociaux. Enfin, les chercheurs ont également identifié des élèves dits « à la marge », éloignés de la culture d’internet et de la télévision, mais aussi de la culture scolaire. Ainsi, les auteurs déconstruisent, à l’aide d’analyses quantitatives, l’idée largement répandue d’un lien négatif entre un usage intensif d’internet et des résultats scolaires moyens voire médiocres.
6Enfin, la contribution de Christophe Guibert interroge les liens entre les mobilités touristiques des adolescents et leurs pratiques culturelles plus ou moins légitimes. Une des principales conclusions de l’auteur est l’impact avéré du lieu d’habitation et de scolarisation sur les mobilités touristiques : les adolescents qui vivent et qui sont scolarisés en ville ont plus de chance de réaliser des voyages scolaires à l’étranger que les adolescents scolarisés en milieu rural (les voyages scolaires en France sont plus pratiqués en valeur relative dans les collèges ruraux). Étant donné que les catégories sociales les plus dotées en ressources économiques, sociales et culturelles sont les plus représentées en milieu urbain, l’institution scolaire ne compense donc pas les inégalités éducatives en matière de mobilité, même si, à l’échelle de chaque collège, des corrections peuvent être apportées aux effets de détermination sociale.
7Cet ouvrage collectif propose des conclusions originales et assez peu étudiées dans la littérature. Trois grands axes émergent de l’ensemble de ces contributions : l’importance de la dimension matérielle de l’espace (c’est-à-dire l’offre de structures et d’équipements éducatifs sur un territoire), l’influence de l’action publique et enfin l’individualisation des parcours des adolescents (l’importance du type de territoire ne rend pas caduque l’étude des parcours individuels de construction identitaire). Tout en prenant en considération ces trois dimensions, les auteurs n’occultent cependant pas les dimensions sociales, culturelles et économiques des familles, afin de saisir toute la complexité de la dimension spatiale des inégalités éducatives.
Notes
1 Ineduc (Inégalités éducatives et construction des parcours des 11-15 ans dans leurs espaces de vie) est un programme de recherche de sciences humaines et sociales, financé par l’Agence nationale de recherche. Ce projet a été piloté par Olivier David qui a associé une quinzaine de chercheurs : des géographes, des sociologues, des spécialistes des sciences de l’éducation et des sciences de l’information et de la communication, venant de plusieurs laboratoires.
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Référence électronique
Caroline Clair, « Isabelle Danic, Magali Hardouin, Régis Keerle, Pascal Plantard, Olivier David (dir.), Adolescentes et adolescents des villes et des champs. La dimension spatiale des inégalités éducatives », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 août 2021, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/50764 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.50764
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