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Cédric Calvignac, Roland Canu, Franck Cochoy, L’ordinaire des mobilités douces. Un siècle de logistique piétonne et cycliste à Toulouse

Pierre-Louis Ballot
L'ordinaire des mobilités douces
Cédric Calvignac, Roland Canu, Franck Cochoy, L'ordinaire des mobilités douces. Un siècle de logistique piétonne et cycliste à Toulouse, Toulouse, Presses universitaires du Midi, coll. « Socio-logiques », 2021, 191 p., ISBN : 978-2-8107-0724-9.
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Texte intégral

  • 1 Ces approches font référence à des programmes de recherche mais aussi à des opérations d’aménagemen (...)
  • 2 Ce projet a rassemblé des chercheurs de l’Université de Göteborg (Suède), de l’université Toulouse  (...)
  • 3 Le choix de la ville de Toulouse est lié au fait que ce sont des chercheurs de l’université Toulous (...)

1Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des travaux menés depuis une dizaine d’années en sciences sociales sur les processus de transition vers des modes de transports doux comme le vélo, guidés entre autres par la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, la problématique qu’il développe s’éloigne des approches1 qui portent habituellement sur les transformations des infrastructures publiques et des modes de transport comme leviers de développement des mobilités douces. Cédric Calvignac, Roland Canu et Franck Cochoy se demandent ainsi si l’amélioration de la logistique quotidienne des piétons et des cyclistes pourrait faciliter la transition vers une mobilité durable. Pour répondre à cette question, l’ouvrage présente une synthèse des résultats du projet « Consumer Logistics » (2009-2012)2 et s’appuie sur l’exemple de la ville de Toulouse3. Dans l’introduction, les auteurs précisent et justifient l’approche adoptée dans cette recherche. Leur intérêt se porte sur les piétons et les cyclistes et sur les interactions qu’ils entretiennent avec leur « environnement matériel et social » (p. 12), qui influerait sur leur logistique quotidienne. Selon les auteurs, les charges que transportent les personnes (par exemple, un sac de courses) auraient un impact sur les moyens de transport qu’elles choisissent. Aussi, l’objectif n’est pas d’analyser le comportement des piétons et des cyclistes de manière isolée, mais bien les « clusters » (p. 13) qu’ils constituent, définis comme « l’assemblage composite d’une personne, des choses qui la portent (par exemple un vélo) et qu’elle transporte (des sacs, un téléphone, ou toute autre charge) » (p. 14). Ainsi, les auteurs postulent que les pouvoirs publics devraient davantage prendre en compte cet « ordinaire sociotechnique des mobilités douces » (p. 12-13) dans les politiques de mobilité durable qu’ils mettent en place.

  • 4 Bourdieu Pierre, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps modernes, n° 318, 1973, p. 1292-130 (...)

2Quatre parties structurent ensuite l’ouvrage. La première est consacrée à une présentation de la méthode mobilisée dans le cadre de cette recherche : l’observation quantitative. Jusqu’ici peu utilisée en sciences sociales, cette méthode consiste à observer un large éventail d’indicateurs visuels et à les dénombrer sur un temps donné, pour rendre compte de leur récurrence. Les auteurs justifient le choix de cette méthode d’enquête par deux raisons principales : outre les écueils méthodologiques (déjà soulevés par Pierre Bourdieu4) que comporte la méthode de l’entretien, le risque est qu’au cours des entretiens, les personnes n’opèrent pas de retour réflexif sur leurs comportements (dont elles n’auraient pas forcément conscience) et que leurs interactions avec leur environnement matériel et social ne soient donc pas évoquées. De ce fait, seules les observations permettraient d’appréhender la diversité et la pluralité des pratiques sociales qui se jouent au cours des déplacements. Les auteurs décrivent ensuite le protocole méthodologique mis en place dans leur recherche. Souhaitant rendre compte de l’évolution des déplacements des citadins sur un siècle (de 1900 à 2011, précisément), ils ont d’abord réalisé une analyse détaillée de matériaux photographiques datant du début du XXe siècle, de l’entre-deux-guerres, des années 1950-1970 et de l’année 2011. Puis, l’observation des déplacements « actuels » (année 2011) s’appuie sur des vidéos assistées des déplacements des piétons et sur l’enregistrement du trafic cycliste observable depuis une station de vélos de location. Trois lieux, considérés comme des « lieux-clés du centre-ville » de Toulouse (p. 35), ont été retenus dans le cadre de ce travail : la rue d’Alsace-Lorraine, la place du Capitole et le carrefour Lafayette.

  • 5 Selon le sociologue Erving Goffman, une unité véhiculaire peut être définie comme « une coque d’un (...)

3La deuxième partie retrace l’histoire logistique des mobilités urbaines à Toulouse du début du XXe siècle à 2011. L’analyse d’un corpus photographique conséquent permet d’identifier quelques grandes évolutions. Elles concernent notamment le centre-ville de Toulouse qui, tout au long du XXe siècle, a été aménagé dans le but de « mieux délimiter les aires de déplacement occupées par les différentes unités véhiculaires5 de la ville » (p. 165). Mais l’une des principales évolutions porte sur les piétons qui, en un siècle, sont apparus de plus en plus équipés, si bien que « la figure du piéton renvoie désormais autant à l’individu qui se déplace à pied qu’à celui qui se déplace à pied et chargé » (p. 73). Les auteurs soulèvent pourtant un paradoxe : si la charge moyenne des piétons a triplé en un siècle (de 0,29 à 0,92 pièce par personne), leurs mains ne sont pourtant pas plus mobilisées (la « part des mains libres au sein de la population » étant comprise entre 75% et 79%, p. 69). Les piétons ont en effet opéré un « déplacement des moyens techniques et physiques » (p. 69) pour transporter des charges ; si, avant la première guerre mondiale, ce sont principalement les mains et les bras qui étaient mobilisés, en 2011, c’est surtout sur le buste que sont placés les sacs et les objets transportés. L’étude de ces charges transportées sur le buste montre qu’il s’agit surtout de sacs personnels et, très rarement, de sacs distribués dans les magasins (qui, eux, sont surtout portés à la main). Pour les auteurs, ce constat signifie que les « technologies de consommation durables » (p. 72) ne sont pas encore suffisamment développées, et c’est alors aux personnes de trouver elles-mêmes des astuces pour transporter plusieurs charges. Face au fait que la part des modes de transport doux qui reste encore relativement faible à Toulouse, les auteurs estiment que des solutions capables de tenir compte des enjeux liés à la logistique piétonne devraient être proposées aux acteurs de la ville.

  • 6 Selon le géographe Pierre Ageron, l’intermodularité désigne en géographie des transports « l’aptitu (...)

4La troisième partie se concentre sur les mobilités douces au XXIe siècle à Toulouse. Dans la continuité de la partie précédente, plusieurs constats sont dressés. Ils portent d’abord sur la socialité et l’aisance corporelle des piétons et des cyclistes qui son affectées par le nombre de charges transportées. Les auteurs considèrent ensuite aux modes de transport doux susceptibles d’être empruntés par les personnes, notamment dans le cadre de déplacements liés aux loisirs, où les charges transportées sont généralement plus nombreuses. Leur intérêt se porte en particulier sur les vélos en libre service, qui constituent une solution prometteuse pour tendre vers une mobilité durable. Il apparaît toutefois que ces vélos ne sont pas suffisamment équipés pour permettre aux personnes de transporter plusieurs objets à la fois (comme par exemple des sacs personnels et des sacs de courses), le panier situé à l’avant offrant un espace insuffisant. De fait, les auteurs estiment que les sacs et objets transportés peuvent constituer un obstacle à l’adoption de modes de transport doux ; même les tramways qui ne permettent pas d’entreposer facilement les charges transportées lors d’un trajet, d’où la nécessité de jouer sur l’intermodularité6 pour favoriser leur emprunt.

  • 7 Institut national de la propriété industrielle.

5En s’appuyant sur les résultats présentés dans les deuxième et troisième parties, la quatrième et dernière partie revient sur une série d’innovations techniques destinées à favoriser l’adoption de modes de transports doux. Ces propositions sont le fruit d’un travail mené par des d’élèves designers de l’Institut supérieur des arts de Toulouse (Isdat) et renvoient également à des inventions ayant fait l’objet d’un dépôt de brevets auprès de l’INPI7. Si les auteurs soulignent la pertinence et les apports de ces innovations, ils proposent également pour chacune d’elles des ajustements destinés à améliorer leur fonctionnalité. Les innovations présentées ont pour objectif de répondre à trois enjeux : améliorer le confort du déplacement pédestre et cycliste lors du transport de charges lourdes (par exemple, un vélo-remorque favoriserait le transport de charges), faciliter la continuité dans le transport de charges en situation de transition intermodale (les sacs de courses dans les transports en commun pourraient par exemple être accrochés à des rambardes), et favoriser une plasticité des conteneurs capables d’absorber les éventuelles variations de charges et d’offrir ainsi une plus grande réaction face à l’imprévu (par exemple, un panier de course qui pourrait s’accrocher sous un sac à main sans qu’il n’occasionne une surcharge pour la personne). Ces innovations visent donc à améliorer des aspects liés à la portabilité, à la multifonctionnalité et à l’intermodularité.

6Si l’approche adoptée par les auteurs peut au départ surprendre, du fait qu’elle ait rarement été proposée jusqu’à présent, on se laisse rapidement convaincre par la démonstration rigoureuse opérée tout au long de l’ouvrage. En cela, c’est un nouveau champ de réflexions important pour la transition vers une mobilité durable qui s’ouvre, offrant des perspectives originales et prometteuses qui, il faut l’espérer, seront prises en compte par les acteurs et les décideurs de la ville dans le futur. Si les termes employés sont parfois complexes, les auteurs prennent toutefois le soin de définir et d’expliciter minutieusement chacun d’eux, ce qui facilite la compréhension et rend l’ouvrage agréable à lire. De nombreuses illustrations (graphiques, tableaux et photographies) viennent également éclairer de manière pertinente les propos développés. Une des principales limites de l’ouvrage tient au peu de références faites à d’autres villes (notamment Göteborg en Suède, où des observations quantitatives ont également été menées dans le cadre du projet « Consumer Logistics »). S’il est annoncé dès l’introduction que l’étude se concentre sur Toulouse, il aurait toutefois été intéressant que quelques exemples complémentaires soient mentionnés, pour voir notamment si des solutions similaires ont déjà été expérimentées dans d’autres villes. Ces exemples auraient également pu permettre d’amorcer une réflexion au sujet des solutions proposées : sont-elles propres à chaque ville et à leurs contextes (historique, géographique...) ou sont-elles au contraire transposables d’une ville à l’autre ?

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Notes

1 Ces approches font référence à des programmes de recherche mais aussi à des opérations d’aménagement entreprises par des décideurs publics.

2 Ce projet a rassemblé des chercheurs de l’Université de Göteborg (Suède), de l’université Toulouse 2Jean-Jaurès, de l’Institut national universitaire Jean-François-Champollion d’Albi, ainsi que des enseignants et étudiants de l’Institut supérieur des arts de Toulouse (Isdat). Il a bénéficié du financement d’Urban-Net, de l’Agence nationale de la recherche et du Swedish Research Council.

3 Le choix de la ville de Toulouse est lié au fait que ce sont des chercheurs de l’université Toulouse 2 Jean Jaurès qui ont participé au projet « Consumer Logistics ».

4 Bourdieu Pierre, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps modernes, n° 318, 1973, p. 1292-1309.

5 Selon le sociologue Erving Goffman, une unité véhiculaire peut être définie comme « une coque d’un certain type, contrôlée (habituellement de l’intérieur) par un pilote ou un navigateur humain » (Goffman Erving, La Mise en scène de la vie quotidienne, t. II, Paris, Éditions de Minuit, 1973, p. 22).

6 Selon le géographe Pierre Ageron, l’intermodularité désigne en géographie des transports « l’aptitude d’un système de transport à permettre l’utilisation successive d’au moins deux modes, intégrés dans une chaîne de déplacements » (Ageron Pierre, « Notion à la une : intermodalité », Géoconfluences, 30 septembre 2014, en ligne : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/notion-a-la-une-intermodalite).

7 Institut national de la propriété industrielle.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre-Louis Ballot, « Cédric Calvignac, Roland Canu, Franck Cochoy, L’ordinaire des mobilités douces. Un siècle de logistique piétonne et cycliste à Toulouse », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 18 août 2021, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/50658 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.50658

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Rédacteur

Pierre-Louis Ballot

Post-doctorant, Université Grenoble Alpes, UMR 5194 Pacte.

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