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Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, Covid-19 : une crise organisationnelle

Saïkou Oumar Sagnane
Covid-19 : une crise organisationnelle
Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel, François Dedieu, Covid-19 : une crise organisationnelle, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Essai », 2020, 136 p., ISBN : 9782724626650.
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Notes de la rédaction

Ce compte rendu a été rédigé dans le prolongement de l’atelier d’écriture scientifique organisé à Conakry par le Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (Cerfig), entre janvier et mars 2021, auquel ont participé deux groupes d’étudiant·es et de jeunes chercheur·euses en sciences sociales et en santé publique. Animée par la rédactrice en chef de Lectures, cette formation a été financée par l’Ambassade de France en Guinée et a bénéficié du soutien de L’Harmattan Guinée.

Texte intégral

1Le coronavirus est arrivé en France le 24 janvier 2020. La décision du gouvernement de confiner toute la population face à la menace épidémique a engendré une atmosphère de stupeur. La mesure « inédite » a produit un effet d’envahissement des espaces privés et un ralentissement des activités économiques. Face à l’incertitude quant au dénouement de la crise, le gouvernement a créé des organes de gestion ad hoc, alors que des organisations, des règlements et des plans existaient déjà pour répondre à ce genre de situation. Cette réaction souligne le manque de préparation des autorités françaises et, en même temps, accroît la difficulté de coordonner des organisations dont les rôles et attributions finissent par se superposer. « Comment, dans une société saturée d’organisations, et qui plus est dotée de textes réglementaires et de plans conçus pour organiser leur réponse en situation de crise, en vient-on, face à une menace grave, à produire de nouvelles organisations inédites puis compliquer les conditions de la gestion de crise ? » (p. 12). Telle est la question au centre de cet ouvrage.

2À travers une approche de sociologie des organisations et de l’action publique, les auteurs revisitent la littérature existante sur la prise de décision et les crises. Ils analysent également des articles de presse et une quarantaine d’entretiens auprès de personnels de la chaîne sanitaire pour formuler des hypothèses explicatives de la gestion du coronavirus en France. L’idée qui conduit le raisonnement est que « nous souffrons toujours d’une incapacité à tirer des leçons des crises passées ». Le fait de singulariser les crises altère leurs caractéristiques communes, empêche la comparaison et entrave l’apprentissage organisationnel. L’ouvrage analyse les conditions historiques et organisationnelles qui ont prévalu à l’apparition de nouveaux organes de gestion de l’épidémie de coronavirus ainsi que leurs conséquences sur la coordination des interventions, avant de discuter des solutions, des recommandations et des formations à offrir aux futurs décideurs pour mieux gérer les crises à venir.

3Le confinement a été présenté à la population française comme la seule solution possible au début de l’épidémie, aussi bien par les pouvoirs publics que par les experts scientifiques. Si la crise était si grave, des mesures d’anticipation consécutives aux alertes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) auraient pu être prises pour la freiner ou atténuer son ampleur. Si un spécialiste de la décision stratégique comme Olivier Sibony relie l’incapacité des autorités à prévoir l’ampleur et la gravité de l’épidémie à leur souci de défendre les intérêts économiques de l’État, les auteurs réfutent ce modèle explicatif, qui ne prend pas en compte le contexte d’action, l’histoire, les compétences différenciées des acteurs et l’environnement organisationnel qui encadrent la décision. Ils préfèrent mettre en avant la théorie sociologique des désastres et de l’alerte, qui permet de décrire la manière dont les informations circulent au sein des administrations et des organisations concernées, d’analyser le phénomène de sous-estimation des signaux d’alerte, de présenter le contexte d’actions et de mettre en évidence les effets de disposition, de position et d’interdépendance des acteurs.

4Au sortir de la tempête de 1999, puis de la canicule de 2003, le gouvernement français a mis en place un ensemble d’organisations et d’instruments destinés à préparer le pays à la gestion d’une crise majeure. Cette préparation a généré une confiance dans le système de santé au point que le risque d’une pandémie virale en France apparaissait comme faible. Le Président de la République a lui-même plaidé en faveur de mesures « proportionnées ». Dès le 2 janvier 2020, le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) s’est engagé dans la prévention et la réponse à l’épidémie de coronavirus. Cependant, il y a eu du retard dans le déclenchement de certains dispositifs (plan de pandémie, cellule interministérielle, etc.).

5La menace épidémique n’a pas été suffisamment prise au sérieux. La prise de conscience a été tardive. En ayant le souci d’éviter une « surréaction » à un risque qui pouvait s’avérer faible, les responsables sanitaires ont fait une mauvaise lecture des signaux d’alerte. Dépassées par l’ampleur et la rapidité de l’épidémie de Covid-19, les élites ont été prises de panique en voyant que la situation échappait à leur contrôle. Les prises de décision se sont enchaînées, transformant l’environnement organisationnel de la riposte à l’épidémie. Le Conseil scientifique a été créé le 10 mars 2020, et le confinement généralisé de la population a été annoncé six jours plus tard, dans un contexte démocratique aux multiples enjeux économiques et électoraux. Les autorités sanitaires semblaient frappées par un « oubli massif » du plan contre la pandémie grippale, alors même que celui-ci prévoyait toutes les dispositions pour faire face une pareille crise.

6Les auteurs expliquent que les autorités françaises n’ont pas tiré les leçons des précédentes crises qu’a connu le pays. Bien qu’il existe un plan Pandémie grippale ainsi qu’une multitude d’acteurs et des moyens alloués, les responsabilités des différentes parties prenantes ne sont pas suffisamment définies dans la mise en œuvre du plan. Aussi, il y a lieu de conduire une analyse des mécanismes à l’œuvre dans l’évaluation de la pertinence et du délai des réponses apportées depuis l’apparition des premiers signes d’une crise. Celle-ci pourrait notamment aider à la lecture des signaux d’alerte.

7Pris de panique face à l’incertitude, le gouvernement français a créé de nouveaux organes de gestion de crise (Conseil scientifique et Comité d’analyse, recherche et expertise) en plus des structures et des instruments existants (Comité interministériel de crise, Santé publique France, etc.). Ces nouveaux dispositifs mis en place pour la circonstance sont régis par les principes du consensus et du respect de la parole scientifique. Ils constituent des cadres « inédits » de l’action publique, conduisant par endroit des actions contradictoires, souvent en dehors des règles établies. Les mandats de ces instances se superposent parfois avec ceux d’organisations existantes. Dans cet imbroglio, émerge le problème de la coordination, « maillon faible » des dispositifs organisationnels impliquant à la fois les acteurs publics, le secteur privé et les associations.

8Certains corps professionnels, les sapeurs-pompiers notamment, sont mis à l’écart alors qu’ils ont un rôle à jouer dans la crise. Le Conseil scientifique, initialement composé de membres du corps médical, enregistre la nomination de nouveaux membres provenant des sciences sociales et du secteur associatif, par exemple. Le Comité interministériel de crise devient le Centre interministériel de crise et change de mode de fonctionnement pour faciliter la coordination entre les acteurs. Pour les auteurs, cette dynamique organisationnelle s’explique par le fait que, dans la coopération, « les organisations défendent leurs intérêts et poussent les bornes de leurs avantages ». La situation fait apparaître de nouvelles organisations (ou missions) « pour coordonner l’ensemble des acteurs qui se rapprochent souvent du désordre ». Toutefois, « [la] coopération à l’hôpital a pu parfois être fructueuse ». Mais les auteurs estiment que, dans toute organisations, deux conditions sont nécessaires pour enclencher la coordination et la coopération : « le financement non rationné et la suspension des activités traditionnelles ».

9De nouvelles crises sont à craindre. Le manque de préparation ainsi que les difficultés de coordination analysées dans cet ouvrage suggèrent d’adopter une approche de gestion des connaissances basée sur les expériences de crises antérieures. Les auteurs recommandent de tirer des enseignements transversaux des crises passées pour « lutter contre le phénomène de “désapprentissage” des organisations ». Ce mandat est à confier à une structure étatique autonome dotée de moyens légaux pour recueillir les informations auprès d’acteurs concernés, dans le seul but de connaitre et d’apprendre par expérience, et non pour rechercher les responsables des échecs. Les rapports doivent être à portée de mains, archivables et exploitables ; ils ne doivent pas être plongés dans l’oubli.

10Les auteurs recommandent également de réviser la façon de se préparer à la gestion des crises. Des exercices de simulation devraient selon eux se concentrer sur les conditions de déclenchement des plans de crise, dans un cadre de discussions multi-acteurs, pluridisciplinaires et intersectorielles, tout en gardant à l’esprit que les procédures évoluent en situation réelle. Il vaut mieux se focaliser sur les études de cas concrets que sur l’étude des logiques procédurales. Mais les auteurs redoutent que les personnes qui participent aux exercices de simulation « ne [soient] nécessairement pas celles qui, le moment venu, auront des responsabilités essentielles à assumer ».

11Enfin, les auteurs préconisent de former les futurs élites (les étudiants d’aujourd’hui) à penser et à agir avec très peu de connaissances, dans l’incertitude, l’urgence, l’instabilité et la complexité d’une situation en constante évolution. Pour ce faire, les élèves devraient acquérir des capacités d’appréciation de la démarche, des résultats et des incertitudes persistantes. Ils doivent savoir poser des questions, encourager la recherche de points de vue pluriels, susciter la coopération entre des entités organisationnelles distinctes et intégrer les dimensions des sciences sociales. L’aptitude fondamentale à toutes ces capacités est celle de savoir « mobiliser et confronter les savoirs et compétences disponibles face à un problème donné en tenant compte des nombreuses incertitudes qui persistent ».

12Finalement, Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu mettent en relation le manque de préparation des autorités françaises, la création d’instruments de gestion de crise ad hoc, les difficultés de coordination des organisations de crise et la nécessité de gérer les connaissances pour mieux faire face aux crises à venir. Leur raisonnement repose sur la comparaison de leurs observations avec des faits issus de la littérature pour ensuite formuler des hypothèses qui devront être confirmées ou infirmées par des recherches empiriques. Selon eux, malgré l’existence de dispositifs de gestion de crise en France, le gouvernement, faute de préparation, a choisi de créer (et de réinventer) de nouvelles organisations de crise « sans aucune forme d’attachement institutionnel ». Cette innovation complique la coordination des intervenants et pose le débat sur les expériences de gestion des crises. Cette problématique revient à chaque fois qu’il y a une crise. Les discussions d’actualité soulevées dans l’ouvrage interpellent tous les gouvernements sur la centralité de la coordination et de la gestion des connaissances pour mieux affronter les crises à venir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Saïkou Oumar Sagnane, « Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, Covid-19 : une crise organisationnelle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 juin 2021, consulté le 18 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/49845 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.49845

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Rédacteur

Saïkou Oumar Sagnane

Socio-anthropologue de la santé, chercheur au Laboratoire d’analyse socio-anthropologique de Guinée (LASAG), assistant d’enseignement au département de sociologie de l’université Sonfonia de Conakry et conseiller auprès du ministère de la santé.

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Droits d’auteur

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