Issakha Diallo, Et si la coopération internationale en santé nous était contée !
Notes de la rédaction
Ce compte rendu a été rédigé dans le prolongement de l’atelier d’écriture scientifique organisé à Conakry par le Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (Cerfig), entre janvier et mars 2021, auquel ont participé deux groupes d’étudiant·es et de jeunes chercheur·euses en sciences sociales et en santé publique. Animée par la rédactrice en chef de Lectures, cette formation a été financée par l’Ambassade de France en Guinée et a bénéficié du soutien de L’Harmattan Guinée.
Texte intégral
1Spécialiste expérimenté en santé publique, le professeur Issakha Diallo examine dans cet ouvrage l’histoire, l’évolution et les enjeux de la coopération internationale en matière de santé. Initiée après seconde guerre mondiale, la notion de coopération internationale a conduit à la création de l’institution onusienne qu’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Définissant la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladies ou d’infirmité », l’OMS souligne qu’elle constitue une préoccupation majeure à l’échelle collective de notre « village planétaire ». Les grandes épidémies de choléra ou de peste, la pandémie du VIH Sida, l’épidémie de la maladie à virus Ebola et bien sûr la pandémie du coronavirus que nous vivons depuis début 2020 illustrent bien les risques sanitaires auxquels le monde ne cesse d’être confronté. Pour la plupart des pays en situation de crise sanitaire, la coopération internationale apparaît comme un recours indispensable. Les pays du Sud ont longtemps bénéficié d’une prise en charge sanitaire par les pays industrialisés, ce qui dans un premier temps pouvait s’inscrire dans une logique post-colonisation. Mais, pour l’auteur, cette situation n’est plus justifiable de nos jours. Il déplore notamment que, soixante ans après avoir acquis leur indépendance, les pays d’Afrique ne parviennent toujours pas à financer eux-mêmes leurs dépenses de santé – et d’éducation. Mais comment expliquer que le soutien que les pays industrialisés apportent aux pays du Sud depuis des années n’ait toujours pas permis de résorber l’écart entre les niveaux de santé respectifs de leurs populations ? Pour le comprendre, l’auteur retrace en quatre chapitres les origines de la coopération internationale, le fonctionnement de l’aide sanitaire internationale, les partenariats internationaux et l’avenir de la coopération internationale, mettant en évidence les points forts et les faiblesses des différents dispositifs.
2Le premier chapitre fait un bref retour historique pour rappeler que la santé et le développement ont été une préoccupation tout au long de la colonisation. Créée en 1948 comme agence de l’ONU, l’Organisation mondiale de la santé a inscrit dans sa constitution l’objectif d’« amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible ». Elle a instauré une coopération internationale qui s’exerce principalement entre pays industrialisés et les pays du Sud, et dans laquelle on peut aussi voir une forme d’emprise des premiers sur les seconds.
3Au vu de l’inégalité entre les besoins des pays développés et ceux des pays du Sud, il apparaît plus juste de parler d’« aide sanitaire » plutôt que de « coopération » en santé. Dans le deuxième chapitre, l’auteur s’interroge : est-ce la pauvreté qui est à l’origine du mauvais état des systèmes de santé dans les pays en voie de développement ou bien est-ce la défaillance des systèmes de santé qui engendre la pauvreté ? Le fait est que les pays du Sud ne placent pas la santé comme un objectif prioritaire de leurs politiques publiques, puisqu’elle ne contribue pas à leur développement économique. Ils allouent donc un budget réduit au secteur de la santé et attendent de la coopération internationale qu’elle vienne le renforcer, ce qui entérine le déséquilibre entre les pays qui donnent et ceux qui reçoivent les fonds.
4Dans le troisième chapitre, l’auteur soulève le problème de la gestion des budgets de santé. Certains pays du Nord se contentent d’allouer directement des fonds aux pays qu’ils aident. D’autres, comme les États-Unis, préfèrent envoyer leurs propres experts sur le terrain pour piloter la mise en œuvre de différents projets sanitaires. Des acteurs privés tels que la fondation Bill et Melinda Gates et d’autres institutions contribuent également à soutenir l’économie sanitaire des pays du Sud. Ces organisations viennent effectivement en renfort des États mais, selon l’auteur, l’efficacité de leurs approches reste encore à prouver. Plus largement, en dépit des différentes approches de partenariats déployées, l’Afrique n’est pas parvenue à atteindre les huit « objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) qui avaient été fixés par l’ONU en 2000.
- 1 Dans un article récent, elle explique que « l’OMS contrôle à peine 20 % de son budget. Le reste se (...)
5Au quatrième chapitre, l’auteur expose les trois défis auxquels est confrontée la coopération internationale en santé. Le premier est d’ordre financier : de jour en jour, on assiste à un accroissement continu des besoins alors que des crises économiques itératives frappent aussi bien les pays du Sud que ceux du Nord. Ce défi est extrêmement difficile à relever, malgré les transformations économiques des pays. Le second défi est celui de l’efficacité de la coopération à travers des différents mécanismes de coalition, de collaboration ou de partenariat qui sont mis en place, en évitant que les exigences des payeurs s’avèrent contre-productives pour les pays aidés. L’optimisation de l’efficacité de l’aide au développement en général, et à la santé en particulier, reste en effet une question vive pour les États. Le troisième défi concerne la gouvernance mondiale. Issakha Diallo s’appuie ici sur les analyses d’Alison Katz, ancienne haut-fonctionnaire de l’OMS, qui estime que l’objectif de « santé pour tous » soutenu par l’OMS dans les années 1970 a été dévoyé1 pour satisfaire les intérêts des plus riches. L’organisation en charge de la gouvernance mondiale de la santé a ainsi été « capturée » et mise au service du business de la santé.
6Dans le contexte actuel de la pandémie à coronavirus, nous sommes très rapidement passés d’une crise sanitaire à une crise politique, sociale et économique. Chaque État puissant cherche à prouver la capacité de son gouvernement à protéger sanitairement, socialement et économiquement son peuple. Pour l’Afrique, la lutte contre cette pandémie a été rude mais aussi très stratégique au vu de l’expérience déjà acquise à travers la gestion d’autres épidémies, notamment la maladie à virus Ebola. Malgré l’existence de moyens locaux et l’engagement fort de certains de ses leaders, quoi que l’on puisse en dire, l’Afrique n’a pas pu déroger à la pratique avilissante de tendre la main à l’aide internationale.
7Dans sa conclusion, l’auteur revient sur la gestion de la santé des pays du Sud. Il estime que l’Afrique peut et doit sortir de sa dépendance à l’aide sanitaire internationale. Ce n’est que par la suite que l’on pourra dignement parler d’une véritable coopération entre le États. Les larges avancées opérées par des pays comme le Maroc et le Rwanda dans le secteur de la santé démontrent que la situation n’est pas désespérée et que des solutions existent.
8L’ouvrage du professeur Issakha Diallo réussit à décrypter les enjeux complexes de la coopération internationale en santé. Nous pouvons en retenir que le monde est confronté à des besoins sanitaires énormes, qui se manifestent très inégalement entre les États. La coopération internationale en santé, principal recours pour les pays du Sud, n’apparaît pas en réalité comme le meilleur moyen pour satisfaire efficacement ces besoins. Chaque État devrait être responsable de sa situation sanitaire pour que la coopération soit un échange « gagnant-gagnant ». C’est pourquoi Issakha Diallo croit davantage dans une coopération entre pays qui ont des budgets et des revenus similaires, chacun remplissant sa part dans une relation équitable et durable. Reste à savoir si une institution non onusienne consacrée uniquement au pays du Sud réussirait mieux que l’OMS à accompagner ces pays pour qu’ils parviennent à satisfaire eux-mêmes leurs besoins sanitaires.
Notes
1 Dans un article récent, elle explique que « l’OMS contrôle à peine 20 % de son budget. Le reste se compose de “contributions volontaires extrabudgétaires” provenant des (riches) États membres et de fondations privées, dont la quasi-totalité est affectée à des priorités et des programmes spécifiques déterminés par les donateurs ». Alison Katz, « Contrôle des épidémies ? L’OMS avait la solution... il y a 40 ans », Santé conjuguée, n° 91, juin 2020, disponible en ligne : https://www.maisonmedicale.org/Controle-des-epidemies-L-OMS-avait-la-solution-il-y-a-40-ans.html.
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Référence électronique
Kadé Fofana, « Issakha Diallo, Et si la coopération internationale en santé nous était contée ! », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 juin 2021, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/49805 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.49805
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