Ali Hamdan, De la médecine coloniale à la santé communautaire au Sénégal
Notas de la redacción
Ce compte rendu a été rédigé dans le prolongement de l’atelier d’écriture scientifique organisé à Conakry par le Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (Cerfig), entre janvier et mars 2021, auquel ont participé deux groupes d’étudiant·es et de jeunes chercheur·euses en sciences sociales et en santé publique. Animée par la rédactrice en chef de Lectures, cette formation a été financée par l’Ambassade de France en Guinée et a bénéficié du soutien de L’Harmattan Guinée.
Texto completo
1Cardiologue et historien de la santé, Ali Hamdan fait à travers ce livre un travail de synthèse sur la santé au Sénégal. Il remonte à l’époque coloniale pour retracer l’histoire de lutte contre les épidémies. Dans le contexte de la pandémie de la Covid 19, ce document met bien en relief les enjeux de la santé publique. Dans un langage simple assorti de schémas, l’auteur nous amène au cœur de la politique sanitaire sénégalaise depuis ses origines jusqu’à nos jours.
2Dans l’introduction de l’ouvrage, l’auteur s’appuie sur les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour montrer que le Sénégal pourrait atteindre le niveau de développement sanitaire du Costa-Rica, pays comparable du fait qu’il dispose du même type de ressources. Cependant, pour y parvenir, Ali Hamdan estime que le Sénégal doit mettre l’accent sur la politique de l’eau et de l’assainissement, comme préalable à tout projet de santé publique.
- 1 Selon l’auteur, la France aurait occupé l’Afrique pendant quatre siècles. Cette affirmation nous se (...)
3Le premier chapitre retrace l’historique des relations entre l’Afrique et l’Europe depuis le XVe siècle. L’objectif de la mission des Européens en Afrique a été d’abord d’ordre religieux, puis mercantile avant de devenir colonial. À l’époque coloniale, plusieurs puissances européennes comme le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, la France et les Pays-Bas ont occupé une portion de terre de l’archipel du Sénégal, pendant une période plus ou moins longue. Elles se sont mutuellement combattues, à travers des guerres et des traités, avant que le Sénégal ne revienne à la France1. L’entreprise coloniale française a rencontré deux types de résistances. D’une part, elle s’est confrontée aux armées des royaumes et des États théocratiques qui refusaient de capituler. L’Islam, incarné par les chefs politico-religieux comme Elhadj Oumar Tall et Cheick Ahmadou Bamba, a également joué un rôle primordial dans la lutte contre la colonisation. D’autre part, ce sont des épidémies qui, à plusieurs reprises, ont débouté les colons. La rougeole, la fièvre jaune et le choléra ont ainsi décimé des milliers de ressortissants français. Cela a conduit les administrateurs coloniaux à prendre très au sérieux la question de santé publique dans leur entreprise colonisatrice. C’est vers la fin du XIXe siècle, avec le progrès scientifique, que les programmes de prévention et de traitement des maladies ont été développés à l’intérieur des colonies. Les premiers hôpitaux construits au Sénégal recevaient prioritairement les Blancs. Les mesures sanitaires telles que la quarantaine, l’isolement des malades, la désinfection des maisons contaminées et l’inhumation rapide des morts dans des fosses profondes ont été pratiquées dans le cadre de la lutte contre les maladies contagieuses.
4À la fin du XIXe siècle, les maladies ravageuses ont découragé les Européens en général et les Français en particulier de se rendre en Afrique. Ce sont les Libanais, arrivés au début du XXe siècle, qui ont permis dans certaine mesure à la France de maintenir ses colonies. Les Français les ont utilisés comme intermédiaires commerciaux afin de mener à bien la colonisation tout en évitant le contact direct avec les indigènes, donc la transmission des maladies. Cependant, au fil du temps, ces Libanais sont devenus des concurrents commerciaux qui menaçaient l’entreprise coloniale. Les Français ont alors cherché à les écarter en les accusant d’être responsables de la propagation de la fièvre jaune qui sévissait au Sénégal. Ainsi, un sentiment anti-arabe s’est développé dans la colonie.
5L’auteur soutient que les systèmes de santé mis en place en Afrique depuis la période des indépendances n’ont pas permis d’atteindre les objectifs escomptés. Malgré plusieurs rencontres entre les pays africains, débouchant sur des recommandations sanitaires communes, le niveau de santé des populations ne s’est guère amélioré. Depuis 1960, le Sénégal est passé d’un système de santé concentré dans les mains du pouvoir central à une décentralisation poussée, à travers les collectivités locales. Le centralisme a été hérité du système colonial. Des mouvements de contestation ont amené l’État à déconcentrer les services de santé dans les régions et les départements. Pour rapprocher davantage les services sanitaires des populations et pour mettre la politique de santé en conformité avec les recommandations des partenaires techniques et financiers des organismes supranationaux, l’État sénégalais s’est engagé dans une véritable décentralisation de son système de santé. Aujourd’hui, celui-ci est organisé en trois niveaux : national, régional et départemental. S’il existe des hôpitaux nationaux et régionaux, les structures du troisième niveau sont des « centres », des « postes » et des « cases » de santé, sous la responsabilité de médecins au service de l’État. Ces derniers sont placés sous la tutelle des médecins régionaux, qui diffusent et appliquent les directives du ministère de la Santé. Les collectivités et instances locales sont impliquées dans la gestion et le fonctionnement du système de santé : les hôpitaux régionaux sont régulés par les comités de planification des départements concernés, et des comités similaires encadrent le fonctionnement des centres, postes et cases de santé. Chacun de ces comités est composé de représentants de la société civile, d’élus locaux et de professionnels de la santé. Le système est financé par le gouvernement, les départements techniques et financiers et par les collectivités locales.
6Au Sénégal, seuls les employés de l’État et du secteur privé cotisent à une assurance maladie. Or, 80% de la population tire ses revenus du secteur informel. Dans un premier temps, le gouvernement sénégalais à mis en place des mesures de gratuité des soins primaires à destination des publics prioritaires, parmi les populations non couvertes par l’assurance maladie : les femmes enceintes, les enfants de moins de cinq ans, les personnes vivant avec un handicap, les personnes âgées et les personnes vivant dans une extrême pauvreté. À plus large échelle, un dispositif de « couverture maladie universelle » (CMU) a été initié en 2013. Il repose sur un réseau de mutuelles régionales, départementales et communales, auxquelles les travailleurs du secteur informel doivent cotiser pour bénéficier d’une prise en charge à 80% de leurs frais de santé. Outre les cotisations des bénéficiaires, ces mutuelles reçoivent des subventions de l’État, de partenaires financiers, d’ONG et d’entreprises. Ali Hamdan estime qu’elles participent à améliorer la santé communautaire ; un recul de quelques années est cependant nécessaire pour mieux mesurer leur impact.
7Le dernier chapitre de l’ouvrage est centré sur un projet original initié par l’auteur et soutenu par l’association Samben (Sénégal actions médicales bénévoles). Ali Hamdan milite en effet pour le développement de « véhicules mobiles médicalisés » (VMM) qui permettrait d’assurer une meilleure prise en charge des maladies cardio-vasculaires sur l’ensemble du territoire. Le diabète, l’hypertension artérielle et l’accident vasculaire cérébral sont aujourd’hui considérés comme la première cause de mortalité au Sénégal. Mais les services de santé communautaires ne prennent pas en charge les maladies cardio-vasculaires, si bien que les populations rurales accèdent difficilement aux structures sanitaires compétentes pour traiter ces maladies. Le projet VMM entend donc combler ce déficit en allant au devant des populations vulnérables. Il consiste à envoyer une équipe médicale dans une localité rurale pour identifier et traiter les patients qui souffrent de maladies ou qui présentent des risques cardio-vasculaires.
8L’auteur termine l’ouvrage en rappelant la situation des enfants de rue qui sont livrés à eux-mêmes dans les grandes villes du Sénégal. Bien que de nombreux acteurs œuvrent pour leur bien-être, ces enfants n’ont pas de statut juridique qui leur permette d’être pris en charge sur le plan de la santé. Ali Hamdan interpelle les structures gouvernementales, les institutions internationales et les ONG compétentes et plaide pour une prise en charge médicale de ces enfants des rues.
9En définitive, cet ouvrage explique dans un langage clair l’histoire de la santé au Sénégal. Il expose, à l’aide de schémas, la structure et le fonctionnement du système sanitaire du pays. Il intéressera donc les chercheurs et les étudiants en anthropologie de la santé et en santé publique.
Notas
1 Selon l’auteur, la France aurait occupé l’Afrique pendant quatre siècles. Cette affirmation nous semble excessive puisque la colonisation a débuté à la fin du XIXe et s’est prolongée durant une grande moitié du XXe siècle. Au cours des siècles qui ont précédé la colonisation, la présence des Français relevait davantage de relations commerciales que d’une « occupation ».
Inicio de páginaPara citar este artículo
Referencia electrónica
Amadou Tidiane Barry, « Ali Hamdan, De la médecine coloniale à la santé communautaire au Sénégal », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 03 junio 2021, consultado el 13 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/49799 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.49799
Inicio de páginaDerechos de autor
Salvo indicación contraria, el texto y otros elementos (ilustraciones, archivos adicionales importados) son "Todos los derechos reservados".
Inicio de página