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Nathalie Berthomier, Sylvie Octobre, Réorganisation des temps enfantins à l’entrée en maternelle des enfants de la cohorte Elfe

Victoria Chantseva
Réorganisation des temps enfantins à l'entrée en maternelle des enfants de la cohorte Elfe
Nathalie Berthomier, Sylvie Octobre, Réorganisation des temps enfantins à l'entrée en maternelle des enfants de la cohorte Elfe, Paris, Ministère de la Culture - DEPS, coll. « Culture études », 2020, 28 p., ISBN : 978-2-11-139977-8.
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Texte intégral

  • 1 Pour plus d’information sur l’enquête Elfe, voir : Pirus Claudine, Bois Corinne, Dufourg Marie-Noël (...)
  • 2 Berthomier Nathalie, Octobre Sylvie, Enfants et écrans de 0 à 2 ans, Ministère de la Culture – DEPS (...)

1Comment s’organise, en France, la journée des enfants de 3 ans ? À quelles activités s’adonnent-ils selon l’heure de la journée ou le moment de la semaine ? Compte tenu des caractéristiques socio-économiques de leurs familles, quelles variations observe-t-on dans l’organisation temporelle de leur vie et que nous apprennent ces variations sur les inégalités d’apprentissages des jeunes enfants ? Le texte de Nathalie Berthomier et Sylvie Octobre propose des éléments de réponse à ces questions à partir du traitement des données statistiques provenant de l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe). Depuis son démarrage en 2011, cette grande enquête nationale d’une envergure inédite pour le contexte français suit 18 000 enfants sélectionnés selon le principe de représentativité sur l’ensemble du territoire de la France métropolitaine1. L’originalité de cette enquête tient non seulement à son échelle et à son caractère longitudinal, mais surtout à sa pluridisciplinarité qui croise les questionnements des sciences de la santé, des sciences de l’environnement et des sciences sociales. À ce titre, un volet important de l’enquête Elfe est consacré à l’étude de la socialisation, dont les aspects temporels sont analysés par les deux chercheuses poursuivant avec cette publication un travail déjà amorcé2. Les données traitées ici proviennent des cinq premières vagues de questionnaires, plus particulièrement sur celle ayant lieu lorsque les enfants de la cohorte sont âgés de à 3 ans et demi. Les réponses retenues pour l’analyse concernent la fréquentation de l’école maternelle et des centres d’accueil péri- et extrascolaire, l’implication des parents dans les activités des enfants, leurs opinions à l’égard de l’école et les souhaits pour l’avenir de l’enfant, les caractéristiques des jouets présents dans les foyers, ainsi que l’usage des écrans.

  • 3 Chamboredon Jean-Claude, Prévot Jean, « Le “métier d’enfant” : définition sociale de la prime enfan (...)

2Le premier constat concerne la « centralité de l’école maternelle » : une fois que les enfants sont scolarisés, l’école devient le pivot principal de l’organisation de leur temps. Ce résultat renvoie non seulement au taux extrêmement élevé de scolarisation (quasiment tous les enfants de 3 ans et demi fréquentent l’école maternelle), mais également à la qualité du temps passé à l’extérieur de l’école. Même si les activités se déroulent au-dehors du contexte scolaire, certaines d’entre elles sont tout de même marquées par les objectifs de l’école. L’article paradigmatique de Jean-Claude Chamboredon et Jean Prévot3 sert ici d’appui théorique : l’école maternelle française a su mettre en place une pédagogie spécifique qui concilie la mise en valeur du jeu et de la créativité avec la poursuite des visées proprement scolaires (développement des capacités d’expression orale, préparation à la lecture, exercices proto-scripturales, etc.). Les familles scolairement dotées s’avèrent les plus à même de reproduire cette pédagogie à la maison, donnant un avantage considérable à leurs enfants. Au-delà d’instaurer une continuité entre espaces scolaires et familiales, la pratique de la lecture partagée, la mise en place des jeux spécifiques et des expériences artistiques procurent, sous couvert de plaisir et d’amusement, les premières clés de la réussite scolaire. Montrer ce phénomène constitue la ligne directrice du texte de Nathalie Berthomier et Sylvie Octobre. Chiffres à l’appui, elles révèlent le caractère socialement situé de la « pédagogisation des temps de l’enfant » en mettant en évidence une meilleure implication des parents culturellement et économiquement dotés dans la transmission des dispositions culturelles scolairement rentables, que ce soit à travers les activités partagées avec l’enfant, l’organisation des loisirs encadrés (inscription dans les clubs et associations pour pratiquer en amateur la musique, la danse, les arts plastiques, sports) ou bien par la mise à disposition d’objets matériels appropriés.

  • 4 Signalons que la conception de l’usage des écrans comme activité à priori non-éducative fait l’obje (...)

3Par contraste, la « consommation des écrans » s’avère une pratique moins « légitime » dans la mesure où elle échappe à la « pédagogisation des temps de l’enfant ». Même si le caractère non-éducatif du temps passé devant les écrans n’est jamais explicitement postulé4, il transparaît, d’une part, dans la façon dont les données sont inventoriées : l’usage des écrans est placé sous la rubrique « activité de temps libre » se différenciant à la fois des « activités encadrées » et des « temps scolaires ». D’autre part, les données statistiques corroborent cette conception : « Le monde des écrans s’oppose nettement à celui des loisirs encadrés : les enfants qui sont inscrits à une pratique en amateur comptent nettement moins de forts consommateurs d’écrans » (p. 25). Ce phénomène ne peut pas s’expliquer par un simple manque de temps, déjà occupé par les loisirs encadrés puisque, pour les enfants de 3 ans et demi, ce type de loisirs est (encore) très marginal. Il s’y reflète plutôt une « stratégie éducative » des familles appartenant aux milieux les plus diplômés : structurer le temps des enfants de manière à « développer les dispositions culturelles qui l’école transformera éventuellement en capitaux au fil du cursus scolaire » (p. 26). La consommation des écrans est donc délibérément mise à l’écart par des familles socialement favorisées. En effet, ce sont les enfants issus des ménages les moins dotés en capitaux économiques et culturels qui passent le plus de temps à regarder la télévision, jouer sur une tablette ou sur une console de jeux vidéo. Par ailleurs, la différenciation de la « pédagogisation des temps » selon le sexe de l’enfant est également observable : les activités extrascolaires encadrées sont (déjà) plus souvent adressées aux filles, alors que les garçons consomment (déjà) plus de jeux vidéo.

  • 5 Octobre Sylvie, Berthomier Nathalie, Facq Florent, « La primo-socialisation culturelle durant la pr (...)

4Terminons cette recension par quelques remarques critiques. On peut s’interroger sur la pertinence de réunir sous le même titre « consommation des écrans » les activités nettement hétérogènes telles que le visionnage de télévision, dont le caractère partagé a été démontré par les mêmes chercheuses5, l’utilisation de tablettes et d’ordinateurs et, enfin, les jeux sur le portable et sur la console, étant donné que ce dernier type de jeu est aussi susceptible d’être partagé avec le parent. Ensuite, compte tenu du jeune âge des enfants, on imagine difficilement que le contenu de ces activités soit laissé sans contrôle ou qu’il ne soit pas choisi par les parents, ce qui implique la possibilité de déployer des stratégies éducatives à travers l’usage des écrans (aspect lequel le présent ouvrage ne mentionne pas). Enfin, remarquons qu’au-delà de la production de la preuve objective des tendances sociologiquement importantes et de l’éclairage apporté sur la stratification au sein de la population, l’ouvrage montre certaines limites en termes d’approches purement macrosociologiques de la vie sociale. Si certains résultats relèvent presque du sens commun (les enfants qui habitent à la campagne passent plus de temps dehors que ceux qui habitent dans les grandes villes, p. 20), d’autres, en revanche, ne parlent pas d’eux-mêmes. Comment expliquer que « le goût de l’effort » en tant qu’objectif assigné à l’école « est porté principalement par les catégories peu diplômées » (p. 12) ? Pourquoi certaines familles « sont systématiquement un peu moins confiantes que les autres dans la réussite du projet scolaire […] alors même que leur profil est celui des bénéficiaires du système scolaire et universitaire et de sa rentabilité professionnelle » (p. 17-18) ? Interpréter ces constats demande de mobiliser d’autres travaux. Les résultats d’une enquête précieuse et colossale frôlent donc parfois le registre de la confirmation des recherches déjà réalisées (p. 18). Certes, Réorganisation des temps enfantins est loin de se limiter à une simple confirmation des savoirs déjà établis puisque l’ouvrage apporte des précisions utiles et explore plusieurs pistes. On peut ainsi conclure en suggérant qu’il représente une excellente introduction et un cadrage important pour une étude qualitative des temps des enfants.

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Notes

1 Pour plus d’information sur l’enquête Elfe, voir : Pirus Claudine, Bois Corinne, Dufourg Marie-Noëlle, Lanoë Jean-Noël, Vandentorren Stéphanie, Leridon Henri et l’équipe Elfe, « La construction d’une cohorte : l’expérience du projet français Elfe », Population, vol. 65, n° 4, 2010, p. 637-670, disponible en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/popu.1004.0637.

2 Berthomier Nathalie, Octobre Sylvie, Enfants et écrans de 0 à 2 ans, Ministère de la Culture – DEPS, coll. « Culture Études », 2019 ; Berthomier Nathalie, Octobre Sylvie, Primo-socialisation culturelle par les climats familiaux, Ministère de la Culture – DEPS, coll. « Culture Études », 2019.

3 Chamboredon Jean-Claude, Prévot Jean, « Le “métier d’enfant” : définition sociale de la prime enfance et fonctions différentielles de l’école maternelle », Revue française de sociologie, n° 14, 1973, p. 295-335, disponible en ligne : https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1973_num_14_3_2215.

4 Signalons que la conception de l’usage des écrans comme activité à priori non-éducative fait l’objet des débats. Voir à ce sujet : Tessier Laurent, Saint-Martin Arnaud (dir.), Les dossiers de l’écran. Controverses, paniques morales et usages éducatifs des écrans, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2020.

5 Octobre Sylvie, Berthomier Nathalie, Facq Florent, « La primo-socialisation culturelle durant la première année de la vie à travers l’enquête ELFE », Revue de l’OFCE, n° 156, 2018, p. 43-76, disponible en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/reof.156.0043.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Victoria Chantseva, « Nathalie Berthomier, Sylvie Octobre, Réorganisation des temps enfantins à l’entrée en maternelle des enfants de la cohorte Elfe », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 avril 2021, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/48702 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.48702

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Rédacteur

Victoria Chantseva

Doctorante en sciences de l’éducation au sein du laboratoire EXPERICE, Université Sorbonne Paris Nord.

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