Patrick Hassenteufel et Sabine Saurugger, Les politiques publiques dans la crise
Texte intégral
- 1 À l’image des deux grands ouvrages classiques : Peter Gourevitch, Politics in Hard Times, New York, (...)
- 2 Cette dichotomie oppose ceux qui considèrent soit que la crise n’a pas eu d’effet particulier sur l (...)
1Autour d’un questionnement classique analysant l’effet des crises sur l’évolution des politiques publiques1, les études réunies dans cet ouvrage montrent comment l’action publique a surmonté la crise économique et financière de 2008. Ce moment particulier de l’histoire économique et politique a, en effet, été marqué par une baisse nette de la croissance économique en raison de spéculations sur les marchés immobiliers américains et de la prise de risque excessive de certains agents économiques (en particulier les banques) qui ont débouché sur une crise de panique planétaire, réduisant de manière imprévisible l’accès du monde entier aux liquidités et aux sources de financement nécessaires… Sans réduire l’analyse des politiques publiques qui ont découlé de la crise à une opposition simpliste entre continuité et ruptures2, les auteurs mobilisent une approche comparative qui porte toute son attention aux institutions, aux idées et aux acteurs de l’action publique.
2Dans une introduction exigeante, Patrick Hassenteufel et Sabine Saurugger exposent l’orientation générale de l’ouvrage : ils estiment que pour comprendre ce que les diverses crises qui ont jalonné l’histoire (et en particulier depuis celles des années 1970) changent en termes de politiques publiques, il faut utiliser une approche relationnelle. Comme un miroir des enjeux de la crise épidémique et sanitaire actuelle, il est nécessaire de saisir l’ensemble des facteurs qui agissent simultanément en faveur de la continuité d’une part ou de la rupture d’autre part. Les politiques publiques dans la crise est un ouvrage qui traduit ainsi une volonté de mettre en valeur les interdépendances entre les politiques publiques, notamment l’articulation entre les aspects budgétaires et les différents aspects sectoriels (économie, emploi, environnement…). En prenant appui sur les relations de pouvoir qui favorisent ou freinent l’action publique, les contributions de ce livre visent à illustrer comment changent concrètement des politiques aussi bien en termes de contenu que leurs aspects pratiques (quelle autorité mène quelle politique). Hassenteufel et Saurugger montrent ainsi comment se façonne la politique dans le contexte particulier des crises qui constituent souvent des opportunités pour les acteurs. Les réseaux d’influence, les coalitions politiques essaient d’imposer leurs agendas dans ce cadre renouvelé.
- 3 Le risque systémique concerne un évènement négatif qui a lieu dans la sphère financière (banques ou (...)
3L’ouvrage comporte 10 chapitres qui traitent de différentes politiques à des échelles variées. On y découvre aussi bien les évolutions de la gouvernance économique européenne que l’impact de la crise sur les politiques de défense ou la protection sociale. Cette richesse analytique permet de comprendre et d’expliquer les enjeux d’une intervention publique et supranationale spécifique dans un contexte d’urgence où les décisions ont de lourdes conséquences. Cet éclairage illustre les tendances à l’œuvre au sein des politiques publiques depuis plusieurs années (en particulier l’impact des politiques d’austérité) autant que les leviers qui permettent de les infléchir ou de les renforcer. Claude Dostie et Stéphane Paquin dressent ainsi le « tournant macroprudentiel » qui a lieu en Europe à l’occasion de la crise de 2008. Comme une grande partie des dysfonctionnements a découlé du comportement risqué des banques, les autorités financières ont fait évoluer leur mode de régulation pour surveiller les risques systémiques3. Cette démarche prend appui sur les savoirs économiques qui permettent de justifier cette nouvelle approche et vise à obtenir un consensus sur les techniques adaptées de surveillance (les débats portent ainsi sur l’efficacité d’une réglementation contraignante ou l’élaboration de normes par les banques elles-mêmes). Sabine Saurugger et Fabien Terpan approfondissent cette analyse dans le deuxième chapitre en mettant en valeur la reconfiguration de la gouvernance économique européenne autour d’un rôle renforcé des institutions supranationales qui se réaffirment par rapport aux États. En comparant la quasi-absence de reconfiguration en 2002 à l’occasion des dépassements des critères macroéconomiques de stabilité établis lors du passage à la monnaie unique et la place centrale occupée par la Banque centrale européenne (BCE) ou la Commission européenne en 2008 pour tenter de limiter les effets néfastes de la crise financière, les auteurs illustrent concrètement la manière dont la sévérité de la crise peut générer du changement.
- 4 Le court-termisme des gouvernements et parlements obsédés par leur élection ou réélection doit ains (...)
4Clément Fontan analyse pour sa part spécifiquement l’action de la BCE pendant la crise de la zone euro consécutive à celle de 2008. L’intervention nécessaire des États pour garantir la liquidité sur les marchés, préserver l’investissement et l’emploi grâce à une politique budgétaire expansionniste et un endettement public accru s’est progressivement transformée en crise de la dette avec une remise en question de l’efficacité et de la crédibilité de l’action publique… Dans ce contexte paradoxal, la BCE a su, dans le cadre des traités qui organisent son action, remodeler son indépendance pour rassurer les acteurs. Fontan souligne toutefois que cette indépendance réaffirmée a été particulièrement forte pour dépasser les logiques électorales et politiques4, alors que les acteurs financiers subissent rarement le même degré de contraintes. Dans une logique très proche, David Howarth livre une analyse emblématique de la qualité des contributions de l’ouvrage : en cherchant à comprendre comment expliquer les réformes du secteur financier en Europe, il décrit la combinaison entre l’action et la volonté des acteurs, la diffusion et l’acceptation des idées ainsi que la structuration des institutions qui en permettent la mise en œuvre. De même, la création d’Institutions budgétaires indépendantes (IBI) décrite par Denis Saint-Martin permet d’exposer la nouvelle conception des finances publiques qui tente de s’imposer à l’occasion de la crise. Celle d’une expertise éloignée de l’engagement partisan, reposant sur des données fiables et incontestables, mais qui vient contester le monopole bureaucratique des administrations des finances… qui s’efforcent donc logiquement d’en réduire la portée.
5La contribution de Claire Dupuy se penche sur les relations entre le centre et les périphéries en Europe. Elle analyse l’impact de la crise sur les demandes d’autonomie ou d’indépendance régionales (avec les exemples de l’Écosse, de la Catalogne ou des Länder allemands) et montre que chaque pays a fait face à la crise dans un contexte particulier, tant d’un point de vue réglementaire que politique. Le chapitre suivant, rédigé par Catherine Hoeffler, Jean Joana et Frédéric Mérand, décrit l’impact de la crise sur la politique de défense en France. Dans ces deux entrées, on souligne autant la continuité des politiques menées avant et après la crise que les variations qui lui sont liées. Ainsi, les conflits de redistribution entre régions sont exacerbés par les politiques d’austérité, tandis que la France décide un investissement massif dans sa défense malgré la crise pour faire face à la menace terroriste. Les chapitres suivants de Louise Lartigot-Hervier puis de Mehdi Arrignon et Hélène Caune étudient les politiques sociales (la protection sociale et l’emploi dans la crise). On constate que, même si la sévère contraction économique de 2008 a montré la nécessité d’une intervention publique dans le domaine social, les trajectoires des réformes engagées préalablement (inspirée d’une logique d’efficacité et de maîtrise des coûts d’inspiration managériale) n’ont été remises en cause que de manière très marginale.
6Le dernier chapitre aborde les politiques environnementales et exprime à nouveau le paradoxe de la crise dans un domaine récent de l’action publique. Alors que de nouvelles formes de relance économique pourraient être initiées (une politique d’investissement dans des productions écologiques avec des emplois locaux et respectueux de l’environnement), cela suppose une appropriation et une traduction par des acteurs politiques et des institutions qui en influencent le contenu et le sens… qui n’est toujours pas stabilisée. Au final, cet ouvrage nous livre un éclairage intellectuel et historique impressionnant des effets de la crise sur l’action publique. Les sciences politiques analysent ainsi aussi bien les choix passés que les alternatives futures.
Notes
1 À l’image des deux grands ouvrages classiques : Peter Gourevitch, Politics in Hard Times, New York, Cornell University Press, 1986 et Michel Dobry,: Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de Sciences Po, 1986.
2 Cette dichotomie oppose ceux qui considèrent soit que la crise n’a pas eu d’effet particulier sur les politiques mises en place (continuité), soit que la crise a modifié en profondeur l’action publique (rupture).
3 Le risque systémique concerne un évènement négatif qui a lieu dans la sphère financière (banques ou marchés) et qui se diffuse à l’ensemble des acteurs générant ainsi une crise globale.
4 Le court-termisme des gouvernements et parlements obsédés par leur élection ou réélection doit ainsi laisser place à des réformes structurelles visant à améliorer le fonctionnement concurrentiel des marchés du travail ou des capitaux.
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Référence électronique
Guillaume Arnould, « Patrick Hassenteufel et Sabine Saurugger, Les politiques publiques dans la crise », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 avril 2021, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/48697 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.48697
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