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Lionel Fontagné, La feuille de paye et le caddie. Mondialisation, salaires et emploi

Edouard Couëtoux
La feuille de paye et le caddie
Lionel Fontagné, La feuille de paye et le caddie. Mondialisation, salaires et emploi, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Sécuriser l'emploi », 2021, 144 p., ISBN : 9782724626858.
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Texte intégral

1Dans cet ouvrage, Lionel Fontagné recourt à l’analyse économique pour expliquer la perception mitigée et clivée de la mondialisation par les citoyens des pays occidentaux. Aux yeux des habitants des pays riches, la mondialisation est ambivalente : source de prix bas et de diversité des produits, elle est aussi associée à des inquiétudes sociales relatives aux pertes d’emplois et à la stagnation voire au recul des salaires. En outre, l’appréciation des effets de la mondialisation dépend fortement des caractéristiques socio-économiques des personnes interrogées : les individus les plus éduqués, les plus urbains et les mieux rémunérés déclarent bénéficier de la mondialisation beaucoup plus que les autres catégories. Selon l’auteur, cette perception différenciée des effets de la mondialisation s’explique par la manière dont le marché du travail des pays occidentaux s’ajuste au dynamisme des importations, des exportations et des délocalisations d’activités productives. L’ouvrage offre ainsi une étude précise de la manière dont la mondialisation transforme le marché du travail dans les pays riches.

2L’analyse est articulée autour de quatre chapitres. Tout d’abord, l’auteur documente la dégradation de la situation de certaines catégories de travailleurs tant en termes de salaires que d’emploi depuis les années 1990. Le deuxième chapitre identifie les mécanismes par lesquels la croissance des importations en provenance des pays à bas salaires produit des transformations sur le marché du travail qui nuisent aux salariés les moins qualifiés et bénéficient aux plus qualifiés. Le troisième chapitre expose les méthodes et résultats de la littérature empirique et théorique qui a cherché à un établir un lien de causalité entre progrès de la mondialisation et évolution des salaires, de l’emploi et des inégalités dans les pays occidentaux depuis une trentaine années. Enfin, Lionel Fontagné consacre son dernier chapitre à l’enjeu complexe des relations entre les délocalisations et le marché du travail. La densité de l’analyse ainsi que l’abondance de références empêchent de rendre compte de manière détaillée de l’ouvrage dans ce compte-rendu. Il nous paraît donc préférable de résumer les analyses qui nous ont semblé les plus originales et les plus fertiles pour la réflexion.

3Tout d’abord, l’ouvrage nous rappelle que la production des biens et services exposés à la concurrence des pays à bas salaires, des produits abrités et des produits exportés par les pays riches ne nécessite pas les mêmes compétences. Ainsi, la mondialisation génère des effets inégaux sur les revenus et l’emploi des différentes catégories de travailleurs. L’auteur souligne que deux catégories de « perdants de la mondialisation » absorbent l’essentiel des coûts de la mondialisation subis par les pays occidentaux suite à la montée en puissance des pays à bas salaires. D’une part, il y a les perdants « absolus ». Ce sont les travailleurs dont l’emploi disparaît en raison de la concurrence des importations depuis les pays à bas salaires. En effet, lorsqu’un pays importe un produit, il importe en réalité le travail contenu dans le produit acheté c’est-à-dire le travail qui a été nécessaire à sa production. Or le progrès technique (baisse des coûts de transports et amélioration des techniques de gestion de la complexité grâce au numérique) conjugué à la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges internationaux a permis une croissance forte des importations en provenance des pays à bas salaires, parmi lesquels la Chine occupe une place prépondérante. Ces pays se sont concentrés sur l’exportation de produits industriels riches en travail routinier non qualifié. Dès lors, la demande de travail routinier non qualifié a baissé dans les pays riches, conduisant à la destruction d’emplois d’ouvriers non qualifiés dans l’industrie. Les perdants absolus de la mondialisation sont souvent des salariés cumulant plusieurs caractéristiques : ils sont peu qualifiés et occupent des emplois routiniers aisément codifiables, ils sont souvent installés dans des bassins d’emploi où la proportion de travailleurs faiblement qualifiés est forte et où le tissu économique local est structuré autour des secteurs directement concurrencés par les importations depuis les pays à bas salaires. En outre, ils ont souvent des compétences très spécifiques à leur secteur d’activité initial. Ainsi, s’ils retrouvent un emploi après leur licenciement (ce qui est loin d’être toujours le cas), ils sont réembauchés à des salaires moindres dans des activités de services. D’autre part, beaucoup de salariés non qualifiés sont des perdants « relatifs » de la mondialisation, c’est-à-dire que leur pouvoir d’achat décroche par rapport aux plus qualifiés. Ce décrochage est le résultat d’un creusement des inégalités par le bas et par le haut. Dans les secteurs exposés à la concurrence des pays à bas salaires, même lorsque la production reste localisée dans les pays riches, la pression à la baisse sur les prix réduit la valeur ajoutée générée par la production et donc la masse salariale à distribuer aux salariés en poste. Par conséquent, dans ces secteurs, les salaires augmentent moins vite que la productivité, ce qui affecte particulièrement les salariés peu qualifiés, très présents dans ces secteurs. Au contraire, les salariés qualifiés ont bénéficié d’une hausse soutenue de leur pouvoir d’achat. En effet, la mondialisation a augmenté la demande de travail qualifié par deux mécanismes. D’une part, la mondialisation a bénéficié aux entreprises exportatrices qui emploient relativement plus de travailleurs qualifiés que les autres. D’autre part, elle a amplifié la fragmentation des chaînes de valeur ce qui a accru la demande de travailleurs capables de gérer la complexité de la production et d’assurer la coordination de ses différentes étapes. L’augmentation de la demande de travail qualifié s’est enfin traduite par une augmentation des salaires des travailleurs concernés.

  • 1 Autor David H., Dorn David, Hanson Gordon H., « The China Syndrome: Local Labor Market Effects of I (...)

4Par ailleurs, Lionel Fontagné consacre de larges développements à la « rupture méthodologique majeure » (p. 70) quant à la mesure des effets de la mondialisation sur l’emploi et les salaires, intervenue dans les années 2010 grâce aux travaux de David Autor, David Dorn et Gordon Hanson1. Cette rupture est née des interrogations sur le lien entre montée en puissance de la Chine dans le commerce mondial et recul de l’emploi industriel aux États-Unis. Pour tester l’existence d’un lien de causalité entre ces deux phénomènes concomitants, les économistes cités se sont focalisés sur les marchés du travail locaux. Ils ont calculé l’exposition aux importations chinoises de chacune des 700 zones d’emploi américaines. Puis, ils ont comparé l’évolution de l’emploi et des salaires dans les zones d’emploi en fonction de cette exposition. Quelques conclusions ressortent de cet exercice : la concurrence des produits chinois expliquerait respectivement 16 % et 26 % des pertes d’emplois industriels américains dans les décennies 1990-2000 et 2000-2010. En revanche, l’impact sur les salaires semble plus ambivalent : l’évolution des salaires dans l’industrie ne paraît pas impactée par le degré d’exposition aux importations chinoises de la zone d’emploi alors qu’il existerait une relation négative entre exposition aux importations chinoises et niveau des salaires dans les services. Cette relation s’expliquerait sans doute par la diminution de la demande pour les services produits localement dans les zones d’emploi très exposées aux importations chinoises. La lecture de ces résultats conduit l’auteur à formuler deux remarques. Premièrement, il souligne que le nombre d’emplois détruits par la concurrence des produits chinois est assez faible relativement à la taille de l’économie américaine. Ces pertes d’emplois sont surtout problématiques parce qu’elles sont concentrées sur un petit nombre de zones. Lionel Fontagné explique que cette remarque est valable pour la plupart des pays occidentaux. Deuxièmement, selon l’auteur, cette méthode est aveugle aux « effets de bouclage macroéconomique » (p. 77). En effet, pour calculer les pertes d’emploi liées à la concurrence chinoise au niveau national, cette méthode additionne les effets locaux constatés sur les 700 zones d’emploi. Or en procédant de cette manière, les économistes font l’hypothèse implicite que les zones d’emploi les moins exposées aux importations de produits chinois ne sont pas du tout impactées par le commerce avec la Chine. Cette hypothèse semble difficilement justifiable car le développement des importations chinoises à bas prix a libéré du pouvoir d’achat, générant la création d’activités et d’emplois dans d’autres secteurs (en particulier les services). En outre, les entreprises exportatrices américaines ont bénéficié de consommations intermédiaires moins coûteuses et donc favorables à leur compétitivité, ce qui leur a sans doute permis de développer leur activité et de créer de l’emploi. Enfin, l’intensification du commerce avec la Chine a aussi donné accès à de nouveaux marchés d’exportation aux entreprises des pays occidentaux. Tous ces effets potentiellement positifs du développement des échanges commerciaux avec la Chine ne peuvent pas être pris en compte par la méthode des zones d’emploi. En conséquence, le recours exclusif à cette méthode aboutit à une surestimation des destructions d’emploi dans les pays occidentaux liées à la croissance du poids de la Chine dans le commerce mondial.

5En conclusion, La feuille de paye et le caddie est un ouvrage assez facile d’accès offrant une synthèse actualisée et critique des travaux sur le lien entre mondialisation et marché du travail dans les pays occidentaux. L’ouvrage explicite les mécanismes théoriques par lesquels la mondialisation produit des effets sur le marché du travail et teste la portée explicative de chacun d’entre eux en mobilisant une bibliographie empirique conséquente.

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Notes

1 Autor David H., Dorn David, Hanson Gordon H., « The China Syndrome: Local Labor Market Effects of Import Competition in the United States », American Economic Review, vol. 103, n° 6, 2013, p. 2121-2168.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Edouard Couëtoux, « Lionel Fontagné, La feuille de paye et le caddie. Mondialisation, salaires et emploi », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 avril 2021, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/48668 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.48668

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