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Jean-Yves Rochex (dir.), « Hommage à Viviane Isambert-Jamati », Revue française de pédagogie, n° 206, 2020

Noé Fouilland
Hommage à Viviane Isambert-Jamati
Jean-Yves Rochex (dir.), « Hommage à Viviane Isambert-Jamati », Revue française de pédagogie, n° 206, 2019, 165 p., Lyon, ENS Éditions, ISBN : 9791036202254.
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Texte intégral

1Disparue en novembre 2019, Viviane Isambert-Jamati laisse derrière elle une œuvre particulièrement féconde pour la sociologie de l’éducation. C’est en son hommage, et afin de mieux faire connaître ses travaux, que la Revue française de pédagogie lui consacre l’intégralité de son 206e numéro. L’introduction rédigée par Jean-Yves Rochex revient sur le parcours académique et scientifique de cette figure de la sociologie de la deuxième partie du XXe siècle. Elle propose de distinguer trois grandes orientations au sein de ses travaux, présentant chacune des apports originaux : les transformations des institutions scolaires dans leurs relations avec les structures sociales, d’une part ; les acteurs de l’école, leurs pratiques, leurs représentations ainsi que la variation de celles-ci, d’autre part ; et enfin la spécificité des institutions scolaires, en particulier de leurs contenus.

  • 1 Viviane Isambert-Jamati, Les savoirs scolaires. Enjeux sociaux des contenus d'enseignement et de le (...)

2Ce sont neuf textes de Viviane Isambert-Jamati « difficilement accessibles et trop souvent méconnus dans les milieux de la recherche en éducation » (p. 18) qui ont été choisis pour constituer le cœur du numéro. Non publiés dans les revues classiques de sociologie française, ces textes parus entre 1973 et 2005 ne présentent pas, à la différence des articles réunis dans Les savoirs scolaires1, d’enquête empirique inédite. Ils n’en contribuent pas moins à « la réflexion sur nombre de thématiques ou d’objets d’étude de la sociologie de l’éducation, mais aussi [à] sa réflexion sur elle-même » (p. 18).

3Les deux premiers textes témoignent de la volonté constante de Viviane Isambert-Jamati d'ouvrir la sociologie de l’éducation française : à la discipline historique, tout d’abord, le premier article revenant, grâce aux travaux d’histoire de l’éducation, sur les transformations du système scolaire en lien avec celles des activités économiques au cours du XIXe et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ; aux travaux anglo-saxons, ensuite, le deuxième texte présentant la diversité et les limites des enseignements de compensation mis en place aux États-Unis à destination d’élèves perçus comme présentant des « handicaps socio-culturels ». Pour autant, selon elle, cette ouverture ne doit pas conduire à des emprunts incontrôlés entre disciplines, emprunts qui se présentent souvent davantage comme des bricolages commodes pour boucher certains trous de la connaissance que comme de véritables progrès scientifiques, et Viviane Isambert-Jamati se revendique, dans le huitième texte du numéro, comme résolument en faveur des sciences de l’éducation, aux perspectives disciplinaires distinctes.

4Quatre textes manifestent l’attachement de l’auteure à une réflexivité historique sur son champ de recherches et sur les questions qu’il se pose ou qu’on tend à lui assigner. Le troisième article du numéro traite ainsi de l’émergence de « l’échec scolaire » comme problème social, au travers d’une analyse des livres publiés par la nébuleuse d’auteurs considérés comme ayant une influence sur les représentations de l’école et de son public. Le cinquième texte, issu d’une conférence, revient sur l’histoire de la sociologie de l’éducation en France, depuis les grands systèmes théoriques de la reproduction sociale et de l’école capitaliste jusqu’aux analyses qui prônent un « retour à l’acteur » ou qui s’intéressent aux contenus d’enseignement et aux pratiques pédagogiques. Le septième texte est original en ce qu’il se propose de définir les jalons d’une histoire des relations entre le ministère de l’Éducation nationale et les recherches en sciences de l’éducation. L’auteure y décrit la réticence de l’administration à soutenir un champ de recherches qui risque de mettre en cause son autorité, celui-ci se développant dès lors principalement grâce à des institutions de recherche relativement autonomes (INED, CNRS, laboratoires universitaires). Extrait d’un rapport au ministère, le dernier texte se veut à la fois bilan des recherches menées sur le fonctionnement du système éducatif et force de propositions des thèmes à développer et des moyens à mettre en œuvre pour favoriser la diffusion de ces recherches auprès des acteurs de l’institution scolaire.

  • 2 Voir en particulier les travaux des chercheur∙se∙s de l’équipe ESCOL (Bernard Charlot, Elisabeth Ba (...)

5Enfin, deux textes, bien que parus à trois décennies d’écart (1976 et 2005), présentent encore aujourd’hui la plus grande actualité et peuvent être lus comme des programmes de recherche toujours inachevés. Le premier – qui correspond au quatrième texte du numéro – a pour ambition de montrer en quoi la politique scolaire incite les enseignant∙e∙s à un comportement différenciateur au détriment des enfants de la classe ouvrière, mais aussi de souligner les contradictions du système éducatif, que les enseignant∙e∙s peuvent utiliser pour agir en faveur de ces enfants. Viviane Isambert-Jamati y ébauche un portrait complexe des divers biais par lesquels le fonctionnement scolaire reproduit les inégalités sociales, abordant les différences d’offre scolaire selon la composition sociale des territoires, les demandes de mutation des enseignant∙e∙s, leurs pratiques favorables aux enfants de milieux aisés et leurs méthodes involontairement élitistes. Déclarant que « l’unicité de l’école publique est un mythe » (p. 62), elle ouvre la voie à l’étude empirique des médiations, variables dans l’espace et dans le temps, entre les positions sociales et les positions scolaires. Elle propose également une distinction heuristique entre deux types de contenus scolaires, ceux proprement idéologiques car visant à justifier les rapports sociaux existants, qu’il faut critiquer, et ceux qui ont un effet objectivement sélectif, mais sont essentiels à la scolarisation, et qu’il faut s’exercer de rendre plus accessibles aux enfants de milieux défavorisés. Le sixième texte du numéro est pour sa part entièrement consacré aux contenus d’enseignement et à leurs appropriations par les élèves. L’auteure y explique n’avoir « jamais fait porter [s]on investigation sur les élèves, ni […] proprement suscité une démarche de ce genre autour d’[elle] » (p. 85), considérant que ce type d’études était du ressort des psychologues et que les élèves ne pouvaient être appréhendés comme des sujets sociaux. Elle appelle désormais de ses vœux les travaux sociologiques sur les capacités produites par l’école chez les élèves, sur leurs transformations intellectuelles ainsi que leurs rapports au savoir. À ce sujet, il faut à ses yeux fixer des limites au relativisme sociologique : bien que les savoirs soient certes socialement construits, ils ne peuvent être considérés comme totalement arbitraires. Si les travaux sur l’appropriation des savoirs se font plus nombreux depuis les années 19902, les propos de Viviane Isambert-Jamati résonnent toujours tant les études sont encore loin de couvrir l’éventail des (non-)acquisitions cognitives à l’école et tant la question du caractère arbitraire des savoirs enseignés demeure posée.

  • 3 Jérôme Deauvieau et Jean-Pierre Terrail ont par exemple réédité son article avec Marie-France Grosp (...)

6En définitive, l’ensemble des articles témoignent de la fécondité d’une pensée qui, se tenant à distance des grands systèmes théoriques, avance avec précaution en s’attachant à restituer la complexité et l’historicité des phénomènes éducatifs. Ne manque pour clôturer ce numéro qu’une étude de la réception des travaux de Viviane Isambert-Jamati au sein de la sociologie de l’éducation française et au-delà, dans la continuité de la réflexivité qu’elle s’est toujours efforcée d’exercer vis-à-vis de son propre champ de recherches. La réédition de ses travaux dans la Revue française de pédagogie, comme dans d’autres supports3, est en tous cas une nouvelle preuve de la vitalité de son héritage pour les chercheur∙se∙s contemporain·e·s.

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Notes

1 Viviane Isambert-Jamati, Les savoirs scolaires. Enjeux sociaux des contenus d'enseignement et de leurs réformes, Paris, L’Harmattan, 1995.

2 Voir en particulier les travaux des chercheur∙se∙s de l’équipe ESCOL (Bernard Charlot, Elisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex, Stéphane Bonnéry, etc.).

3 Jérôme Deauvieau et Jean-Pierre Terrail ont par exemple réédité son article avec Marie-France Grospiron sur les différentes pédagogies du français adoptées par les enseignant∙e∙s de lycée et la variation sociale de leurs résultats : Isambert-Jamati Viviane et Grospiron Marie-France, « Types de pédagogie du français et différenciation sociale des résultats. L’exemple du travail autonome au second cycle long », in Jérôme Deauvieau et Jean-Pierre Terrail (dir.), Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs. Dix ans après, Paris, La Dispute, 2017 [2007], p. 189-225, compte rendu d’Igor Martinache pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.23054.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Noé Fouilland, « Jean-Yves Rochex (dir.), « Hommage à Viviane Isambert-Jamati », Revue française de pédagogie, n° 206, 2020 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 janvier 2021, consulté le 13 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/46177 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.46177

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Rédacteur

Noé Fouilland

Doctorant en sociologie à l’Université de Tours, membre de l’équipe COST (UMR 7324 CITERES).

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