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Philippe Aldrin et Éric Agrikoliansky (dir.), « Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique », Politix, n° 128, 2019

Jordan Gamaire
Faire avec la politique
Philippe Aldrin, Eric Agrikoliansky (dir.), « Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique », Politix, n° 128, 2019, 208 p., Paris, De Boeck, ISBN : 9782807392960.
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Texte intégral

  • 1 VTC : voiture de transport avec chauffeur.

1Ce numéro 128 de la revue Politix est consacré à l’étude d’une catégorie d’acteurs impliqués dans des activités politiques, qui ne sont ni des professionnels ni des profanes de la politique – certains jouent même un rôle important dans des mobilisations. Les chercheur·euses intervenant dans ce numéro se proposent d’étudier les espaces dans lesquels ces acteurs novices, amateurs ou intermittents font « de la politique » et font « avec le politique » (p. 13) : comment parviennent-ils à interagir avec les professionnels, mais aussi à développer et utiliser des compétences qui vont au-delà de la simple connaissance du monde institutionnel ? Ces questions sont appréhendées dans les différents articles « comme un ensemble de techniques et de tactiques étudiées en pratique, c’est-à-dire dans les pratiques et in situ » (p. 17). Le dossier est construit autour de quarte articles qui, chacun, rend compte d’une enquête : celle de Philippe Aldrin et Marie Vannetzel s’intéresse aux acteurs secondaires de la politique dans deux petites villes de France ; celle de Sarah Abdelnour et Sophie Bernard porte sur la socialisation militante des chauffeurs de VTC1 ; Etienne Ollion a enquêté à l’Assemblée nationale sur le début du mandat des députés novices du groupe de la République en Marche ; et Yolaine Gassier sur les représentants des artisans dans les instances paritaires régionales. Trois thématiques transversales sont développées au fil de ces quatre articles : la position d’entre-deux occupée par ces acteurs ; leur apprentissage des codes, rituels et compétences utiles dans les activités politiques ; et la mobilisation de ressources qu’ils ont acquises dans d’autres cadres.

2Même si certains acteurs prennent part à des actions politiques ou occupent des mandats dans les municipalités, ils ne se considèrent pas tous comme des professionnels. Certains mettent en place des stratégies pour se stabiliser dans un espace d’entre-deux, entre profane et professionnel. Cette posture d’entre-deux leur permet de gagner une légitimité politique face à des interlocuteurs importants tout en préservant leur légitimité professionnelle auprès des personnes qu’ils représentent. Sarah Abdelnour et Sophie Bernard décrivent ainsi les efforts produits par les porte-paroles des chauffeurs de VTC pour adapter leur discours : plutôt policé devant les politiques, mais plus virulent devant leurs collègues. Vis-à-vis de ces derniers, il s’agit de montrer qu’ils restent déterminés à les défendre et « qu’en dépit de leur engagement syndical, ils demeurent des chauffeurs » (p. 77), pour éviter le « discrédit qui pèse sur les professionnels du militantisme » (p. 76). De la même manière, les représentants artisans étudiés par Philippe Aldrin et Marie Vannetzel endossent leur tenue de travail pour participer aux réunions des instances paritaires, ce qui leur permet de s’affirmer « plus légitimes que les gens du Medef pour parler du travail » (p. 134) en tant que représentants issus, et faisant toujours partie, du monde de l’artisanat. Philippe Aldrin et Marie Vannetzel décrivent aussi les efforts de certains associatifs impliqués dans des formes de cogestion avec les municipalités. Ces dernières sont en effet « tenues de faire des politiques sans faire de la politique » (p. 45), pour ne pas afficher d’appartenance partisane et ainsi éviter les soupçons de favoritisme dans la distribution des subventions. 

  • 2 LREM : La République en marche.

3L’implication dans des actions et mandats politiques nécessite l’apprentissage de certains codes et rituels, et plus généralement celui du travail politique. Dans son article sur les nouveaux députés du groupe LREM2, Etienne Ollion décrit leur apprentissage du travail politique et leurs réactions face à certaines dimensions de ce travail qui peuvent être source de frustration pour ces novices de la politique : privilégier la recherche des punchlines face aux journalistes, accepter le temps perdu avant les discours de représentation dans d’innombrables cérémonies et événements, où que ce qui compte est parfois davantage leur simple présence dans l’hémicycle que leur contribution réelle aux débats. Pour ce qui est du militantisme politique, l’étude de la mobilisation des chauffeurs de VTC met en lumière des exemples d’apprentissage des rituels et compétences politiques au fil des moments de lutte. Ces compétences, comme « prendre la parole en public voire devant les médias, rédiger des tracts et édicter des revendications, négocier avec les pouvoirs publics et avec la police », s’acquièrent « sur le tas » (p. 71), transmises par des personnes issues du monde syndical, ou remobilisent des savoir-faire acquis au fil d’activités professionnelles antérieures. 

4Ces acteurs politiques ne débutent pas leur engagement sans aucunes ressources. Ainsi, Tarik, chauffeur de VTC, explique que ses facilitées à prendre la parole lui viennent d’un « parcours de débrouille économique », qui l’a obligé à développer des ressources de sociabilité. Il a appris à adapter sa manière de se tenir et de parler, ce qui lui est tout aussi utile dans le cadre de son travail de chauffeur haut de gamme que dans les mobilisations lors desquelles il doit répondre aux journalistes. Les représentants artisans étudiés par Yolaine Gassier rapportent des expériences similaires. Albert, l’un des enquêtés, raconte que, « dans son métier comme dans le syndicalisme, [il] adapte sa manière d’être en fonction du niveau d’enjeu et du type de public rencontré » (p. 135). 

5Pour clore ce dossier, Eric Agrikoliansky et Philippe Aldrin rassemblent dans un débat quatre chercheuses et chercheurs qui ont chacun·e participé à des enquêtes sur les Gilets jaunes. Zakaria Bendali, Raphaël Challier, Magali Della Sudda et Olivier Fillieule ont tou·te·s les quatre travaillé par questionnaires, entretiens et/ou observations, sur plusieurs terrains occupés par les citoyens mobilisés (sur les ronds-points dans plusieurs régions de France, dans les assemblées générales et à l’Assemblée des assemblées, ou sur des groupes). Leurs échanges, en plus d’apporter un éclairage bienvenu sur la sociologie de ce mouvement qui a rompu avec les mobilisations menées par les organisations politiques et syndicales, mettent en lumière certains éléments que l’on retrouve dans les articles de ce dossier. Plusieurs parallèles peuvent être fait avec les chauffeurs VTC par exemple : on observe chez les Gilets jaunes un rejet des organisations militantes traditionnelles, des processus de « protagonisme » (p. 150) et de politisation des acteurs au fil des mobilisations, mais aussi l’exploitation de ressources professionnelles valorisées dans le cadre de la lutte (comme des savoir-faire manuels utiles pour construire les cabanes sur les ronds-points).

6Par la mise en parallèle d’enquêtes empiriques décrivant des situations dans lesquelles des profanes deviennent des acteurs politiques, les autrices et auteurs de ce numéro ont permis de mettre en lumière « les interstices que la littérature scientifique tend à négliger lorsqu’elle fige exagérément la coupure entre professionnels du métier politique et simples citoyens » (p. 3). Que ce soit en développant de nouvelles notions (comme celle de « lisière », par Aldrin et Vannetzel) ou des angles d’approche originaux (comme l’analyse des normes de certains champs à travers l’étude de leur apprentissage par les novices, que propose Etienne Ollion), les contributrices et contributeurs de ce dossier ouvrent des perspectives d’étude intéressantes, transposables à d’autres acteurs et terrains d’action politique.

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Notes

1 VTC : voiture de transport avec chauffeur.

2 LREM : La République en marche.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jordan Gamaire, « Philippe Aldrin et Éric Agrikoliansky (dir.), « Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique », Politix, n° 128, 2019 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 septembre 2020, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/44178 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.44178

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Rédacteur

Jordan Gamaire

Étudiant en master de sociologie à l’Université de Limoges et en master de science politique à l’Université Gustave Eiffel.

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