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Andrew Hopkins, Organising for safety. How structure creates culture

Michèle Dupré
Organising for Safety
Andrew Hopkins, Organising for Safety. How structure creates culture, Sydney, Wolters Kluwer, 2019, ISBN : 9781925894158.
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Texte intégral

  • 1 Michèle Dupré, « Compte rendu de l'ouvrage de A. Hopkins, Quiet Outrage. The Way of a Sociologist, (...)
  • 2 Notre traduction, pour toutes les citations présentées dans ce compte rendu.

1L’explosion à Beyrouth d’un silo contenant du nitrate d’ammonium le 4 août 2020 tout comme l’incendie du stock de l’usine Lubrizol le 26 septembre 2019 nous rappellent l’importance des risques industriels majeurs (RIM) et leur impact potentiellement dévastateur au sein des sites concernés, mais aussi pour l’environnement au sens large, social et naturel. Andrew Hopkins, sociologue australien émérite, a consacré sa carrière à analyser les grands accidents survenus de par le monde pour tenter de comprendre la manière dont les organisations à risques « produisent » la politique de prévention. Son précédent ouvrage retraçait son itinéraire intellectuel autour de cette question1. Le présent livre s’organise autour de onze chapitres courts, chacun doté d’une conclusion synthétisant l’argumentation avancée. Il faut dire qu’Andrew Hopkins, s’il est lu par toute la communauté scientifique anglo-saxonne travaillant sur les RIM, comme en témoignent les bibliographies des différents chercheurs la composant ou bien les échanges via des revues, entend s’adresser à un public plus large, incluant les professionnels des entreprises mais aussi les consultants, et notamment les comportementalistes, qu’il critique tout au long de l’ouvrage : « Les consultants en changement culturel adoptent une approche beaucoup plus individualiste, consistant à gagner les cœurs et les esprits ou à modifier les comportements individuels, approche qui laisse les structures organisationnelles de base inchangées »2 (p. 41).

2Le présent ouvrage est le quinzième livre d’Andrew Hopkins, dans lequel il entend expliciter une problématique qui lui tient à cœur : organiser la sécurité est une tâche qui revient aux managers, lesquels font des choix qui se révèlent parfois préjudiciables pour la sécurité. Par exemple, BP a opté pour une décentralisation de cette fonction, affaiblissant de ce fait les actions menées pour tenter de prévenir le danger (BP a connu deux grands accidents suite à cette décision stratégique : à la raffinerie de Texas City et sur la plate-forme de forage Macondo, dans le golfe du Mexique). Le chapitre 5, « le cœur de l’ouvrage » (p. 7), est consacré à l’entreprise anglaise et à sa stratégie en matière d’organisation de la sécurité : « L’ existence d’un lien évident entre, d’une part, la structure organisationnelle qui subordonnait les ingénieurs à leur hiérarchie et, d’autre part, la nature quelque peu négligente de leurs décisions d'ingénierie, a fini par contribuer à la catastrophe » (p. 60). Or, selon Hopkins, la culture en usage dans les directions des entreprises influe sur les modes d’organisation et confère à la fonction sécurité du process de plus ou moins grandes capacités d’intervenir sur les actions mises en œuvre dans ces entreprises. La structure crée la culture, telle est sa thèse, et « la culture de sécurité est une façon de faire qui met l’accent sur la sécurité » (p. 28). Par cette affirmation, Hopkins s’inscrit dans un débat autour de la culture de sécurité, brandie par de nombreux managers qui dénoncent le manque de rigueur des opérateurs et en font donc surtout une question individuelle. Le sociologue australien réplique en affirmant que si l’on interroge la culture de sécurité, alors il faut regarder de près la structure organisationnelle de l’entreprise et son impact sur le fonctionnement de la sécurité. Il faut par exemple pouvoir montrer que le service sécurité est en mesure de jouer comme contrepoids face « à la culture dominante du plus vite, mieux, moins cher » (p. 14). Ainsi, nombre d’organisations continuent à donner des primes à leurs managers, y compris aux responsables de la sécurité, en fonction des économies qu’ils permettent de réaliser, parfois aux dépens de la sécurité : « Il existe souvent un conflit entre les objectifs commerciaux des responsables hiérarchiques, qui incluent la minimisation des coûts, et les exigences de sécurité des processus, qui peuvent nécessiter des dépenses considérables » (p. 85). Par ailleurs, il ne suffit pas de manipuler un vocabulaire qui laisse accroire que la sécurité est comprise et acquise. Il faut par des actes transformer les pratiques tout au long de la chaîne hiérarchique. Hopkins rappelle ainsi que, lors d’un séminaire managérial peu de temps avant la catastrophe dans le golfe de Mexico, les managers de BP avaient à cœur de montrer qu’ils maîtrisaient le langage HRO (High Reliable Organisations – organisations à haute fiabilité –, courant de recherches développé par des chercheurs de Berkeley dans les années 1990) et ils invoquaient les signaux faibles et les signaux d’alerte sans évoquer la manière dont ils étaient pris en charge dans l’activité (p. 34). Cependant, la difficulté réside dans l’incapacité de ces organisations à développer une corrélation fiable entre des statistiques d’évènements et l’élément déclencheur d’un accident, et ce d’autant plus que sont agrégées dans ces données des éléments procédant d’une dynamique différente : sécurité au travail et sécurité du process. Les presque accidents pourraient alors, selon l’auteur, être source d’apprentissage ; or, dans de nombreuses entreprises à risques, c’est bien plutôt la rhétorique du succès qui est à l’œuvre, rendant aveugles à des glissements de l’organisation vers des situations dangereuses. Enfin, les firmes qui favorisent la prise en compte de la prévention agissent pour que les mauvaises nouvelles remontent afin qu’elles ne soient pas négligées dans l’action au quotidien, mais traitées en tant que telles comme des informations sur le niveau de sécurité atteint dans l’organisation.

  • 3 Mathilde Bourrier, Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, Paris, PUF, 1999.
  • 4 Michèle Dupré, Jean-Christophe Le Coze (dir.), Réactions à risque. Regards croisés sur la sécurité (...)
  • 5 Mathilde Bourrier, « An interview with Karlene Roberts », European Management Journal, vol. 23, n°  (...)

3Peu de sociologues travaillent sur cette question des RIM en France. La communauté des chercheurs travaillant sur les risques se concentre plus volontiers sur la sociologie politique des risques, sur les risques professionnels et sur les risques pour la santé. Encore moins de sociologues ont enquêté au sein des usines pour rendre compte de cette construction socio-technique de la sécurité du process, si ce n’est Mathilde Bourrier3, Ivanne Merle, Cynthia Colmellere et l’auteur de ce compte-rendu en lien avec Jean-Christophe Le Coze4 . Pourtant, dès 1984, suite à l’accident de la centrale nucléaire de Three Miles Island, James Scott, alors président de l’ASA (American Sociological Association), incitait les sociologues à aller démystifier ce qui se passait dans ces entreprises. Force est cependant de constater que l’accès à ces univers à risques est difficile, comme le soulignait déjà Karlene Roberts en 2005 dans un entretien avec Mathilde Bourrier (entrée difficulties)5.

4Que dire donc de cet ouvrage, qui comme les précédents est une importante contribution à la compréhension des modes de prévention des risques industriels majeurs ? Riche en éléments de description tirés de ces précédentes enquêtes, il poursuit clairement une visée normative : faire baisser le nombre des victimes des accidents majeurs, donc prendre part à la description sociologique qui permet de mieux saisir les enjeux au sein des organisations avec une volonté de changer les pratiques. Cependant, cet ouvrage résulte d’un positionnement épistémologique et d’une démarche méthodologique particuliers. Hopkins mène ces enquêtes dans des organisations qui ont connu un accident et qui cherchent à en comprendre les causes. Les documents dont il dispose lui sont confiés par l’entreprise : les rapports post-accidentels et de nombreux entretiens, essentiellement, mais pas exclusivement avec les managers. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’accent soit mis fortement sur la structure et sur les board rooms : « C’est la culture de la salle du conseil qui détermine la structure de l’organisation et son fonctionnement » (p. 9). Si l’on ne peut qu’accorder crédit à cette affirmation, il importe d’ajouter, en tant que sociologue du travail observant les divers niveaux d’action au sein de ces univers à risque majeur, que la structure ne fait pas tout. Jean-Daniel Reynaud nous a enseignés, en contrepoint de ce qu’avance Hopkins, que la culture d’une organisation, et donc aussi la culture de sécurité, résulte des régulations plurielles à l’œuvre, comme il ressort d’ailleurs de nos recherches. Mais pour pouvoir s’avancer sur cette piste d’interprétation, il convient d’observer le travail au quotidien, dans des situations ante-accidentelles, ce que le sociologue australien n’a jamais fait.

5Ces critiques ne remettent pas en cause tout l’intérêt de l’ouvrage de Hopkins, notamment pour tous ceux qui travaillent sur les univers à risques, mais aussi pour ceux qui tenteront de comprendre de l’intérieur la difficulté à mettre en œuvre une politique de prévention des risques qui engage de nombreux acteurs le long des chaînes hiérarchiques. Son importante contribution est une fois encore de critiquer la notion de safety culture, répétée ad nauseam par certains managers et consultants qui ne s’interrogent pas sur ses fondements. Rappeler également aux directions que leurs stratégies importent et qu’elles ne sont pas forcément cohérentes avec leur communication sur la sécurité comme enjeu majeur de l’organisation (safety first) quand de nombreux éléments attestent de leur volonté principale de réduire les coûts.

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Notes

1 Michèle Dupré, « Compte rendu de l'ouvrage de A. Hopkins, Quiet Outrage. The Way of a Sociologist, Sydney, Wolters Kluwer, 2016 », Revue française de sociologie, vol. 58, n° 2, 2017, disponible en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rfs.582.0301.

2 Notre traduction, pour toutes les citations présentées dans ce compte rendu.

3 Mathilde Bourrier, Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, Paris, PUF, 1999.

4 Michèle Dupré, Jean-Christophe Le Coze (dir.), Réactions à risque. Regards croisés sur la sécurité dans la chimie, Cachan, Lavoisier, coll. « Sciences du risque et danger », 2014.

5 Mathilde Bourrier, « An interview with Karlene Roberts », European Management Journal, vol. 23, n° 1, 2005, p. 93-97, disponible en ligne : https://archive-ouverte.unige.ch/documents/advanced_search?field1=journal.marc&value1=European+Management+Journal.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Michèle Dupré, « Andrew Hopkins, Organising for safety. How structure creates culture », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 août 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/43221 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.43221

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Rédacteur

Michèle Dupré

Sociologue du travail, chercheure au Centre Max Weber (UMR 5283), équipe TIPO (Travail, institutions, professions, organisations).

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