Hélène Buisson-Fenet, Olivier Rey (dir.), École et migration : un accord dissonant ?

Texte intégral
1École et migration, la 7e édition des Entretiens Ferdinand Buisson, s’est pris pour pari de réfléchir sur les capacités de l’école française à considérer et à valoriser les élevés allochtones et leurs parcours. Les publications de cette collection, issue chacune d’une conférence-débat, ont l’ambition de s’adresser à un public plus large que le milieu universitaire. L’ouvrage est divisé en trois parties qui correspondent au point de vue des chercheurs, à celui des praticiens, et enfin une partie « débat ». Ainsi, les constats des universitaires sont croisés avec les expériences des enseignants, formule qui dynamise la lecture réflexive de l’ouvrage. Y aurait-il des normes implicites de l’institution scolaire française qui empêcheraient l’inclusion des élèves allochtones et accentueraient leurs difficultés ? Le modèle universaliste républicain ignore-t-il les particularités de ses publics ? Au lieu de faciliter l’inclusion, produit-il des effets d’exclusion ? Telles sont les questions auxquelles le lecteur pourrait trouver des réponses à la lecture de ce recueil. Celui-ci offre d’ailleurs des points de vue divers sur ces nombreuses problématiques.
- 1 Pour exemple, voir l’article d’Alessandro Bergamaschi qui décrit comment se construit cette percept (...)
- 2 À ce sujet, voir Fassin Éric, « 6. Aveugles à la race ou au racisme : Une approche stratégique. » i (...)
- 3 Bachelet Prisca, Zaidman Claude, « École et migrants. Élément d’analyse », Les cahiers du CEDREF, 1 (...)
2Dès l’introduction, Hélène Buisson-Fenet et Olivier Rey annoncent les enjeux en faisant un état des lieux des représentations concernant les élèves issus de l’immigration. Depuis les années 1970, la question des difficultés scolaires de ces élèves se pose tantôt en termes de handicaps sociaux, tantôt de handicaps culturels1. Tout se passe comme s’il existait une norme implicite de la culture scolaire française, à laquelle les élèves allochtones auraient du mal à s’adapter à cause de caractéristiques perçues comme des déficits – comme c’est le cas de la langue d’origine. Ce débat n’est pas nouveau, et il rappelle la cristallisation de l’opposition entre l’universalisme et le multiculturalisme2. Le modèle multiculturaliste américain laisserait plus de place au contexte d’origine des publics. Alors qu’en France, l’institution scolaire représenterait un paradoxe : l’obligation scolaire y est précoce, mais c’est seulement à partir des années 1960 que l’on se questionne sur de possibles disparités entre l’élève étranger et l’élève autochtone. La question ainsi posée est donc : est-ce que le modèle républicain de l’aveuglement aux identités ethniques a renforcé la discrimination des élèves allochtones ? Dès les années 1980, différents chercheurs3 remarquent que parler des « élèves migrants » contribue à renforcer une image de cette population en en faisant une catégorie à part, avec tous les risques de ségrégation qui en résultent. Les auteurs avancent le même constat : cette catégorisation renforce « l’image complaisamment véhiculée de la migration comme fait homogène » (p. 9) et l’idée que les difficultés des migrants seraient inhérentes à leur condition d’étranger.
3Le premier article, signé par Claire Schiff, ouvre la partie intitulée « Point de vue des chercheurs ». Son auteure se questionne : « la réussite scolaire est-elle une affaire de mérite ou d’opportunités ? » (p. 13). La réponse n’a jamais été univoque, encore moins concernant les élèves migrants. Même si ces deux facteurs jouent un rôle dans la réussite, ce sont souvent les conditions d’accueil qui y sont déterminantes. Les modalités d’accueil ne permettent pas toujours de valoriser toutes les potentialités des élèves primo-arrivants. Alors que l’expérience migratoire serait un facteur de motivation et de persévérance pour les élèves, certains dispositifs auraient un impact pénalisant. S’y rajoutent aussi des inégalités territoriales, car les solutions ne sont pas les mêmes dans toutes les académies. L’auteure met ensuite la focale sur d’autres facteurs de réussite : notamment, la première année de scolarisation en France est souvent décisive. Enfin les jeunes primo-arrivants sont confrontés à un triple défi : parvenir à s’adapter aux codes scolaires, trouver sa place au sein du groupe des pairs et, souvent, répondre aux attentes de la famille. Ces trois injonctions peuvent se révéler contradictoires et fragiliser ainsi la prise de marques et la constitution de repères.
4Dans le second article Mathieu Ichou revient sur la question de la perception de la migration comme un « problème », vision qui renforce la stigmatisation des enfants d’immigrés. Pour lui, il s’agit d’une problématique dans le sens sociologique du terme, qui doit se fonder sur des analyses appuyées sur les preuves empiriques. Ichou questionne les constats de plusieurs chercheurs : pourquoi il y a-t-il un écart entre les résultats scolaires des enfants d’immigrés par rapport aux enfants des natifs ? L’auteur propose une revue critique des ouvrages consacrés, en remarquant une image trop homogénéisante de la situation scolaire des enfants d’immigrés qu’elles produisent. S’intéresser à la fois aux conditions d’existence post et prémigratoires permettrait de comprendre le rapport à l’école des élèves. Autrement dit, il faudrait regarder de plus près la trajectoire sociale des élèves, une éventuelle différence des statuts sociaux occupés respectivement dans la société d’origine et la société d’immigration pour faciliter la compréhension de ce qui se joue dans leur scolarisation. Les enseignants et éducateurs auraient donc tout intérêt à s’intéresser aux trajectoires des familles des élèves avant leur entrée sur le territoire français. L’auteur conclut que plusieurs facteurs, tels que l’origine sociale, doivent être pris en compte dans l’explication des difficultés scolaires des élèves.
5La troisième contribution signée par Geneviève Mottet aborde l’usage des catégories ethniques pour mesurer les inégalités dans le milieu scolaire. Dans son analyse, elle rend compte des risques de cristallisation que toute catégorie comporte : alors que l’usage des catégories permet de mesurer les différentes formes d’articulation des discriminations, les catégories ethniques produiraient des effets pervers, car ces mêmes catégories seraient ensuite largement utilisées telles quelles, donc réifiées. L’auteure évoque notamment une étude nationale suisse qui a catégorisé les enfants des migrants en deux groupes, ceux à handicaps et ceux à potentiels. Ces catégories binaires se retrouvent ensuite dans des discours des professionnels de l’éducation et contribuent à la diffusion de représentations simplifiées.
6La partie « Point de vue des praticiens » s’ouvre avec le texte de Régis Guyon qui aborde les enjeux de l’école concernant les élèves issus de la migration. Encore une fois, il parle de l’importance de ne pas percevoir tous les élèves allochtones comme un groupe homogène, réflexion présente tout au long de cet ouvrage. Il évoque donc le bagage scolaire et la maîtrise de la langue d’origine, ou la nature de la migration comme facteurs à regarder de plus près dans toute leur complexité pour réaliser qu’il n’y a pas « un portrait type de l’élève allophone » (p. 55). Aux enseignants revient donc le devoir de garder une posture attentive au parcours de l’enfant. Jean-Luc Vidalenc revient quant à lui sur la question des compétences linguistiques : longtemps considéré comme un obstacle ou tout au moins ignoré, le plurilinguisme peut faciliter les apprentissages. Il est ici question de valoriser le contexte sociolinguistique de l’élève au lieu de le percevoir comme problématique, postulat qui rejoint ceux des auteurs précédents : c’est en faisant l’effort de vouloir comprendre la trajectoire et le contexte social, culturel et familial que l’on peut accompagner chaque jeune dans le parcours de la réussite scolaire.
7Enfin Simon Keste pointe le manque de moyens consacrés aux enseignants pour se pencher sur les particularités de chaque élève, notamment quand il s’agit de difficultés spécifiques auxquelles sont confrontés les élèves issus des familles migrantes et de gestion des situations d’urgence. Les cadres et normes de l’institution scolaire empêcheraient autant les élèves que les enseignants de trouver des solutions à leurs problèmes de manière autonome. En ce qui concerne les normes, cet ouvrage contribue à une remise en question du modèle actuel de l’institution scolaire. Serait-il trop rigide, incapable de voir des ressources dans des particularités ? « Le système français est très monolingue et standardisé » (p. 75), affirme Olivier Rey dans la troisième partie du livre, « Débat ». Cette dernière partie rend compte de l’échange entre les contributeurs de l’ouvrage et le public qui a porté principalement sur les enjeux de l’accueil des élèves issus des migrations et des articulations entre la langue d’origine et langue du pays d’accueil. Les participants s’accordent sur l’existence d’une rigidité des normes scolaires, mais les points de vue divergent quant aux solutions pour envisager un meilleur accueil des élèves allochtones. Les uns parlent de la valorisation de la culture d’origine, tandis que d’autres évoquent le risque de l’enfermement dans une culture réelle ou supposée et se focalisent plutôt sur la valorisation de la langue.
8S’ouvrir à la réelle compréhension de la trajectoire de chaque élève, percevoir les singularités – culturelles, linguistiques – plus comme des ressources et leviers que comme des problèmes : voici seulement deux, mais ambitieux (car nécessitant une remise en question des pratiques institutionnelles) postulats dont la mise en pratique pourrait – pour répondre à la question-titre de cet ouvrage – rendre l’accord entre l’école et les migrations plus consonant, sans pour autant chercher à jouer à l’unisson.
Notes
1 Pour exemple, voir l’article d’Alessandro Bergamaschi qui décrit comment se construit cette perception des difficultés des élèves en tant que handicaps culturels. Bergamaschi Alessandro, « Décrochage scolaire et immigration. Un regard sociologique sur la scolarité des élèves immigrés en France », Les dossiers des sciences de l’éducation, 35 | 2016, p. 157-172, disponible en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dse.1314.
2 À ce sujet, voir Fassin Éric, « 6. Aveugles à la race ou au racisme : Une approche stratégique. » in Fassin Éric (dir.), De la question sociale à la question raciale : Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006, p. 106-130.
3 Bachelet Prisca, Zaidman Claude, « École et migrants. Élément d’analyse », Les cahiers du CEDREF, 15 | 2007, p. 327-341, disponible en ligne : URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cedref/392.
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Référence électronique
Filipina Salomon, « Hélène Buisson-Fenet, Olivier Rey (dir.), École et migration : un accord dissonant ? », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 juillet 2020, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/42857 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.42857
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