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Yves Sintomer, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative

Mathieu Quet
Le pouvoir au peuple
Yves Sintomer, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, La Découverte, coll. « cahiers libres », 2007, 176 p., EAN : 9782707151483.
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Texte intégral

1Les déclarations de Ségolène Royal, en octobre 2006, sur la perspective d'une « surveillance populaire » exercée par des « jurys citoyens tirés au sort », ont été à l'origine de nombreuses prises de positions. Elles ont été jugées populistes et démagogiques par les uns, réactionnaires et inutiles par les autres : globalement, explique Yves Sintomer, cette mini-controverse a surtout révélé l'inculture de la classe politique en matière de nouvelles expériences démocratiques. L'auteur propose donc dans ce livre de mener un examen attentif de différentes expériences susceptibles de renouveler nos pratiques politiques, et en particulier des usages politiques du tirage au sort. L'ouvrage est divisé en cinq chapitres. Le premier s'attache à définir la crise de représentation qui frappe le politique depuis les années 1980 ; le deuxième revient sur différents usages politiques du tirage au sort au cours de l'histoire ; le troisième tente d'expliquer les raisons pour lesquelles cette pratique a disparu avec l'avènement des régimes démocratiques modernes ; le quatrième montre comment le tirage au sort est redevenu une pratique politique pertinente, à travers plusieurs expériences menées depuis les années 1970 ; le cinquième s'interroge enfin sur les alternatives possibles à la politique contemporaine, et sur les procédés de participation à la vie politique.

2Le diagnostic établi par Sintomer, pour expliquer le malaise de la vie politique actuelle, va à contre-courant des analyses pessimistes qui foisonnent sur ce thème. Les divers problèmes politiques rencontrés (21 avril 2002, « échec » du referendum sur la constitution européenne, émeutes de novembre 2005, etc.) renvoient selon lui, non pas à un déclin des valeurs ou de la France, mais à l'incapacité du système politique « de se nourrir des dynamiques civiques existantes pour s'attaquer résolument aux défis du monde présent. » (p.19). Il est en effet de l'essence de la démocratie d'être perpétuellement en crise, et la résolution de la crise actuelle nécessite d'analyser les facteurs d'évolution et les opportunités qui s'offrent. Par exemple, on assiste à l'apparition, depuis une trentaine d'années, de mouvements sociaux fondés sur l'horizontalité et à la multiplication de dispositifs institutionnalisés de « démocratie participative ». C'est cette tendance participative qui constitue pour Sintomer une véritable proposition à étudier.

3Pour cette raison, il revient sur le tirage au sort, qui est selon lui l'un des piliers de la participation. Si le tirage au sort est limité en France aux jurys d'assises, il n'en va pas de même partout, ou en tout temps. Dans la cité athénienne, par exemple, le tirage au sort est massivement utilisé au cours des cinquième et quatrième siècles. Chaque citoyen peut se porter candidat au tirage au sort ; c'est ainsi, entre autres, qu'on forme la Boulé, principal conseil de l'Athènes démocratique. Cette assemblée est dotée de véritables pouvoirs : elle prépare des décisions, se charge de leur exécution, adopte certaines lois, peut servir de tribunal, est responsable de l'administration et des finances, et d'une partie de la politique extérieure. A travers le tirage au sort, et la rotation rapide qu'il impose, l'idéal de la cité est « à la fois politique et épistémologique : il s'agit de défendre l'égale liberté des membres de la Cité et de proclamer que tous ont légitimement part à la réflexion et à l'action politiques, qui ne sont pas considérées comme des activités spécialisées » (p.46). Evidemment, cette égalité de tous n'est pas exempte de critiques. Cependant, environ 70 % des citoyens de plus de 30 ans sont bouleutes au moins une fois dans leur vie. Sans supprimer les luttes entre individus et groupes sociaux, Athènes promeut donc une politique comme discussion publique institutionnalisée. Sintomer présente aussi le cas des républiques italiennes : à partir du 13e siècle, Florence et Venise recourent au tirage au sort. Mais dans le cas de ces cités, l'objectif n'est pas tant la participation des citoyens que la résolution de conflits entre les grandes familles des villes, en particulier à Venise. Le tirage au sort a en effet lieu à partir d'un conseil oligarchique, et permet de répartir de la façon la plus neutre possible les charges politiques entre différentes familles.

4Malgré ces expériences, le tirage au sort disparaît presque complètement de la sphère politique avec l'avènement des démocraties modernes, et simultanément son usage va se répandre dans la sphère judiciaire. Plusieurs explications permettent de comprendre cette évolution. La première est que le projet démocratique représentatif moderne tente dès l'origine de conserver une part d'oligarchie. Par ailleurs, c'est à l'époque de la Révolution qu'apparaît l'idée d'un lien entre progrès et spécialisation croissante des tâches. S'ajoute enfin à cela une série d'arguments qui se résument globalement à une opposition entre l'exercice de la justice et celui de la législation, dans la mesure où la justice serait le lieu du subjectif, du sens commun et du jugement par les pairs (compatible avec le tirage au sort), alors que la législation, l'organisation de l'Etat seraient du ressort de l'universel, et ne pourraient se satisfaire d'un procédé aléatoire.

5Mais depuis les années 1970, le tirage au sort a été réintroduit en politique, à travers des textes politiques (Peter Dienel, Ned Crosby) et plusieurs expériences. D'abord, aux USA, ces jurys consultatifs sont formés à partir d'une présélection de jurés « compétents », mais à partir de 1987 au Danemark, ils sont élargis à des citoyens « profanes », sans compétence initiale pour aborder les thèmes traités. Sintomer présente alors diverses initiatives, parmi lesquelles on peut retenir le jury citoyen et le sondage délibératif. Le jury citoyen, de loin le plus expérimenté, fonctionne avec un nombre réduit de citoyens (entre 12 et 50 selon les pays). Les thèmes abordés, imposés par l'autorité qui a formé le jury, portent sur la planification urbaine, ou les questions sociales ou écologiques. Il s'agit essentiellement de représenter la société dans sa diversité et, en donnant une information convenable aux participants, de produire un avis simplement consultatif ou, parfois, plus contraignant pour les autorités. L'autre dispositif important est celui des sondages délibératifs, qui rassemblent un plus grand nombre de personnes (plus d'une centaine), et organisent un sondage après avoir donné aux participants l'occasion de s'informer sur le thème abordé. L'idée est de savoir « ce que le public penserait s'il avait véritablement l'opportunité d'étudier le sujet débattu » (p.123, déclaration de James Fishkin), et de pallier ainsi les défauts des sondages d'opinion traditionnels.

6Bien sûr ces propositions ont des limites : plutôt qu'un gouvernement de tous, il s'agit d'une « représentation en miniature du peuple ». Ces pratiques ne constituent donc aucunement une alternative sérieuse à l'élection. Mais dans certains cas, elles peuvent acquérir un poids politique réel : c'est le cas à Berlin où des jurys rendent de véritables décisions que l'administration s'engage à suivre. Sintomer évoque aussi le cas exceptionnel de l'Assemblée citoyenne de Colombie Britannique, au Canada, qui a rendu en 2004 une proposition de réforme du mode de scrutin que le gouvernement a ensuite soumise en référendum. Tout en se gardant d'idéaliser ces nouveautés, il faut donc plutôt identifier les défis à relever : par exemple, répartir égalitairement la parole dans ces groupes hétérogènes, organiser la contradiction, pour ne pas sombrer dans l'idéologie du consensus, ou encore donner une responsabilité plus importante aux jurys. On pourrait en ajouter un, de nature plus épistémologique, que Sintomer semble négliger : les formations reçues par les participants ne conduisent-elles pas inévitablement à des choix « raisonnables » dans la mesure où elles sont dispensées par des experts eux-mêmes porteurs d'un savoir déjà normalisé, laissant peu de place à l'autonomie intellectuelle des « enseignés » ? Il semble nécessaire de réfléchir sur l'organisation des mécanismes de production et d'enseignement des savoirs au sein des dispositifs, pour éviter de reconduire, à travers eux, des rapports de pouvoir que l'on pensait évacués.

7L'ouvrage s'achève alors sur un plaidoyer pour le développement de mesures plus participatives, avec une série de propositions : par exemple la création d'une FNDP (Fondation Nationale pour une Démocratie Participative), d'observatoires des services publics, ou encore le remplacement du Sénat par une assemblée tirée au sort. Toutes ces initiatives doivent faire de la sélection aléatoire un appui précieux pour le renouvellement de la démocratie, et mettre la pluralité des « savoirs citoyens » au centre de l'organisation politique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Quet, « Yves Sintomer, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 juillet 2007, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/423 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.423

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