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Stefan C. Aykut, Climatiser le monde

Jordan Gamaire
Climatiser le monde
Stefan C. Aykut, Climatiser le monde, Versailles, Quae, coll. « Sciences en questions », 2020, 82 p., ISBN : 9782759230938.
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Texte intégral

  • 1 Le texte de l’accord de Paris est disponible en ligne sur le site de la Convention-cadre des Nation (...)
  • 2 Des informations complémentaires sur le projet sont disponibles sur le site dédié : https://climaco (...)

1En novembre 2015 se déroulait la COP21, à Paris, débouchant sur un accord éponyme historique1, regroupant 195 pays. C’est à cette occasion que fut créé le projet Climacop2, dont l’objectif était de réaliser une ethnographie collaborative, pour suivre l’événement et les échanges entre les nombreux acteurs qui s’y sont rencontrés, que ce soit en in, au cœur du centre de conférence du Bourget, en off lors des side-events, ou en off du off, dans le reste de la ville. Cette équipe d’une trentaine de chercheurs incluait Stefan C. Aykut, qui s’appuie sur le travail réalisé par les membres du projet Climacop pour développer l’idée d’une climatisation du monde et du rôle considérable des COP dans celui-ci. Cet ouvrage est la transcription d’une conférence-débat donnée par l’auteur à l’Inra de Paris le 21 juin 2018, organisée par le groupe Sciences en question.

2L’ouvrage est divisé en deux : dans un premier temps, Stefan C. Aykut expose les résultats de ses observations. La COP21 s’est avérée être un événement majeur dans le processus de climatisation du monde que décrit en détails l’auteur. Dans un second temps, une discussion lui permet de revenir sur des points développés dans l’exposé, et d’apporter d’utiles précisions.

3Aykut réalise un travail de définition nécessaire, notamment pour différencier deux processus à l’œuvre : la globalisation du climat, à savoir la multiplication des acteurs qui participent à la gouvernance climatique, et la climatisation du monde, c’est-à-dire l’adoption du prisme du climat dans le traitement d’autres enjeux. Il explique que c’est le « caractère totalisant et englobant de la question climatique [qui] forme [...] l’arrière-plan devant lequel se déploient » ces deux processus (p. 14).

4La première partie de l’exposé retrace une brève histoire de la gouvernance climatique. Le régime climatique, c’est-à-dire l’ensemble des « institutions de gouvernance mises en place pour lutter contre le réchauffement global et combattre ses effets » (p. 16), trouve ses origines dans les années 1990. La Convention climat de 1992 a impulsé des négociations internationales annuelles, les Conferences of Parties (COP). Le protocole de Kyoto est signé lors de la COP3 de 1997, fixant aux pays signataires des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Cette stratégie s’est avérée être un échec, notamment parce que les États-Unis ont abandonné le protocole en 2001. L’accord de Paris, adopté par 195 pays à l’issue de la COP21 en 2015, a acté l’abandon du système de contraintes, son remplacement par un système reposant sur le volontarisme des États, et a fixé à 2°C l’augmentation de la température globale à ne pas dépasser.

  • 3 Notion qu’il a pu développer dans Aykut Stefan C. et Dahan Amy, « La Gouvernance du changement clim (...)

5Aykut insiste sur la notion de « schisme de réalité »3, c’est-à-dire la remise en cause de l’efficacité des négociations onusiennes, dont les différentes dimensions aident à comprendre ensuite le rôle prépondérant des négociations internationales dans la climatisation du monde. En effet, le problème climatique « a été pensé [...] comme un problème d’emblée et irréductiblement global » (p. 21), imposant la négociation entre États comme seule voie légitime d’apporter une solution au problème, excluant l’intervention d’une multitude d’autres acteurs (villes, ONGs…). De plus, la focale fut faite sur le problème de la pollution, attirant l’attention sur les outputs (les émissions de GES) et non sur les inputs (la production énergétique ou le modèle global de production), tandis que certains sujets pourtant cruciaux (comme la régulation du commerce et de la finance) sont restés absents des négociations internationales. Enfin, est à noter la « lenteur procédurale des négociations onusiennes » (p. 22), qui contraste avec la rapidité de l’évolution du monde, de ses dynamiques et de sa situation climatique (multiplication des flux, croissance chinoise à deux chiffres…). Toutes ces dimensions participent à l’insatisfaction de nombreux acteurs de la société civile (ONGs, think tanks, mouvements militants) vis-à-vis de la gouvernance climatique et des négociations onusiennes, qui mettent de côté des sujets essentiels dans la résolution de la crise climatique. Par leurs actions, ces acteurs vont alors cibler d’autres organisations, pour les inciter à prendre en compte les enjeux climatiques : il s’agit là d’un ressort important de la climatisation du monde.

6L’auteur insiste également sur l’important rôle des COP dans le processus de climatisation, notamment celui du « méga-événement transnational » (p. 27) de Paris. Sa préparation a généré une forte mobilisation des États, qui se sont parfois même rencontrés deux mois avant (c’est le cas des États-Unis et de la Chine). Mais au-delà des États, c’est tout un ensemble d’acteurs de la société civile qui se sont mobilisés en vue de ce sommet : activistes, ONGs et think tanks ont organisé des actions et des concertations, dans l’objectif de mettre à l’agenda de la COP des sujets tels que l’extraction et la production des énergies fossiles, pour que l’accord de Paris soit le plus ambitieux possible.

7Cette « mobilisation tous azimuts de la société civile mondiale » (p. 32) et des acteurs non étatiques, loin d’être rejetée par la gouvernance climatique, fait partie intégrante de la nouvelle approche adoptée lors de la COP parisienne. Rappelons en effet que l’on parle de soft law pour qualifier l’accord de Paris – il est flou (ses formulations peuvent être sujettes à interprétations), mou (ses termes ne sont pas contraignants) et doux (il ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect des engagements). Ainsi, pour compenser un engagement insuffisant des États, les acteurs non étatiques (les villes, les entreprises…) sont quant à eux encouragés à prendre des mesures en faveur de la diminution des émissions de GES, ce qui participe bien sûr au processus de climatisation.

8L’auteur termine sont exposé en évoquant l’impact de la climatisation, qui n’apparaît pas comme aussi important et positif qu’on le souhaiterait. En effet, on observe que l’extraction des énergies fossiles continue de s’accélérer, du fait d’une concurrence rageuse entre les États pour s’octroyer les dernières ressources, ou de la nouvelle accessibilité de certaines d’entre elles due au réchauffement climatique lui-même (la fonte des glaces, notamment, rend accessibles de nouveaux gisements de pétrole et de gaz). En somme, le discours de décarbonation adopté par de plus en plus d’acteurs est davantage théorique que pratique, d’autant plus que certaines questions décisives, et amenées dans les débats en amont de la COP, restent finalement peu évoquées. Aykut illustre son propos par l’exemple des politiques énergétiques. Il explique que la stratégie des pays producteurs de pétrole a payé : ils ont réussi à bloquer les discussions concernant les politiques énergétiques, pour éviter que l’extraction et l’utilisation des énergies fossiles ne soient condamnées dans les textes. Ainsi, l’objectif finalement adopté est celui de la neutralité des émissions nettes, les émissions superflues pouvant être compensées par des « émissions négatives », grâce à des technologies capables de capter le dioxyde de carbone produit par des centrales biomasse par exemple. L’idée selon laquelle une utilisation massive de ces technologies suffirait à limiter le réchauffement à 2°C « permet de repousser toujours un peu plus loin la date définitive d’une sortie des fossiles » (p. 41).

  • 4 Nous pouvons traduire sustainable diets par « régimes durables ». Il s’agit de consommer des produi (...)

9L’exposé est suivi d’une série de questions posées par le public présent à la conférence. L’auteur explique alors que le méthane est invisibilisé à cause d’une centralité historique du carbone dans les débats ; que le prisme climatique est par exemple utilisé pour parler de l’alimentation, via la question des sustainable diets4 ; qu’il n’y a pas de réflexions sur un prix carbone dans les négociations internationales sous la pression des pays producteurs de pétrole ; que les va-et-vient entre la science et la politique sont complexes, certes, mais tout de même productifs ; et que la crise climatique ne pourra être résolue ni uniquement par les technologies (l’enjeu climatique incluant une foultitude d’enjeux annexes), ni uniquement par les « petits gestes du quotidien » (qui, bien que participant à la prise de conscience, sont insuffisants).

10Si cet ouvrage peut être déconcertant, puisqu’il montre que la conscience et la prise en compte des enjeux climatiques n’ont pas eu l’impact escompté sur les émissions de GES et sur le modèle productif actuel, il a le mérite de finement décrire le processus de climatisation du monde, méconnu du grand public, tout en apportant un éclairage bienvenu sur la multitude d’acteurs qui prennent part à la gouvernance climatique et qui se mobilisent en marge de celle-ci pour mettre à l’agenda des sujets essentiels dans la compréhension et la résolution de la crise climatique que nous traversons.

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Notes

1 Le texte de l’accord de Paris est disponible en ligne sur le site de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf.

2 Des informations complémentaires sur le projet sont disponibles sur le site dédié : https://climacop.hypotheses.org/.

3 Notion qu’il a pu développer dans Aykut Stefan C. et Dahan Amy, « La Gouvernance du changement climatique : Anatomie d’un schisme de réalité », in Pestre Dominique (dir.), Le Gouvernement des technosciences. Gouverner le progrès et ses dégâts depuis 1945, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2014, p. 97-132.

4 Nous pouvons traduire sustainable diets par « régimes durables ». Il s’agit de consommer des produits alimentaires qui assurent l’apport des nutriments essentiels à l’organisme, tout en ayant un impact limité sur l’environnement.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jordan Gamaire, « Stefan C. Aykut, Climatiser le monde », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 juin 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/42073 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.42073

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Rédacteur

Jordan Gamaire

Étudiant en master de sociologie à l’Université de Limoges, et en master de science politique à l’Université Gustave Eiffel.

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