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Cyril Desjeux, Vote et handicaps. Vers une éthique de la vulnérabilité. Pour aller au-delà de l’inclusion

Marie Schnitzler
Vote et handicaps
Cyril Desjeux, Vote et handicaps. Vers une éthique de la vulnérabilité. Pour aller au-delà de l'inclusion, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, col. « Handicap Vieillissement Société », 2020, 140 p., ISBN : 978-2-7061-4570-4.
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  • 1 Voir notamment les ouvrages de Carol Gilligan et de Joan Tronto, considérées comme deux pionnières (...)

1Cet ouvrage traite du droit de vote des personnes en situation de handicap comme indicateur d’inclusion et d’insertion de ces personnes, mais aussi en tant que facteur de leur dignité et de leur bien-être social. En ce sens, Cyril Desjeux réinscrit le moment du vote proprement dit dans un processus électoral plus large (compréhension des programmes, participation aux débats politiques, inscription sur les listes électorales, etc.) qui se révèle inadapté pour les personnes disposant d’une capacité décisionnelle altérée, à savoir des personnes dont le processus d’autodétermination limite partiellement ou totalement la capacité à prendre des décisions en fonction de la situation. Dans ce contexte, le vote révèle ses multiples dimensions ; il se pense tour à tour comme droit à défendre, devoir à remplir, exercice technique et choix politique. Pour l’auteur, il est également « le lieu d’une expérience morale à partir duquel les personnes sont en mesure de développer des valeurs liées au care » (p. 27). Par cet énoncé, l’auteur ancre sa réflexion dans l’éthique du care. Cette approche, développée aux États-Unis à partir des années 19801, remet en cause le concept d’autonomie individuelle centrée sur soi et souligne les liens pluriformes qui relient l’individu à son environnement et aux autres êtres sociaux. Dans le cadre du droit de vote, cette éthique appelle à renouveler nos cadres de pensée autour de notions telles que l’autonomie et la vulnérabilité, mais aussi de l’influence et du discernement. L’objectif plus large de cet ouvrage consiste ainsi à saisir la capacité de nos démocraties à compenser les altérations décisionnelles des individus, qu’ils soient ou non atteints d’une déficience.

2Ce travail s’appuie sur plusieurs recherches menées par l’auteur entre 2015 et 2018 en tant que directeur scientifique d’Handeo, une association visant à accroître le pouvoir d’agir des personnes âgées et en situation de handicap, qui inclut, entre autres, la liberté de choisir. Dans la lignée des objectifs de l’association, ces recherches se veulent participatives et engagées : il s’agit de faire émerger un problème social (plutôt que théorique) avec les acteurs de terrain et de leur permettre de se l’approprier, voire « d’en faire éventuellement une autre lecture et donc d’en déduire potentiellement d’autres solutions » (p. 15). Cette volonté soutient un ouvrage en quatre parties assez faciles d’accès, où se mêlent références théoriques, exemples de terrain et solutions pratiques.

3Le premier chapitre s’intéresse au contexte politique européen. Malgré l’existence de régulations communes favorisant le droit de vote des personnes en situation de handicap, dont la Convention relative aux droits des personnes handicapées, d’importantes différences restent patentes entre les États membres. Desjeux propose une catégorisation à partir de trois grands idéaux-types : alors qu’un tiers des pays européens ne pose aucune restriction au droit de vote des personnes en situation de handicap, une proportion égale recourt à des mesures d’exclusion basées sur une évaluation médicale ou juridique des capacités individuelles. La dernière catégorie représente un entre-deux, soit parce que les réglementations entre les différentes échelles de vote diffèrent, soit parce que ces pays se sont engagés dans un processus de desserrement de leur législation en la matière. La France appartient à cette dernière catégorie : si certaines adaptations sont mises en œuvre, telle qu’une aide humaine au moment de voter, des garde-fous sont conservés afin de limiter les risques d’influençabilité des personnes dont les capacités décisionnelles sont jugées limitées ou réduites.

  • 2 Molinier Pascale, Le travail du care, Paris, La Dispute, 2013 ; compte rendu de Thomas Le Guennic p (...)

4Ces adaptations sont discutées sur la base de nombreux exemples français dans le chapitre 2. La recension réalisée par Cyril Desjeux a pour mérite de rappeler que le travail du care se compose autant de pratiques matérielles qu’émotionnelles2. En effet, rendre le vote accessible ne se limite pas à adapter les bureaux de vote ou à traduire les programmes des différents partis politiques en langue Facile à Lire et à Comprendre. Il s’agit aussi de favoriser l’échange sous la forme de débats politiques et de pallier le stress, les tensions juridiques et les micro-contraintes qu’engendre la rugosité de l’appareil électoral face au handicap, autant de sources de renoncement au vote chez les personnes concernées. De plus, une telle recension permet à l’auteur de distinguer plusieurs systèmes de prise en charge, à savoir la compensation des gestes, la socialisation civique et l’autonomisation à l’accès à la citoyenneté et à la prise de décision. De manière générale toutefois, ces systèmes de prise en charge continuent à mobiliser une conception individuelle de l’autonomie, qui suppose un citoyen capable de faire les choses seul. Cyril Desjeux y oppose une autonomie relationnelle qui se construit à travers les interactions sociales et qui reconnaît le recours à un tiers comme un soutien à la capacité d’action et de décision. Si en pratique, un bricolage entre ces deux approches permet de rendre l’action de vote réalisable pour certains, la suite de l’ouvrage cherche à saisir les changements qu’implique la mise en œuvre de cette autre conception de l’autonomie dans l’accompagnement et le soutien au vote.

5Le chapitre 3 montre alors comment les systèmes de prise en charge identifiés précédemment sont valorisés différemment par les professionnels de l’aide à domicile. À l’aide d’extraits d’entretiens, Cyril Desjeux identifie le périmètre d’intervention des différents services, les compétences individuelles alliées à une formation professionnelle, ainsi que les contraintes économiques et les systèmes de tarification utilisés comme autant de facteurs influençant les perceptions et les pratiques professionnelles. Ainsi, il soutient par exemple que les professionnels rémunérés à l’heure, par l’intermédiaire d’aides sociales telles que la prestation de compensation du handicap (PCH), ont tendance à définir l’aide apportée de manière plus restrictive, comme une exécution de gestes compensant les défaillances corporelles. À l’inverse, les services disposant d’allocations journalières ou annuelles mettent davantage l’accent sur leur mission éducative et un accompagnement actif. Si dans ce contexte administratif et économique particulier, certains professionnels craignent des glissements de compétences entre services ou catégories de travailleurs, Cyril Desjeux prône quant à lui une lecture en termes de transfert de compétences (savoir-être et savoir-faire) entre professionnels.

6Sur la base de ces différents éléments, le dernier chapitre propose une approche éthique et sociologique de ce que serait un « accompagnement adapté créant les conditions nécessaires à la compréhension des enjeux politiques » (p. 91) pour les personnes sous tutelle. Cet accompagnement nécessiterait, selon l’auteur, de changer notre vision de l’influence. En effet, le droit de vote est souvent refusé aux personnes sous tutelle par crainte que celles-ci se fassent influencer. Cette approche est présente dans la législation qui circonscrit le recours à un tiers aidant appartenant au cercle familial ou amical. Cependant, cette restriction tend à limiter le care au domaine privé supposé bienveillant, sans que le contexte familial soit pris en compte. Mais selon l’éthique du care mobilisée par l’auteur, l’influence est omniprésente car intrinsèque à toute interaction sociale. En ce sens, elle représente une ressource davantage qu’une menace dans la mesure où elle permet « de vivre une autre expérience à travers l’autre » et d’y réagir. Si cette approche s’appuie sur l’agencéité des personnes en situation de handicap, elle suppose néanmoins que l’aidant dispose de certaines capacités particulières, telles que l’empathie ou encore la capacité à prendre de la distance vis-à-vis de ses propres convictions politiques. Une telle transformation suppose pour l’auteur de passer d’un système de protection du handicap à un système de compensation. Ce glissement pourrait alors se manifester par la révision d’une partie de la législation française qui incorpore encore difficilement les besoins spécifiques liés aux handicaps, ou par la création d’une aide d’assistance à la décision dans la PCH.

7Cyril Desjeux ne propose pas d’avancées théoriques manifestes dans cet ouvrage, mais il offre une lecture fine de la réalité sociale ainsi que des solutions concrètes pour une mise en œuvre réelle et adaptée du droit de vote des personnes en situation de handicap. De ce point de vue, cet ouvrage peut intéresser tant les chercheurs que les acteurs de terrain. Par ailleurs, la réflexion menée rappelle les multiples dimensions politiques du care. Alors que les écrits issus de ce champ théorique réduisent souvent les actes de soin à la vie quotidienne et au travail, Cyril Desjeux expose les enjeux démocratiques du care, en montrant comment nos systèmes d’accompagnement facilitent ou au contraire entravent la participation politique directe de certaines catégories de personnes.

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Notas

1 Voir notamment les ouvrages de Carol Gilligan et de Joan Tronto, considérées comme deux pionnières de cette théorie : Gilligan Carol, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, La Découverte 2008 [1982] ; Tronto, Joan, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009 [1992] ; compte rendu d’Éloïse Girault pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/929.

2 Molinier Pascale, Le travail du care, Paris, La Dispute, 2013 ; compte rendu de Thomas Le Guennic pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11078.

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Referencia electrónica

Marie Schnitzler, « Cyril Desjeux, Vote et handicaps. Vers une éthique de la vulnérabilité. Pour aller au-delà de l’inclusion », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 11 junio 2020, consultado el 04 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/41654 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.41654

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