Laurence Morel, La question du référendum
Texte intégral
1À première vue, la définition théorique du référendum paraît évidente : il s’agit d’« un vote sur une politique » (p. 14). Autrement dit, à la différence d’une élection, le référendum ne permet pas d’élire une personne mais de proposer, d’approuver ou de rejeter une politique publique. Pourtant, l’ouvrage de Laurence Morel montre que la réalité de ce dispositif s’avère beaucoup plus complexe, tant elle dépend étroitement de ses conditions d’usage. Le référendum est largement ignoré par la science politique (p. 179), en raison notamment de sa mauvaise réputation. Celle provient du fait qu’il est souvent invoqué dans les discours politiques protestataires comme manière de contester les pratiques institutionnelles existantes (p. 9) ainsi que de l’habillage plébiscitaire dont il a fait l’objet et qui l’a considérablement discrédité au fil des années (p. 19). Mais la difficulté principale provient des usages et dénominations variés de cet instrument. Si l’auteure commence par considérer à part le référendum révocatoire portant sur l’annulation d’une élection (p. 17), le référendum ne peut être défini a priori sans ses conditions concrètes d’organisation sous peine de rester prisonnier d’un débat philosophique et théorique sur la relation entre démocratie directe et système représentatif. Qui a la possibilité de lancer le référendum ? Sur quels sujets politiques ? Qui peut voter ? Le référendum a-t-il un caractère facultatif ou obligatoire ? Toutes ces questions permettent d’élaborer une typologie des systèmes politiques rendant compte de l’influence que les citoyens peuvent avoir ou non sur le système représentatif à partir du recours aux instruments de démocratie directe (p. 37). En d’autres termes, il devient aisé de classer les systèmes politiques incluant la possibilité référendaire en fonction de l’organisation de l’initiative politique : on peut ainsi avoir des systèmes politiques top-down où les autorités qui disposent du pouvoir exécutif détiennent le monopole de l’initiative ou bien des systèmes bottom-up dans lesquels des associations citoyennes peuvent peser sur le processus référendaire en s’impliquant dans la campagne. Dans ce cadre, la Suisse demeure l’exemple du système référendaire le plus abouti, en ce qu’il permet à des citoyens de lancer des initiatives constitutionnelles et législatives et de contrôler l’action politique des représentants de manière importante (p. 40). De facto, tandis qu’on dénombre l’organisation de 330 référendums nationaux dans les démocraties européennes entre 1940 et 2019, 506 votations fédérales étaient effectuées en Suisse sur la même période (p. 48).
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2La banalisation de la pratique référendaire depuis les années 1990 est due à la création de nouveaux États ainsi qu’au nouvel ordre géopolitique mondial issu des décolonisations des années 1960 et de la chute de l’Union Soviétique (p. 52). Il est intéressant de voir comment certains pays de l’Europe de l’Est ont intégré facilement le référendum et l’initiative populaire dans leurs nouvelles Constitutions au début des années 1990 (p. 40). De 1940 à 2016, il y a eu 1263 référendums nationaux (hors Suisse) dans le monde et 489 en Suisse (p. 53). Laurence Morel montre que sur 195 pays, 65 n’ont pas organisé de référendum depuis les années 1990 (p. 54), parmi lesquels certains régimes autoritaires d’Asie ou du Moyen-Orient. Les pays utilisant fréquemment le référendum sont l’Italie puis l’Irlande, la Slovénie, la Lituanie et la Slovaquie (p. 56). Le constat est à nuancer lorsqu’on analyse les résultats puisque les pays d’Europe de l’Est ayant institué le référendum d’initiative populaire ont des quorums hauts, ce qui invalide les possibilités de succès des initiatives. De même, l’auteure montre que le référendum abrogatif italien a un taux d’échec relativement élevé (p. 60). Cela signifie que l’analyste ne peut pas en rester à un simple recensement quantitatif des référendums. Par exemple, il faut pouvoir déterminer si les référendums d’initiative populaire, lorsqu’ils sont possibles, ont des résultats à la hauteur des espérances des initiateurs1. L’initiative populaire a un prix d’entrée (nombre minimum de signatures requis), mais aussi un prix de sortie (validité des signatures, réaction des autorités, organisation du référendum, résultat du référendum).
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3Du point de vue historique, le référendum a eu des vertus diplomatiques puisqu’il a permis de décider de questions territoriales comme dans le cas de la construction de la Confédération helvétique (p. 80). Si la Suisse pratique massivement le référendum, ce n’est pas seulement eu égard à une tradition ancienne. Les cantons ont gardé une forte autonomie et le référendum a été institué sous toutes ses formes dans la Constitution de 1848 (p. 79). En l’occurrence Laurence Morel remarque que l’institution de la Landsgemeinde (assemblée populaire décidant des politiques à main levée) a disparu au profit d’une généralisation du référendum et de l’initiative populaire à tous les échelons territoriaux (p. 80). À la fin du XIXe siècle, le référendum est également utilisé dans certains États américains pour contrecarrer l’influence dominante des grands partis politiques (p. 82-83). À l’inverse, en France, alors que le référendum et l’initiative populaire sont utilisés au niveau local au début de la Révolution, ils sont ensuite rejetés du système politique sous la IIIe République, avec la consécration de la forme du gouvernement représentatif (p. 91). Ils sont encore plus disqualifiés par les plébiscites napoléoniens qui suscitent une grande méfiance chez les républicains, de sorte que les gouvernants de la IIIe République bannissent cette pratique au niveau local juste après quelques expérimentations municipales menées à la fin du XIXe siècle (p. 100-101). Pourtant, dans l’entre-deux-guerres, de nombreux théoriciens, à l’instar de Carré de Malberg2, militent pour une combinaison nouvelle du système représentatif avec des éléments de démocratie directe, au moment où une tendance antiparlementariste et autoritaire s’exprime en Europe (p. 103). C’est le général de Gaulle qui a contribué au retour de l’outil référendaire dans la république française, avec l’institutionnalisation du référendum d’initiative présidentielle, et non populaire, ce qui constitue de ce point de vue une spécificité française (p. 116-117). Le référendum est également utilisé pour confirmer la réforme constitutionnelle de 1962 instituant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (p. 120-121). Même si les référendums nationaux sont fréquemment utilisés au début de la Ve République, la tendance à la présidentialisation consacre l’élection présidentielle au détriment des autres votes (p. 123). Ainsi, les Présidents sont de moins en moins enclins à l’utiliser, même si les promesses de référendum se sont accumulées lors des dernières campagnes présidentielles. En outre, depuis le début des années 1990, les lois portant sur les consultations et les référendums locaux se sont succédées. Ce brouillage institutionnel inédit a donné forme à des dispositifs inadaptés, comme le Référendum d’Initiative Partagée issu de la réforme institutionnelle de 2008 et dont les seuils de validité sont beaucoup trop hauts pour qu’il puisse être utilisable (un cinquième des membres du Parlement et un dixième des électeurs peuvent demander un référendum). Le référendum sur le projet de Constitution européenne de 2005 et le référendum anglais sur le Brexit ont dans le même temps creusé le fossé entre les élites dirigeantes majoritairement favorables à la construction européenne et les électeurs qui se sont prononcés contre (p. 146).
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4Laurence Morel analyse également les enquêtes d’opinion sur la perception de la vie politique en France. Celles-ci font ressortir le fait que la défiance des citoyens vis-à-vis du système politique se traduise par une demande d’outils plus inclusifs (p. 155). Du point de vue des analyses de cette crise de la représentation politique, deux théories s’affrontent. Le courant élitiste considère que l’apathie politique constitue le mécanisme secret de survie du système représentatif tandis que le courant participationniste s’attache à analyser les effets de dispositifs plus inclusifs, dont l’initiative populaire et le référendum (p. 180). Là où le premier affirme qu’il est hasardeux de faire l’économie d’une profession de représentants élus pour gouverner les pays démocratiques, le second est davantage dans la promotion de l’expérimentation de nouveaux dispositifs participatifs (p. 186)3.
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5L’hypothèse sous-jacente de la fin de l’ouvrage est l’isolement du référendum qui se trouve réduit à une forme spectaculaire de plébiscite à l’usage des discours populistes. En effet, de manière un peu paradoxale, on assiste à une multiplication des théories délibératives qui marginalisent le référendum, jugé inadéquat pour créer les conditions d’un débat et d’une décision collective en connaissance de cause. Da mihi factum, dabo tibi jus : nul doute que le détournement de l’usage référendaire a conduit à une disqualification de l’instrument, réduit à sa forme plébiscitaire. Or, et c’est son grand mérite, l’ouvrage de Laurence Morel, montre que le référendum est aussi complexe que l’élection et qu’il y a une diversité de systèmes institutionnels mobilisant des outils très différents. Il est donc important de renouer avec une analyse comparative de cet instrument, afin d’évaluer sa finesse et les possibilités d’évolution des systèmes politiques contemporains dont il est porteur (p. 288)4.
Notes
1 Magni-Berton Raul, Egger Clara, Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous, Limoges, Éditions FYP, 2019, p. 20.
2 Carré de Malberg est un juriste français de l’entre-deux-guerres qui s’est beaucoup intéressé au régime de Weimar et à la place qui occupent les mécanismes de démocratie directe. Selon lui, l’introduction de mécanismes de démocratie semi-directe contribue à corriger les effets de fermeture du système représentatif. Carré de Malberg Raymond, La loi, expression de la volonté générale, Paris, Économica, 1984, p. 206.
3 Laurence Morel montre également que le courant participationniste est loin d’être unanime vis-à-vis de l’usage du référendum. En effet, des théoriciens, à l’instar d’Ian Budge, proposent depuis un certain nombre d’années de combiner de manière plus profonde le système partisan avec le référendum, sous la forme d’une party direct democracy (p. 190). Voir : Budge Ian, The New Challenge of Direct Democracy, Cambridge, Polity Press, 1996.
4 Sur cette ambition de recherche, voir : Butler David, Ranney Austin (dir.), Referendums around the world : the growing use of direct democracy, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1994; Qvortrup Matt (dir.), Referendums Around the World With a Foreword by Sir David Butler, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2018.
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Référence électronique
Christophe Premat, « Laurence Morel, La question du référendum », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 juin 2020, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/41637 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.41637
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