Christine Delory-Momberger (dir.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique
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- 1 Niewiadomski Christophe, Recherche biographique et clinique narrative. Entendre et écouter le Sujet (...)
- 2 Catinois Emmanuelle et al., « Réflexivité et pouvoir d’agir : un atelier biographique de projet dan (...)
- 3 Alessandrin Arnaud, Dagorn Johanna, « Narrativités LGBTIQ », Revista Brasileira de Pesquisa (Auto)b (...)
1La recherche biographique est un domaine de recherche et une approche méthodologique peu répandue. Toutefois, sous l’impulsion de chercheuses comme Christine Delory-Momberger, elle a su trouver des applications concrètes, dans l’éducation thérapeutique des patients par exemple, en investissant des thématiques variées comme la santé1, l’éducation2 ou le genre3, mais également des canaux institutionnels de diffusion grâce à la revue Le sujet dans la cité, dirigée par Christine Delory-Momberger. D’autres chercheuses et chercheurs, si l’on est attentif à leurs approches, font également écho par leurs travaux aux méthodes biographiques, sans pour autant les nommer (on pensera aux travaux de Danilo Martucceli par exemple). Commençons par poser cette question : qu’est-ce que la recherche biographique ? C’est la directrice de l’ouvrage qui définit elle-même cette approche dès l’introduction de son riche dictionnaire : « Pour la recherche biographique […] le fait biographique devient le phénomène même à étudier et à comprendre » (p. 9). Si la recherche biographique est proche des courants compréhensifs, des analyses de la subjectivation et de l’individuation, elle s’en démarque cependant par sa dimension transdisciplinaire et transréférentielle ou, pour le dire autrement, par sa capacité à puiser aussi bien du côté des récits que des œuvres en multipliant les méthodes. L’auteure poursuit : « Dès lors, la problématisation de la question biographique ne consiste plus à interroger la validité du matériau biographique […], elle consiste prioritairement à reconnaître la dimension constitutive du fait biographique dans le développement humain, à en définir l’espace et la fonction, sémiotique, cognitive, éducative, psychique, sociale. » (p. 9). Il s’agit donc bel et bien de plonger dans ce que Christine Delory-Momberger nomme un « travail biographique », qui n’est ni de la narration seule, ni de la subjectivation descendante, c’est-à-dire produite par une socialisation directe ou par des institutions toutes puissantes, mais plus réellement une attention à cette interface entre les injonctions sociales, les assignations identitaires, les contextes socio-historiques et leurs mises en formes singulières par l’individu, sous la forme de récits, de gestes, de pensées ou de discours. Voici ce qui semble être une introduction nécessaire afin d’envisager cet ouvrage dense, riche, foisonnant et donc fatalement impossible à restituer dans son entièreté.
- 4 Aussi est-elle l’auteure de nombreuses ouvrages sur la question : La condition biographique : essai (...)
2Christine Delory-Momberger n’en est pas à son premier ouvrage sur la question. Elle trace inlassablement une voie vers la mise en relation de recherches et de méthodes qui s’articulent autour du projet biographique4. Ce dictionnaire, sans clore le travail d’ouverture des méthodes biographiques, est une étape décisive dans leur inscription au sein des sciences humaines et sociales françaises.
3Rentrons dans l’épaisseur du livre (et ce n’est pas peu dire), en parcourant les 150 entrées de ses 90 auteur.e.s. La directrice de l’ouvrage ayant le souci de la pédagogie, le tout ne se donne pas à lire sous la forme d’un abécédaire linéaire mais par le biais de quatre entrées distinctes : d’abord les notions ; ensuite les courants et les théories ; les démarches et les pratiques ; et enfin les champs. Du point de vue purement formel, les entrées relativement courtes (trois pages en moyenne) sont structurées en sous-parties, agrémentées de biographies et de renvois, donnant à la lecture un tempo agréable et un horizon référencé. Sur le fond, la densité des thèmes abordés, des champs disciplinaires mobilisés ou des méthodes décrites, nous donne un témoignage fidèle du fourmillement en cours dans les recherches biographiques.
4La première partie de l’ouvrage est donc consacrée aux « notions » qui traversent ces recherches. On y trouve pêle-mêle les suivantes : « Âges de la vie » ; « Apprentissages » ; « Autobiographie » ; « Biographie » (évidemment) ; « Corps » ; « Émancipation » ; « Expérience » ; « Identité narrative » ; « Intime » ; « Récit de vie » ; « Storytelling » ou bien encore « Transition biographique ». On pourrait croire que nombre de ces définitions notionnelles sont déjà explicitées dans les manuels d’introduction aux sciences humaines et sociales ou les revues scientifiques les plus pointues, et qu’une répétition de ces mêmes définitions serait superflue. En réalité, ces notions sont abordées sous un angle spécifique puisqu’elles renvoient toutes au souci biographique. Ainsi l’entrée « Storytelling », rédigée par Hervé Breton, parvient-elle à s’éloigner d’une approche attendue en sciences de l’information de la communication pour trouver sa coloration propre autour de la centralité de la notion de récit : « L’objet du storytelling n’est pas d’ouvrir un espace d’expérimentation mais de configurer un récit qui tient lieu de réalité » (p. 171).
5La seconde partie, intitulée « Courants et théories », est quant à elle moins surprenante puisqu’elle se donne pour objectif de rappeler les inscriptions variées des recherches biographiques dans une somme (certes importante) de courants théoriques. Si les définitions de « Care », d’« Ethnobiographie », d’« Éducation nouvelle » et d’« Éducation populaire », de « Grounded Théorie – Analyse par théorisation ancrée », d’« Herméneutique », d’« Histoire de vie », d’« Interactionnisme » ou de « Recherche biographique en éducation » seront probablement connues d’un lecteur ou d’une lectrice déjà sensibilisé·e, d’autres entrées sont particulièrement bienvenues, comme « Médecine narrative » ou bien encore « Recherche (auto)biographique en Amérique latine ». L’entrée « Recherche biographique allemande » rédigée par Peter Alheit et Bettina Dausien (p. 247) nous apprend par exemple que dès 1783, une « revue de psychologie de l’expérience » créée par Karl Philipp Moritz rassemblait des « histoires de cœurs », témoignant, au côté des autobiographies naissantes, d’un intérêt croissant pour l’individualité. On croise donc avec joie dans ce chapitre les dimensions historiques et internationales de la recherche biographique.
6La troisième partie, intitulée « Démarches et pratiques » est à n’en point douter celle qui révèle le mieux la multiréférentialité des recherches biographiques. Ainsi, dans ce chapitre, nous pouvons trouver des entrées sur l’« Analyse des récits », sur l’« Atelier biographique de projet », la « Biographie éducative », la « Correspondance », les « Écritures impliquées », le « Journal », la « Photobiographie », le « Portait », la « Présence attentive » ou bien le « Théâtre projet ». De toutes ces entrées ressort la dimension pratique et incarnée des méthodes biographiques. Pour reprendre les termes de Christine Delory-Momberger, il s’agit là de rendre compte de l’ensemble des « dispositifs » et « démarches » (p. 8) ayant un rapport avec la recherche biographique. Pour le dire autrement, ces différentes entrées ne se contentent pas de définir des méthodes, elles les enracinent dans le champ biographique et donnent à voir toutes les manières de saisir où le récit se crée. Amorçant la troisième partie, l’énoncé de ces méthodes permet d’entrevoir l’étendue du domaine biographique, en particulier en ce qui concerne la formation, la clinique et l’éducation.
7C’est ce que propose d’étudier une dernière partie, plus courte, autour des domaines de la recherche biographique, comme la « Formation », le « Genre », l’« Insertion sociale », les « Écritures de soi » ou bien encore la « Formation de soi ». Intitulé « Champs », cet ultime chapitre recèle quelques entrées surprenantes. Parmi elle, l’entrée « Biographie et démence » rédigée par Peter Alheit. Posant la question des frontières du récit, l’auteur s’interroge : « un être humain qui a “perdu” son identité peut-il encore disposer d’une biographie ? » (p. 397). Autre entrée inattendue, celle rédigée par Hervé Breton sur le « vécu » et les « biographies animales » (p. 451), qui traite des « mondes partagés » et des « réciprocités » narratives qui émergent dans les études animales.
8Au total, ce Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique est une boîte à outils qui s’adresse autant aux professionnel·le·s de la formation, de la santé, de l’éducation qu’aux chercheuses et aux chercheurs en recherches biographiques. Une lecture linéaire, comme tout ouvrage de la sorte, donne forcément à voir des répétitions, c’est pourquoi il convient très certainement de sélectionner des entrées dans ce livre collectif pour mieux y revenir ultérieurement.
Notes
1 Niewiadomski Christophe, Recherche biographique et clinique narrative. Entendre et écouter le Sujet contemporain, Toulouse, ERES, 2012
2 Catinois Emmanuelle et al., « Réflexivité et pouvoir d’agir : un atelier biographique de projet dans une structure de raccrochage scolaire, le Micro-lycée de Sénart », Le sujet dans la cité, vol. 6, n° 2, 2015, p. 159-183.
3 Alessandrin Arnaud, Dagorn Johanna, « Narrativités LGBTIQ », Revista Brasileira de Pesquisa (Auto)biográfica, vol. 4, n° 11, 2019.
4 Aussi est-elle l’auteure de nombreuses ouvrages sur la question : La condition biographique : essais sur le récit de soi dans la modernité avancée, Paris, Téraèdre, 2011 ; De la recherche biographique en éducation : Fondements, méthodes, pratiques, Paris, Téraèdre, 2014, ou bien encore Éprouver le corps, Toulouse, ERES, 2017.
Top of pageReferences
Electronic reference
Arnaud Alessandrin, « Christine Delory-Momberger (dir.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique », Lectures [Online], Reviews, Online since 19 May 2020, connection on 11 December 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/41141 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.41141
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