Michael Walzer, Manuel d’action politique
Texte intégral
1C’est en 1971, dans le contexte des bombardements étasuniens au Cambodge, que le philosophe Michael Walzer publie aux États-Unis la première édition de son Manuel d’action politique. À l’époque, il s’agissait de soutenir l’émergence de mouvements politiques contestataires et leurs efforts d’organisation par le biais d’un guide pratique accompagnant pas à pas les différentes étapes de structuration de l’activisme politique. Presque cinquante ans plus tard, des lycéens de Los Angeles militant pour davantage de justice sociale s’échangent des photocopies de ce même manuel, résolument opérationnel. L’ouvrage est alors réédité en anglais en 2018, puis traduit en français l’année suivante. Mais si les enjeux politiques nationaux et internationaux ont largement évolué depuis la première édition, tout comme les formes de mobilisation collective (de plus en plus numériques), Michael Walzer fait le choix de rééditer aujourd’hui son manuel dans sa forme d’origine. De fait, malgré certains décalages inévitables, l’absence de référence au contexte historique dans le texte facilite la transposition des méthodes proposées aux problématiques contemporaines.
2Ce Manuel d’action politique est construit comme un guide répondant de façon très concrète aux questions et difficultés auxquelles peuvent être confrontées les personnes désireuses de s’engager collectivement dans des luttes politiques. De la naissance d’un mouvement à sa pérennisation, Michael Walzer propose une large gamme d’outils aptes à consolider l’action politique. Dans le même temps, au fur et à mesure de l’ouvrage sont posés les principes sous-jacents à un engagement considéré comme efficace.
3De manière générale, ce manuel suggère des pistes de réponse aux problématiques stratégiques fondamentales de l’engagement politique : Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Quand ? Avec qui ? Du choix du nom d’un mouvement à son évolution en cas de victoire électorale, un vaste ensemble de thématiques est ainsi couvert.
4En son sein, la question des relations interpersonnelles et intergroupes sous-tendant l’activisme est particulièrement détaillée, à partir de différentes entrées. À l’intérieur d’un groupe en formation, l’auteur décrit un cadre idéal de fonctionnement en termes de recrutement des membres (ancrés dans les communautés concernées, paritaires en termes de genre, etc.), d’organisation structurelle (encadrement des ailes extrêmes, dirigeants rémunérés et choisis parmi les activistes de terrain, division des tâches, etc.) et de convivialité (relations cordiales et professionnelles entre les membres, sans atteindre une intimité qui pourrait se révéler dangereuse pour le mouvement, etc.). À l’extérieur du groupe, Michael Walzer souligne l’importance des relations entretenues à la fois avec la société dans son ensemble, et avec les autres groupements politiques établis. Il insiste d’une part sur la nécessité de susciter et d’entretenir la sympathie de l’opinion publique, conditionnée par celle des médias. Dans cette perspective, les mouvements sont encouragés à synthétiser leurs arguments, à manier habilement les symboles, et surtout à éviter d’alimenter des espoirs qui ne pourraient être satisfaits. D’autre part, l’auteur incite les activistes à prendre en compte les avantages des différents types d’alliances susceptibles d’être mises en place avec d’autres mouvements, y compris s’agissant de groupes semblant éloignés sur le plan idéologique – quitte à maintenir ces alliances secrètes. Pour emporter une victoire, par exemple électorale, Michael Walzer estime ainsi que les activistes « peuvent composer avec les petites atteintes quotidiennes à la morale, avec l’opportunisme comme avec les points de vue divergents » (p. 63).
5Si le champ des problématiques présentées par Michael Walzer est très large, les solutions proposées répondent toutes à un mot d’ordre : celui du réalisme (voir p. 47). Suivant une approche résolument pragmatique, l’auteur considère chacun des obstacles auxquels peuvent se trouver confrontés les mouvements politiques (comme des problèmes à résoudre stratégiquement, et non idéologiquement, et ceci dès la définition des combats à mener).
6Dans cette perspective, Michael Walzer exprime à de nombreuses reprises son rejet des options qu’il considère comme trop radicales, à la tête desquelles ce qu’il qualifie de fantasme révolutionnaire (voir p. 40). Un activisme fondé sur des idéaux trop extrêmes car éloignés de la réalité s’exposerait ainsi selon lui à « la défaite et la répression » (p. 165), sabotant de fait ses objectifs fondamentaux de changement social et politique. Pour l’auteur, seuls deux types d’actions politiques sont réellement envisageables, et doivent être mis en œuvre : la « politique de la pression » consistant à infléchir les positions du personnel politique en place, et la « politique électorale » visant au remplacement de ce personnel (p. 42). Michael Walzer ne croit pas en la possibilité d’une action politique fructueuse en marge de ces alternatives, estimant que « changer le système politique au sein duquel sont élaborées les politiques est une option rarement envisageable » (p. 43).
7Le Manuel d’action politique de Michael Walzer peut ainsi être considéré comme une boite à outils particulièrement riche pour qui souhaite s’engager politiquement de façon traditionnelle, au sein d’instances reconnues telles que des partis, ou encore des associations. Il ne sera en revanche pas d’un grand secours pour inventer de nouvelles formes politiques de vivre-ensemble – revendications pourtant croissantes au sein des mouvements sociaux contestataires.
Pour citer cet article
Référence électronique
Camille Girard-Chanudet, « Michael Walzer, Manuel d’action politique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 19 mai 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/41137 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.41137
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