Tessa Melkonian, Pourquoi un leader doit être exemplaire
Texte intégral
- 1 Voir notamment Max Weber, La domination, Paris, La Découverte, 2013. Compte rendu de Maëlys Bar et (...)
1Voici un court ouvrage, de lecture aisée, sur un sujet classique en management mais qui interroge également l’ensemble des sciences sociales. Tessa Melkonian, professeure à l’École de management de Lyon, s’inscrit dans le prolongement des analyses du sociologue Max Weber sur le pouvoir, l’autorité et la domination1 qui font partie des fondements de la théorie des organisations. Cette dernière regroupe l’ensemble des apports en sciences sociales et en sciences de gestion qui étudient l’action collective des individus ayant des finalités clairement identifiées. Pourquoi un leader doit être exemplaire est un livre qui s’adresse au large public de celles et ceux qui s’interrogent sur les capacités attendues des dirigeants. Il est ainsi préfacé par Denis Mercier, un ancien chef d’état-major de l’armée, et s’inspire autant du monde de l’entreprise que de celui des organisations publiques.
- 2 Tessa Melkonian précise qu’elle est abordée « depuis l’Antiquité » (p. 14), « depuis Platon et Aris (...)
2La thèse principale de l’ouvrage est que ceux qui souhaitent diriger, qui souhaitent manager des organisations, doivent être exemplaires. L’auteure raisonne à partir des nombreux contre-exemples de leaders non exemplaires dont le comportement n’est pas accepté par le corps social (patrons d’entreprises ou hommes politiques). La notion d’exemplarité est à la fois simple et puissante : Tessa Melkonian la définit comme « la capacité de ces leaders à incarner à travers leurs propres comportements les exigences qu’ils formulent vis-à-vis de leurs équipes, voire du corps social dans son ensemble » (p. 14). C’est un concept indissociable de la relation d’autorité – qui concerne les individus qui ont la responsabilité d’une ou plusieurs personnes – et qui n’est pas réservé à l’entreprise mais peut être mobilisé dans d’autres domaines, notamment dans celui de l’éducation. L’exemplarité est une notion ancienne2 dont le sens a souvent évolué au fil du temps mais qui découle simplement d’une exposition du leader au regard de ses subordonnés.
3En économie ou en gestion, cette attente d’exemplarité des leaders est devenue une contrepartie de l’engagement des acteurs dans les entreprises, des exigences en termes d’autonomie ou de coopération des collaborateurs. Les facteurs traditionnels de motivation tels que la rémunération ou le statut de l’emploi ne sont plus suffisants, et le dirigeant qui souhaite faire évoluer le comportement de son personnel est astreint à fonder son autorité sur des sources qui ne soient pas uniquement formelles ou juridiques. C’est un enjeu de confiance et de légitimité pour l’action collective organisée. Le leader joue un rôle de « modèle » et son comportement est porteur de valeurs utiles pour ancrer les croyances des individus qui sont en contact avec lui. On ne peut attendre des autres ce qu’on ne fait pas soi-même.
- 3 Il s’agit de l’ensemble des facteurs extérieurs qui influencent une organisation.
4L’exemplarité est donc avant tout une exigence comportementale. Elle se construit et peut donc s’apprendre. L’auteure insiste sur la justification de cette attente : l’environnement dans lequel évolue l’organisation3 est incertain, instable et change régulièrement, de plus en plus rapidement. Pour favoriser la coopération et l’engagement des acteurs sur la durée autour d’un projet commun, les leaders doivent être exemplaires. À défaut, ils suscitent des mouvements de résistante passive ou active de ceux à qui ils demandent des efforts, des investissements. L’exemplarité est un outil indissociable de la conduite du changement qui remet en cause des situations sociales établies comme, par exemple, l’introduction de nouveaux procédés ou de nouvelles règles. L’auteure évoque ainsi le monde militaire qui a fait, de longue date, de l’exemplarité une préoccupation centrale.
- 4 L’auteure parle d’une amélioration de « l’auto-efficacité », soit la confiance dans la capacité à a (...)
- 5 Tessa Melkonian évoque ici ses propres recherches sur la fusion des compagnies aériennes Air France (...)
5Pour comprendre l’intérêt de cette défense de l’exemplarité, Tessa Melkonian expose les conséquences de sa présence ou de son absence en prenant appui tant sur des recherches théoriques (par exemple les écrits philosophiques de Jean-Jacques Rousseau) que sur des travaux empiriques en sciences de gestion ou en psychologie. Avec un leader exemplaire, on constate ainsi une amélioration de l’apprentissage des individus. Ils perçoivent le caractère juste et légitime de l’autorité des dirigeants. Ils ne perdent pas de temps à rechercher si le comportement est approprié ou non. Les acteurs sociaux peuvent apprécier, grâce aux pratiques concrètes de leurs chefs, s’ils sont capables de modifier leurs attitudes4. Un autre effet repéré par l’auteure est celui de l’amélioration de la satisfaction des individus : il devient plus aisé d’apprécier le caractère positif des changements5. A contrario, l’exemplarité réduit les réactions cyniques face aux évolutions demandées.
- 6 En référence aux travaux du psychologue Solomon Asch (1907-1996) qui montrait que la pression du gr (...)
6L’exemplarité a donc des exigences. Il est difficile pour un leader d’avoir un comportement irréprochable et galvaniseur sur le long terme. C’est en partie liée à l’exercice du pouvoir qui se traduit dans la durée par une tendance à exiger plus des collaborateurs, de manière unilatérale. Le pouvoir isole le dirigeant, sa communication devient plus directive. De plus, l’existence possible d’autres leaders non exemplaires donne au chef un groupe de référence qui peut l’amener sous la pression sociale (désir d’appartenance) à adopter le comportement majoritaire6. L’auteure évoque aussi les limites humaines comme frein à l’exemplarité : il n’est pas possible d’être exemplaire en permanence. Une certaine humilité est nécessaire. D’autant que la régulation des comportements par les dirigeants demande des efforts qui peuvent se traduire par un épuisement physique.
- 7 L’auteure indique ainsi la proximité avec le terrain, les processus de rétroaction avec les collabo (...)
7L’enjeu essentiel est alors développé dans la dernière partie de l’ouvrage autour de la question : « comment développer son exemplarité ? ». Sont à nouveau convoqués les apports de recherches variées, classiques ou récentes, en psychologie, en management, en économie ainsi que des exemples tirés de l’actualité. L’auteure décrit les principes fondamentaux d’un leadership exemplaire : prendre conscience que le comportement du chef sera scruté avec attention, sélectionner les comportements essentiels sur lesquels être exemplaire, exercer le pouvoir en restant attentif à ses dérives potentielles (évoquées précédemment)7 et, tout simplement, prendre en considération des ressources physiques nécessaires à l’exercice de la fonction de leader.
8Au final, cet ouvrage très agréable à lire et très pédagogique illustre la capacité des sciences de gestion et notamment du management à étudier des notions simples et classiques dans un but opérationnel. Dans une société qui a fait du changement un enjeu fondamental, toute personne souhaitant exercer des responsabilités doit avoir conscience de l’influence que son propre comportement peut avoir sur les individus sur lesquels il exerce son autorité et sa domination.
Notes
1 Voir notamment Max Weber, La domination, Paris, La Découverte, 2013. Compte rendu de Maëlys Bar et Alice Feyeux pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16412 et note critique de Béatrice Hibou pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14098.
2 Tessa Melkonian précise qu’elle est abordée « depuis l’Antiquité » (p. 14), « depuis Platon et Aristote » (p. 21).
3 Il s’agit de l’ensemble des facteurs extérieurs qui influencent une organisation.
4 L’auteure parle d’une amélioration de « l’auto-efficacité », soit la confiance dans la capacité à adopter un nouveau comportement (p. 40).
5 Tessa Melkonian évoque ici ses propres recherches sur la fusion des compagnies aériennes Air France et KLM menées sur plusieurs années.
6 En référence aux travaux du psychologue Solomon Asch (1907-1996) qui montrait que la pression du groupe conduisait des personnes à considérer comme vraies des propositions objectivement fausses.
7 L’auteure indique ainsi la proximité avec le terrain, les processus de rétroaction avec les collaborateurs…
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Guillaume Arnould, « Tessa Melkonian, Pourquoi un leader doit être exemplaire », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 mai 2020, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/41034 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.41034
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