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Jack Goody, La peur des représentations. L'ambivalence à l'égard des images, du théâtre, de la fiction, des reliques et de la sexualité

Patrick Cotelette
La peur des représentations
Jack Goody, La peur des représentations. L'ambivalence à l'égard des images, du théâtre, de la fiction, des reliques et de la sexualité, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », 2006, 308 p., EAN : 9782707149299.
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Texte intégral

1Dans ce livre intitulé La peur des répresentations, Jack Goody entreprend à la manière de ses écrits antérieurs, c'est-à-dire comme dans L'évolution de la famille et du mariage en Europe (1985) ou dans La culture des fleurs (1994) une étude d'anthropologie comparative, tant spatiale que temporelle, portant ici sur les attitudes à l'égard des représentations. Les représentations qui l'intéressent sont toutes celles comportant une dimension mimétique, que l'objet copié soit de l'ordre du profane (avec les cas du théâtre, du roman et de la représentation du sexe) ou de l'ordre du sacré (avec les cas des icônes, des reliques et du mythe).

2Le grand mérite de ce livre est d'émettre une hypothèse anthropologique simple sur le rapport des hommes aux représentations, et de s'efforcer de la prouver. Pour toutes ces représentations, le problème ontologique que pose Goody est que leur statut de copie les empêche d'être pleinement la réalité. De ce fait, il existe à l'égard de ces représentations une « ambivalence cognitive » propre à l'individu mais universelle en l'homme qui les rend à la fois attirantes et condamnables. C'est alors à partir de cet universel que l'on peut comprendre les différences dans l'espace et dans le temps des éléments culturels disponibles. A certaines périodes, l'ambivalence peut ainsi pencher au niveau sociétal du côté de la condamnation, ce que Goody observe par exemple dans le puritanisme de l'époque de Cromwell qui conduit à l'absence relative de beaucoup des représentations étudiées. Mais l'ambivalence peut également pencher au niveau sociétal du côté de l'attirance, ce qui explique que certains lieux et que certaines périodes de l'histoire soient l'occasion d'une profusion de production de représentations. La différence qui existe alors entre les sociétés de l'écrit et les sociétés de l'oral est que les premières peuvent enregistrer les différentes attitudes individuelles à l'égard des représentations, les rendre explicites, tandis que les secondes ne laissent de trace de leur ambivalence cognitive qu'au niveau sociétal des représentations produites.

3Pour appuyer cette thèse, Jack Goody entreprend alors, pour les différentes représentations « incriminées » par l'ambivalence cognitive qu'il postule, de montrer qu'il a existé des positions tant positives que négatives dispersées dans l'espace et dans le temps et qui peuvent expliquer la présence ou l'absence de ces représentations mimétiques. Face à ce travail de titan qui, de son aveu même, rend toute exhaustivité impossible, Goody s'attaque alors à différentes périodes et à différents pays, parfois de manière très brillante (les chapitres portant sur les reliques, le théâtre et les mythes sont ainsi les plus intéressants), parfois de manière confuse et manquant clairement de structure (pour ne citer que cet exemple, le deuxième chapitre intitulé « Icones et iconoclasme en Afrique ? Absence et ambivalence » ne consacre que dix pages sur quarante au continent africain) ou tombant dans l'anecdote pour l'anecdote. L'érudition de Goody atteint en effet ici son point limite, celui à partir duquel on parle de tout sans donner au lecteur une structure claire. Ceci est clairement un défaut du livre, et on aurait ainsi apprécié un index dans cette édition française du livre, d'autant que certains développements très courts méritent un regard qui peut être indépendant de la lecture ordonnée du livre.

4Au-delà de cette remarque « formelle », on se doit d'émettre un doute sur la thèse principale du livre. L'idée est finalement simple : pour toutes les représentations impliquant une part de mimétisme, il existerait de tout temps et en tout lieu pour l'homme une part d'hésitation entre l'acceptation et le rejet en raison justement de l'écart entre le représenté et la représentation. C'est l'agrégation de ces attitudes qui expliqueraient alors l'existence ou l'absence de ces représentations mimétiques à une époque et dans un lieu donnés. A tout prendre, on pourrait adhérer sans trop de réticences à cette thèse, d'autant que, d'une certaine manière, cela ne coûte pas grand-chose d'y croire quand rien n'est dit sur ce qui conduit une société dans son ensemble à accepter ou à refuser les représentations mimétiques. A plusieurs reprises Goody esquisse un tel questionnement (notamment dans le début du deuxième chapitre), et il tente même à un moment implicitement de dresser une typologie des iconoclasmes (page 88), mais jamais il ne s'attaque frontalement à la question. Par conséquent, Goody propose dans ce livre une thèse à laquelle on peut adhérer si tant est qu'on adopte la même position morale ou philosophique que lui, ce qui est loin d'être pleinement scientifique, même s'il fait preuve d'une grande érudition au fil des pages.

5A cet égard, on peut alors être parfois gêné par le propos teinté de théologie de Goody. Il tente de montrer que de tout temps et en tout lieu les hommes, plus généralement pour lui les êtres doués du langage car c'est le langage qui est source du problème (p. 38), ont eu une attitude ambivalente à l'égard des représentations mimétiques. D'une manière générale pour Goody, quand ces représentations portent sur des objets profanes, le problème de la représentation est que celle-ci n'est pas « vraie ». Quand ces représentations portent sur des objets religieux, le problème de la représentation se double de la question de la figuration de l'immatériel (le dieu ou l'âme du saint) par le matériel (l'icône ou la relique). Que ces problèmes se posent pour un scientifique croyant du XXème siècle nommé Jack Goody, on veut bien le croire. De là à généraliser cette idée à l'humanité toute entière, il est sans doute impossible de croire qu'on pourra le prouver en raison un jour et y apporter plus que quelques indices épars, ce que fait le livre, ou une profession de foi. C'est finalement au lecteur d'y adhérer ou non.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patrick Cotelette, « Jack Goody, La peur des représentations. L'ambivalence à l'égard des images, du théâtre, de la fiction, des reliques et de la sexualité », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 avril 2007, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/405 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.405

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