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Bruno Cautrès, Anne Muxel (dir.), Histoire d’une révolution électorale (2015-2018)

David Noël
Histoire d'une révolution électorale (2015-2018)
Bruno Cautrès, Anne Muxel (dir.), Histoire d'une révolution électorale (2015-2018), Paris, Classiques Garnier, coll. « Rencontres », 2019, 308 p., ISBN : 978-2-406-09143-1.
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Texte intégral

1Les enquêtes d’opinion sont des outils majeurs de la science politique qui permettent au chercheur de comprendre les dynamiques électorales. Pour appréhender les évolutions de l’opinion publique avant, pendant et après la séquence électorale de 2017, le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) a pu s’appuyer sur une enquête d’une précision inédite, portant sur un panel de plus de 7 100 participants constants interrogés par l’institut Ipsos durant 18 vagues de sondage, de novembre 2015 à mai 2018. L’ouvrage collectif dirigé par Bruno Cautrès et Anne Muxel, tous deux chercheurs au CNRS et au Cevipof s’efforce de tirer les enseignements de cette enquête de grande ampleur au fil des dix-huit contributions qui y sont rassemblées.

2Gilles Finchelstein démontre dans sa contribution sur les primaires que ce mode de désignation des candidats pour les Républicains et la « Belle alliance populaire » réunissant le Parti socialiste et ses alliés a eu « un effet de division et un effet de polarisation » du fait de l’élimination des favoris et du choix de candidats « plus polarisés qu’ils ne le sont traditionnellement ». Soulignant que « les vraies difficultés étaient postérieures pour la droite et antérieures pour la gauche », l’auteur relève que « les primaires conjointes de 2016-2017 ont peut-être été à la fois les premières et les dernières » (p. 26).

3Dans sa contribution sur la tentation abstentionniste, Anne Muxel distingue les panélistes déclarant leur intention de s’abstenir au premier tour des abstentionnistes du second tour, dont le choix « relève de logiques plus politiques que sociologiques » (p. 37) ; l’importance du recours au vote blanc aux législatives traduit bien, pour l’auteure, « un malaise démocratique et une demande de démocratisation des rouages mêmes de la représentation politique » (p. 41).

4Les contributions de Thierry Vedel et Madani Cheurfa et d’Arnaud Mercier s’intéressent respectivement au rôle d’internet et des réseaux sociaux et des débats télévisés sur le vote. Thierry Vedel et Madani Cheurfa concluent à « la banalisation de l’internet comme moyen d’information électoral » en même temps qu’à « son utilisation dans le domaine politique […] encore marginale » (p. 73). Arnaud Mercier souligne de son côté que les débats télévisés, qui ne font habituellement que conforter les électeurs dans leur choix et dont l’impact est limité, ont eu durant la campagne électorale de 2017 un rôle décisif, permettant dans un premier temps à François Fillon de surclasser ses concurrents de la primaire des Républicains, à Jean-Luc Mélenchon de dominer Benoît Hamon et de gagner en présidentialité et, dans l’entre-deux-tours, à Emmanuel Macron de mobiliser des électeurs tentés par l’abstention effrayés par la posture très agressive de Marine Le Pen (p. 98).

5Brice Teinturier et Amandine Lama s’intéressent dans leur contribution à « la stupéfaction face à l’incroyable chute de François Fillon ». Ils y démontrent qu'un premier recul des intentions de votes pour le vainqueur de la primaire des Républicains peut être observé dès le mois de décembre 2016, une fois connues ses positions sur la sécurité sociale, qui conduisent les électeurs juppéistes les plus modérés à se tourner vers Emmanuel Macron. Dans un second temps, les révélations du Canard enchaîné sur l’emploi de Pénélope Fillon portent un coup sévère à l’image de probité de François Fillon, qui commet une erreur stratégique en multipliant les attaques contre la presse et les juges et en s’appuyant sur l’association Sens commun, issue de « la Manif pour tous » pour aller chercher des électeurs sur son flanc droit alors que l’essentiel des pertes se joue sur son flanc gauche en direction d’Emmanuel Macron (p. 126). Mathieu Gallard, Federico Vacas et Stéphane Zumsteg aboutissent à la même conclusion dans leur étude sur « les électeurs perdus du grand perdant ». Les auteurs soulignent que le choix final des panélistes perdus par François Fillon explique non seulement la qualification d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, mais a en outre contribué à ancrer l'ancien ministre de François Hollande au centre-droit de l’échiquier politique.

6Pierre Bréchon raconte dans sa contribution « l’inexorable naufrage socialiste », au lendemain de la désignation de Benoît Hamon et au fil des défections qui viennent renforcer Emmanuel Macron. Sorti défait des législatives et en miettes, le Parti socialiste conserve des sympathisants au-delà même de ses électeurs. Dès lors, « toute la question est de savoir si le PS peut élargir à nouveau son socle de sympathisants et s’il peut retrouver une dynamique électorale, au fur et à mesure qu’il se recentre et que s’estompe l’aura du président centriste, élu sur des idées sociale-libérales, mais qui a fait depuis son élection une politique très souvent perçue comme de droite libérale » (p. 145).

7Analysant le vote des panélistes pour Marine Le Pen et le Rassemblement national, Pascal Perrineau revient sur l’échec de la campagne présidentielle de la candidate FN, un temps en tête des sondages, mais ébranlée par les affaires et incapable de lisser son image : « de février à avril 2017, elle ne réussit pas à améliorer les traits de son image et ne progresse sur aucune dimension. Sa campagne ne prend pas, tout au contraire. En termes d’image, les perceptions les plus négatives ont trait à son honnêteté, à son efficacité et à la sympathie qu’on éprouve à son égard » (p. 190). Pascal Perrineau souligne cependant que « le vote pour Marine Le Pen comme pour le Front national aux élections législatives est un vote pour les propositions et les idées plus qu’un vote de parti ou de personnalité » (p. 197) et que « le Rassemblement national […] peut capitaliser sans vergogne une sensibilité anti-européenne que peu lui disputent.» (p. 198-199).

8En parallèle, Bruno Cautrès, qui s’est intéressé à la campagne réussie de la France insoumise, souligne les fragilités de la synthèse opérée par Jean-Luc Mélenchon. De fait, « L’électorat de la France insoumise est très critique sur l’Europe mais il se caractérise aussi par un haut niveau de tolérance culturelle et une vision non-ethnocentrée des rapports humains.» (p. 217). Ce paradoxe constitue un élément de faiblesse pour la France insoumise, comme pour le Parti communiste français et le Nouveau parti anticapitaliste qui ne captent pas l’électorat souverainiste et europhobe très largement acquis au Front national.

9Dans une campagne marquée par « la tentation populiste et ses fluctuations », qui fait l’objet d’une contribution de Gilles Ivaldi, le clivage gauche-droite est loin d’avoir disparu, ainsi que le démontre Gilles Finchelstein, soulignant que plus de 93 % des panélistes acceptent de se situer sur un axe gauche-droite et sont capables de situer les candidats aux présidentielles. Cette question d’auto-positionnement des panélistes est très révélatrice : on y découvre qu’entre 2015 et 2017, le positionnement moyen des français sur l’axe gauche-droite est passé de 5,4 à 5,6, les gauches passant de 32,3 % des panélistes à 31,2 % et les droites de 43,1 % à 44,8 % en 2017 ; on y découvre aussi qu’à l’exception des enjeux européens, la frontière gauche droite résiste avec des écarts très importants en pourcentage entre électeurs de gauche et électeurs de droite sur de nombreux sujets, qu’il s’agisse de la sécurité sociale, du nombre de fonctionnaires, de la place de l’islam ou de l’immigration (p. 239).

10Dès lors, le macronisme électoral se révèle un « édifice fragile » ainsi que le souligne Jérôme Jaffré. Sur l’échelle gauche-droite, 34 % des Français situaient Emmanuel Macron à droite en avril 2017 ; un an plus tard, 71 % des Français classent le président de la République à droite. Pour Jérôme Jaffré, « le macronisme électoral est le produit de la France heureuse, celle qui a une vision positive de ses perspectives personnelles dans les années à venir. Il y a là un vrai décalage avec la réalité du pays constituant le principal point de fragilité du macronisme » (p. 262). Pour Sylvie Strudel, la chance d’Emmanuel Macron est aujourd’hui « d’exister dans un paysage politique vitrifié, face à une droite déboussolée et à une gauche désunie » (p. 275).

11À l’issue de ce tour d’horizon, Bruno Cautrès et Annie Muxel s’interrogent sur la pérennité de la « révolution » macroniste et concluent que « les signes actuels plaident plutôt en faveur d’une reconfiguration durable, en tout cas, sur le moyen terme », du fait de la faiblesse des forces politiques traditionnelles de gauche comme de droite et le poids des forces populistes (p. 284).

12Écrit fin 2018 au moment du mouvement des Gilets jaunes et avant les élections européennes du 26 mai 2019, l’ouvrage dirigé par Bruno Cautrès et Annie Muxel nous renseigne utilement sur la séquence électorale qui va du lendemain des élections régionales de 2015 aux premières années du mandat d’Emmanuel Macron, dans le regard d’un échantillon représentatif de Françaises et de Français. L’analyse précise des transferts de voix durant la campagne électorale permet de comprendre les raisons de la victoire d’Emmanuel Macron mais, au-delà du simple commentaire de sondages d’opinion, c’est une étude du paysage politique français qui se dessine et qui vient parfois remettre en cause des idées reçues totalement erronées, sur la prétendue fin du clivage droite-gauche ou le rapprochement des extrêmes.

13Beaucoup de contributions s’interrogeaient, dans leurs conclusions respectives, sur la crise des Gilets jaunes et le résultat des élections européennes. Avec le recul, on ne peut que constater que les analyses des auteurs sur la fragilité du macronisme, la capacité du RN à capter l’électorat hostile à la construction européenne et la faiblesse des gauches et des droites en pleine reconstruction se sont largement confirmées.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Noël, « Bruno Cautrès, Anne Muxel (dir.), Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 14 novembre 2019, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/38567 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.38567

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Rédacteur

David Noël

Professeur d’histoire-géographie au collège Paul Duez de Leforest, doctorant en histoire contemporaine, centre Georges Chevrier, UMR 7366, université de Bourgogne, et membre du bureau de la régionale Nord-Pas-de-Calais de l’APHG.

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