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Olivier Duhamel, Martial Foucault, Mathieu Fulla et Marc Lazar (dir.), La Ve République démystifiée

Guillaume Arnould
La Ve République démystifiée
Olivier Duhamel, Martial Foucault, Mathieu Fulla, Marc Lazar (dir.), La Ve République démystifiée, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Académique », 2019, 248 p., ISBN : 9782724624557.
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Texte intégral

1À l’occasion du soixantième anniversaire de la naissance de la Cinquième République en 2018, l’Institut d’études politiques de Paris a organisé un colloque pour dresser un bilan du régime politique original mis en place en France en 1958. Cet ouvrage en est le prolongement mais n’en constitue pas simplement les actes. La Ve République démystifiée réunit plus d’une vingtaine d’auteurs (politistes, juristes, historiens...) et mobilise plusieurs champs disciplinaires (au-delà du droit constitutionnel, de l’histoire et de la science politique, la sociologie ou l’économie viennent apporter leur éclairage) pour questionner notre connaissance réelle du système politique établi à l’arrivée (au retour ?) au pouvoir de Charles de Gaulle. L’ouvrage s’organise en 6 parties totalisant 20 chapitres. Chaque partie s’intéresse plus particulièrement à un élément clé du régime : le président, le Parlement, l’État, les partis politiques, la prospective et, pour finir, la connaissance et l’appréciation de la Cinquième République par les Français.

2La longévité de cette constitution est le point de départ de l’analyse. L’histoire institutionnelle de la France est en effet particulièrement riche. De nombreuses modalités de régimes politiques ont été imaginées avant de déboucher sur le système de 1958 : monarchie constitutionnelle, dictature de salut public, directoire, consulat, régime présidentiel, régime d’assemblée... Olivier Duhamel précise dans son introduction que la pérennité de la Cinquième Constitution s’explique aussi par les révisions régulières dont elle fait l’objet (24 à ce jour). Les différentes contributions de cet ouvrage cherchent ainsi à éclairer les relations entre le régime constitutionnel et la vie politique du pays pour comprendre et expliquer notre République actuelle et ses évolutions.

  • 1 Ensemble de techniques juridiques favorisant la stabilité gouvernementale face au Parlement : dro (...)

3L’historien Nicolas Rousselier expose dans le premier chapitre les tensions qui découlent de la force du pouvoir présidentiel établi à partir de 1958. Il montre par exemple que la nature juridique de la constitution laisse une place importante au Premier ministre : il ne s’agit donc pas simplement d’un régime présidentiel mais également d’un régime parlementaire dont les quatre épisodes de cohabitation d’une majorité parlementaire opposée au Président ont établi la nature hybride. Rousselier montre que l’idée de domination présidentielle s’est imposée à l’encontre d’une tradition majoritaire de leadership primo-ministériel, et que le présidentialisme qui apparaît en 1958 découle en grande partie de la force des circonstances. Le Président de la République devait ainsi mettre en œuvre un parlementarisme rationalisé1 pour s’imposer aux assemblées et incarner la conception particulière du pouvoir du général de Gaulle (un pouvoir suprême qui garantisse l’intérêt général de la Nation). Dans ce contexte, la révision constitutionnelle de 1962 qui instaure l’élection du Président au suffrage universel direct consacre la domination présidentielle en établissant une relation de confiance avec le peuple. Elle met dans le même temps un terme à l’idée d’un Président au-dessus des partis en le plaçant au centre du jeu politique et en rendant nécessaire l’existence d’une majorité présidentielle. La révision constitutionnelle de 2000 qui instaure le quinquennat et aligne ainsi les mandats législatifs et présidentiels établit, selon Nicolas Rousselier, un présidentialisme « encombré de sa force » : le Président a besoin de résultats rapides et doit communiquer régulièrement, en mettant en jeu son autorité, dans un contexte où les marges de manœuvre économique et financière se réduisent. Cela crée un décalage entre les attentes fortes issues de l’élection présidentielle et la capacité réelle d’une personne à mettre en place des politiques publiques efficaces.

4Les deux chapitres suivants approfondissent le positionnement du Président dans la République actuelle. Guillaume Tusseau analyse la présidentialisation dans une optique institutionnelle : une culture constitutionnelle (des croyances qui traduisent la réalité de notre système juridique) s’est construite progressivement, tant en raison du contexte politique de la guerre d’Algérie que de l’établissement de ce lien direct entre le peuple et le président à partir de la révision de 1962. Bastien François montre dans sa contribution l’importance sociologique du soutien initial des élites à ce nouveau régime (hauts fonctionnaires, syndicats réformistes, dirigeants d’entreprises galvanisés par la modernité du système politique) et la lente transformation de la vie politique, qui fait apparaître le pouvoir présidentiel comme opaque et éloigné des préoccupations démocratiques.

5La deuxième partie traite de la place du Parlement dans la Cinquième République. Olivier Rozenberg en décrit l’évolution historique : on passe d’un affaiblissement du Parlement à sa revalorisation par étapes (en 1974, droit de saisir le Conseil constitutionnel ; en 1995, mise en place de la session unique ; en 2008, renforcement du pouvoir des Commissions dans la procédure législative). Cependant, les outils du parlementarisme rationalisé existent toujours et les assemblées ne se sont que modérément affirmées face au pouvoir exécutif, principalement pour la procédure d’élaboration de la loi. Les comparaisons internationales montrent toutefois que le Parlement français dispose de prérogatives importantes, notamment en termes de contrôle de l’action gouvernementale, et que les commissions d’enquêtes parlementaires incarnent ce pouvoir. Rozenberg souligne cependant l’éloignement du Parlement vis-à-vis de la société : faible participation électorale, problème de représentativité, professionnalisation des représentants... La vie parlementaire n’a jamais été aussi morcelée qu’en 2018 (8 groupes à l’Assemblée nationale) ; l’activisme et l’obstruction se sont fortement développés et constituent une nouvelle forme de communication politique ; l’activité législative reste surchargée et les majorités parlementaires sont indisciplinées. Ces tendances posent la question de l’efficacité du Parlement. L’historienne Anne-Laure Olivier montre que le Parlement, en particulier le Sénat, a su trouver sa place dans l’architecture institutionnelle de la Cinquième République pour faire émerger les compromis avec l’exécutif. Les représentations des Français restent toutefois ancrées autour de l’idée d’un Parlement qui nuit à la rapidité de la décision politique. Eric Thiers revient sur la contribution d’Olivier Rozenberg et conclut que la démocratie parlementaire souffre de sa nature : elle suppose un travail de qualité, sérieux voire austère (vote de la loi, contrôle de l’action du gouvernement, évaluation des politiques publiques) qui présente peu d’intérêt en termes médiatiques et semble éloigner le Parlement de la représentation des citoyens.

6La troisième partie aborde la conception de l’État dans la Cinquième République. Alain Chatriot estime que les notions d’État fort ou faible ont une portée analytique limitée et ne permettent que d’apprécier les représentations que l’on peut avoir des questions de pouvoir ; il en appelle donc aux travaux comparatifs. Loïc Azoulai reformule la réflexion sur la place de l’État autour des réponses que le pouvoir apporte aux besoins sociaux et des contradictions qui en découlent : le pouvoir doit être proche des gens sans se mêler de tout, il doit protéger la souveraineté nationale dans un contexte de mondialisation, l’État doit diriger l’économie mais sous la contrainte de l’ouverture des marchés internationaux et il doit combiner les demandes d’autorité avec les mouvements de contestation sociale. Dans cette optique, la contribution de Bruno Palier sur le rôle de l’État dans la réforme de la protection sociale décrit parfaitement la place centrale occupée par l’État pour mener une politique publique qui réponde à des objectifs d’efficacité et de justice tout en prenant en considération les limites découlant des évolutions économiques et sociales (maîtrise des dépenses publiques, vieillissement de la population, apparition de nouveaux risques...). Christophe Jamin décrit, quant à lui, le développement d’un contrôle du pouvoir politique par le droit et la justice comme réponse à la production normative de l’État, sans pour autant que les autorités judiciaires se constituent comme un contre-pouvoir.

7Les chapitres abordant la place des partis politiques sont réunis dans la quatrième partie et décrivent les évolutions du système partisan en France sous la Cinquième République. Marc Lazar, Florence Haegel et Pascal Perrineau discutent de la marginalisation originelle des partis, voulue par le général de Gaulle pour placer le Président au dessus des jeux partisans ; ils évoquent la bipolarisation des partis, qui se sont adaptés au système institutionnel pour sélectionner leurs candidats, et la fragmentation inédite issue des élections de 2017. La réflexion porte autant sur l’évolution à venir du système partisan que sur le rôle que joue le cadre juridique vis-à-vis du comportement des partis (élections, primaires...). Cette partie annonce la démarche de celle qui suit : Gérard Grunberg et Jérôme Jaffré, Olivier Duhamel et Anne Muxel s’y livrent à un exercice de prospective en établissant les scénarios de changement possibles de la Cinquième République : nouveaux modes de scrutin, majorités présidentielle et parlementaire distinctes, Sixième République... Cet exercice de politique fiction est très stimulant car il extrapole certaines tendances et pousse dans ses retranchements ce régime politique original. Par exemple, la coexistence d’un Président et d’un Premier ministre reste une des questions fondamentales posées au système institutionnel de la Cinquième République. Or, comme le souligne Anne Muxel, la défiance des citoyens est de plus en plus marquée : elle se traduit par de l’abstention, par une défiance forte des partisans des partis extrêmes qui n’ont pu accéder au pouvoir et par l’installation d’une culture protestataire. Les réformes à venir de la Cinquième République devront tenir compte de ces éléments.

  • 2 Cette dernière partie s’appuie en particulier (même si plusieurs contributions précédentes y font (...)

8La sixième et dernière partie de cet ouvrage remarquable, agréable à lire et très pédagogique, est constituée de chapitres qui se penchent sur les relations entretenues entre les Français et leur constitution. L’enquête de 2018 qui est citée2 montre que le socle constitutionnel est bien connu et compris par les personnes interrogées, notamment autour du rôle clé du Président. Le régime politique fait l’objet d’un soutien critique puisque nombreux sont ceux et celles qui souhaitent voir le système évoluer. Il ressort de ce sondage le rejet d’un accroissement des pouvoirs présidentiels, la permanence d’un clivage droite/gauche dans les opinions et l’insatisfaction croissante des sympathisants des partis extrêmes. Ainsi, cette Cinquième République qui a su épisodiquement se transformer pour continuer d’organiser le système politique français dispose de nombreux atouts pour se réinventer et répondre aux défis qui se posent, et se poseront encore.

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Notes

1 Ensemble de techniques juridiques favorisant la stabilité gouvernementale face au Parlement : droit de dissolution, règles concernant les motions de censure...

2 Cette dernière partie s’appuie en particulier (même si plusieurs contributions précédentes y font aussi référence) sur une enquête d’opinion publique de l’institut BVA menée pour Sciences Po, l’hebdomadaire L’Obs et la radio France Inter sur un échantillon de 1 040 Français qui ont été interrogés par Internet en août 2018.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Arnould, « Olivier Duhamel, Martial Foucault, Mathieu Fulla et Marc Lazar (dir.), La Ve République démystifiée », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 28 août 2019, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/36476 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.36476

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Rédacteur

Guillaume Arnould

Inspecteur pédagogique d’économie et gestion, académie de Rouen.

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