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Claude Baudoin, À quoi pensent les animaux ? Comportement, cognition, émotions

Guillaume Lequien
À quoi pensent les animaux ?
Claude Baudoin, À quoi pensent les animaux ? Comportements, cognition, émotions, Paris, CNRS, coll. « Biblis », 2019, 221 p., préf. Boris Cyrulnik, ISBN : 978-2-271-12238-4.
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Texte intégral

1Dans cet ouvrage publié en collection de poche par les éditions du CNRS, l’éthologue Claude Baudoin dessine un panorama des acquis de sa discipline depuis les années 1970 et des questions que l’on continue à se poser autour de la vie animale. La préface signée Boris Cyrulnik recontextualise brièvement la transformation de la « psychologie animale » des années 1960 en éthologie contemporaine, dont les méthodes gagnent en rigueur scientifique et bénéficient d’une aura positive auprès du public, de plus en plus curieux des interactions entre humains et animaux.

2Le livre est composé de quatre chapitres principaux, suivis d’une sorte de postface de l’auteur où il fait le point sur les autres questionnements qui subsistent, notamment sur le futur évolutif des capacités cognitives déjà observées et sur la représentation de la mort chez les primates. Le projet est résumé à la page 194 : « Les éthologues n’ont pas réponse à toutes les questions qu’ils se posent mais ils les posent de façon à pouvoir obtenir des réponses rigoureuses et des interprétations acceptables dans l’état des connaissances ».

3Le premier chapitre est consacré à l’étude des comportements animaliers depuis les recherches de Konrad Lorenz sur le mécanisme d’imprégnation chez les oiseaux, et celles de Karl von Frisch sur la danse des abeilles. Tous deux ont été lauréats avec Nikolaas Tinbergen du prix Nobel en 1973, date présentée comme fondatrice du développement de l’éthologie comme discipline scientifique à part entière. On distingue une tendance qui vise à étudier le comportement des espèces dans leur milieu naturel, et une autre qui privilégie le laboratoire comme lieu d’observation de certains mécanismes, plus complexes à observer en liberté. Par exemple, une équipe internationale étudie depuis une vingtaine d’années des groupes de suricates du Kalahari : ils les marquent individuellement depuis la naissance et les suivent par émetteur GPS au fil de leurs pérégrinations. L’auteur insiste particulièrement sur la variabilité des comportements individuels au sein d’une même espèce. Les causes de ces comportements sont recherchées du côté des « mécanismes de déclenchement inné » postulés par Tinbergen, mais aussi du côté des hormones et neurotransmetteurs dont on commence à avoir une connaissance de plus en plus fine. On étudie également les mécanismes évolutifs, avec l’avènement de la théorie de la sélection de parentèles dans l’explication des comportements apparemment altruistes : les suricates prennent plus de risques pour protéger la femelle dominante, sur qui repose davantage la survie du groupe.

4La pensée animale qui donne son titre à l’ouvrage n’est véritablement abordée que dans le deuxième chapitre. À défaut d’observation directe des mécanismes cognitifs, on emprunte aux neurosciences des tests d’imagerie cérébrale, ou on utilise des approches comportementales indirectes. On étudie la représentation des insectes et des oiseaux dans l’espace. On observe les capacités d’apprentissage comme la mémorisation des odeurs chez les jeunes fourmis ; on sait que les abeilles sont capables de se représenter la différence ou l’équivalence ; ces travaux sont ensuite utilisés pour simuler des apprentissages similaires chez des intelligences artificielles. On étudie également les capacités de dénombrement chez les oiseaux et chez les rats, l’apprentissage de systèmes de signes chez les grands singes, l’utilisation d’un langage comme la célèbre danse des abeilles (p. 96) ou les cris d’alarme chez les rongeurs ou les bonobos. Les fourmis sont capables d’utiliser des outils non transformés (grains de terre, cailloux) ; des corbeaux de Nouvelle-Calédonie fabriquent et utilisent des outils pour capturer des proies. Au sujet de la conscience de soi, le test de Gordon Gallup datant du début des années 1970 permet de commencer à trancher la question pour certaines espèces, mais il reste à adapter le protocole expérimental en fonction des spécificités de certaines autres. On comprend mieux le rôle des neurones miroirs chez les macaques. Mais l’auteur invite à la prudence méthodologique : même si plusieurs individus ont manifesté une conscience d’eux-mêmes, il n’est pas toujours possible de généraliser ce résultat à l’espèce entière. Afin d’expliquer les représentations sociales, les interactions et tromperies chez les chimpanzés, il faut prendre en compte les contraintes écologiques et les interactions sociales. « Chaque cas d’espèce est une expérience naturelle en soi qui peut être appréhendée comme un système unique » (p. 126-127).

5Le troisième chapitre s’intéresse à la sensibilité et aux émotions chez les animaux en s’appuyant sur des critères objectifs et mesurables, contre les traditions anthropocentristes qui ont longtemps dénié toute sensibilité à l’« animal-machine » cartésien. Darwin supposait dès 1872 que les animaux partagent avec les humains certaines émotions primaires comme la joie, la tristesse, la colère, la peur, le dégoût, la surprise, et cette hypothèse est de plus en plus confirmée. L’empathie est partagée par les espèces sociales, comme la variabilité du tempérament d’un individu à un autre et les réactions au stress.

6Tous ces indices émotionnels conduisent à poser d’une façon plus précise dans le quatrième chapitre la question de la préservation de la biodiversité malgré les effets des activités humaines, et celle du bien-être des animaux que l’on peut commencer à mesurer d’une façon plus objective et moins spéculative qu’à l’époque de Descartes, notamment du côté des animaux d’élevage, des animaux domestiques et des animaux de laboratoire qui restent un modèle pour les pathologies comportementales humaines.

7On peut regretter au fil de la lecture l’absence de références précises aux travaux sur lesquels s’appuie l’auteur : même si cela a pour effet d’alléger la lecture pour le néophyte, avec certains termes techniques qui sont expliqués dans le glossaire en appendice, néanmoins le lecteur curieux doit prendre acte des théories et des observations expérimentales qui sont exposées sans savoir où chercher des prolongements pour approfondir sa curiosité. Par ailleurs, il faut bien prendre cet ouvrage comme dressant un simple panorama des multiples développements d’une science encore mal connue: il ne faut donc pas y chercher des thèses originales ; c’est d’ailleurs l’un des défauts de ce livre, qui tient à sa nature même, de proposer des descriptions souvent très générales, puis une série d’exemples qui ne soutiennent pas toujours une idée claire mais démultiplient plutôt les problèmes qui se posent au scientifique. Heureusement, chaque chapitre développe quelques points théoriques ou rappelle une série précise d’expériences dans plusieurs encadrés qui donnent plus de consistance aux développements parfois abstraits.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Lequien, « Claude Baudoin, À quoi pensent les animaux ? Comportement, cognition, émotions », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 août 2019, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/36322 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.36322

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Rédacteur

Guillaume Lequien

Professeur certifié de philosophie et de cinéma-audiovisuel.

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Droits d’auteur

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