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Benjamin Bürbaumer, Alexis Cukier et Marlène Rosato (dir.), Europe, alternatives démocratiques. Analyses et propositions de gauche

Tristan Boursier
Europe, alternatives démocratiques
Benjamin Bürbaumer, Alexis Cukier, Marlène Rosato (dir.), Europe, alternatives démocratiques. Analyses et propositions de gauche, Paris, La Dispute, 2019, 221 p., ISBN : 978-2-84303-298-1.
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Texte intégral

1Cet ouvrage collectif, codirigé par trois membres de l’European Research Network for Social and Economic Policy (Erensep) de Londres, affiche clairement son ambition politique. Il entend ouvrir les perspectives politiques d’une gauche européenne qui « apparaît perdue et fascinée par la montée de l’extrême droite » (p. 69). Il propose donc des alternatives démocratiques aux politiques européennes actuelles, décrites comme capitalistes et autoritaires. Les auteurs se situent ouvertement engagés à gauche, mais se démarquent des propositions qui ont émergé jusqu’à présent sur le plan politique. En ce sens, ils ne rejoignent ni la volonté de réformer l’Union européenne ni la stratégie du « plan B » qui consiste à voir seulement comme solution de dernier recours un changement complet des institutions européennes. Les auteurs adoptent une position radicale qui a pour objectif de détruire l’Union européenne telle qu’elle a été conçue afin de penser un nouveau projet européen, fédéral, solidaire et populaire.

  • 1 La postface est à l’origine un communiqué rédigé et publié par l’équipe d’Erensep France en janvier (...)
  • 2 Cédric Durand, « Introduction. Qu’est-ce que l’Europe ? », in Cédric Durand (dir.), En finir avec l (...)

2L’ouvrage est articulé en trois parties qui sont autant d’étapes dans une réflexion qui aboutit à trois propositions présentées dans la postface1. Ces propositions consistent à nationaliser et socialiser les banques et à rétablir la souveraineté populaire et démocratique des peuples d’Europe. Les contributions sont avant tout d’ordre théorique et normatif, bien que souvent nourries par une littérature empirique plus spécifique. La thèse commune à tous les auteurs est que la Commission européenne et la Banque centrale organisent et structurent les politiques nationales de démantèlement des services publics et du droit du travail. Il en résulte une dégradation des conditions de vie et de travail d’une grande partie des populations européennes. L’Union européenne est donc avant tout comprise comme une « construction supranationale conçue pour protéger le capital de l’intervention démocratique des peuples »2. Cette construction mène à une « dé-démocratisation » des institutions politiques européennes au profit d’un néolibéralisme qui se manifeste par une économisation de la politique et une dépolitisation de l’économie.

3La première partie du livre est construite comme une analyse liminaire qui permet de poser de solides fondations au reste de l’argument. Dans cette partie, les auteurs s’interrogent sur les enjeux et les causes de la crise de l’Union européenne. Éric Toussaint examine dans le premier chapitre les attitudes des partis de gauche majoritaires face à l’Union européenne. Il montre que les stratégies militantes de gauche menées jusqu’à présent sont vaines, car elles visent à réformer l’Union européenne alors qu’il faudrait la refonder. Éric Toussaint propose aux élus et militants européens de gauche de faire converger leurs stratégies pour prendre en compte une multitude de dimensions : internationalisme, féminisme, écologisme, antiracisme, socialisme, communisme et libertaire.

4Dans le chapitre deux, Josep Maria Antentas reproche aux partis de gauche de se cantonner à un discours de classe fondée sur la recherche d’une classe ouvrière imaginaire, en ignorant la nécessité d’une vision multidimensionnelle des oppressions. Pour l’auteur, l’extrême droite n’est pas antinéolibérale, mais elle incarne le néolibéralisme autoritaire et le nationalisme exclusif avec un agenda probusiness et réactionnaire. Il rejoint la proposition d’Éric Toussain dans ce sens en proposant de réactualiser le concept de lutte des classes dans un cadre européen internationalisé afin de penser un modèle de souveraineté des peuples en dehors du cadre de l’État-nation, c’est-à-dire à la fois sensible aux luttes intra-nationales et en accord avec l’idée d’internationalisation nécessaire à un projet européen.

  • 3 Stefan Auer, « ”New Europe”: between cosmopolitan dreams and nationalist nightmare », Journal of Co (...)
  • 4 Aline Sierp and Christian Karner, « National stereotypes in the context of the European crisis », N (...)
  • 5 Neil Davidson, Nation-States. Consciousness and Competition, Chicago, Haymarket Books, 2016.

5Le chapitre trois, de Benjamin Bürbaumer, s’appuie sur les travaux de Stefan Auer3, Aline Sierp et Christian Karner4 afin d’expliquer que l’Union européenne n’a pas contribué à diminuer les tensions liées aux nationalismes. Cette thèse va contre l’idée communément acceptée, selon laquelle l’Union européenne permet de pacifier les tensions nationalistes. . S’appuyant sur des données empiriques relatives au rapport des Européens à l’Europe, l’auteur montre en effet que l’Union européenne génère du nationalisme dans les États membres. À l’instar de Neil Davidson5, il propose de distinguer les notions de « nationalisme » et de « conscience nationale ». Cette distinction devrait permettre à la gauche de s’emparer du concept de nation autrement que ne le fait l’extrême droite. Ainsi, pour l’auteur, la nation ne doit pas se cantonner à un nativisme xénophobe, mais doit être construite sur un droit à l’autodétermination des peuples européens.

6La deuxième partie se concentre sur l’Union économique et monétaire et adopte une perspective globaliste afin de déconstruire les notions de centre et de périphérie en Europe.

7Dans le chapitre quatre, Joachim Becker rejette la théorie de la convergence des luttes, qui sous-estime les effets inégaux de l’union monétaire sur la formation des inégalités. L’auteur rappelle l’existence de deux schémas de développement économique anciens en Europe : un modèle économique basé sur l’exportation – caractérisé par une industrie forte et compétitive comme en Allemagne – et un autre sur la financiarisation – caractérisé par l’accumulation du capital, l’importation et l’orientation vers des secteurs tertiaires comme le tourisme dans les pays d’Europe méridionale. Pour l’auteur, les économies basées sur l’exportation forment un centre alors que celles basées sur la financiarisation forment une périphérie. Examinant les structures économiques du Portugal de la Grèce et de l’Italie durant la crise, l’auteur réaffirme que cette différence rend la réforme de l’Union européenne impossible sur le plan économique.

8Costas Lapavitsas va plus loin dans le chapitre suivant, en plaidant pour un changement des programmes économiques européens afin de les rendre plus sensibles aux conditions spécifiques de chaque pays. Cela doit notamment passer par la prise en compte des différences entre centre et périphéries développées précédemment par Joachim Becker.

9Ana Podvršič met l’accent sur la théorie qui conceptualise l’intégration réussie des pays de l’Europe de l’est au sein de l’Union européenne. Cette théorie est basée sur l’idée que ces pays ont désormais acquis une croissance économique forte. Si cette croissance est effectivement plus forte aujourd’hui, l’auteure rappelle que l’intégration européenne vers l’Est a engendré en parallèle des inégalités sociales importantes, touchant particulièrement les populations qui dépendent de l’industrie pour vivre. Ces inégalités ne sont pas dues à de mauvais choix politiques mais sont inhérentes au système politique européen. Aussi, l’augmentation du PIB de ces pays ne doit pas occulter la dégradation des conditions de vie et de travail des populations (indicateurs de productivité et de croissance des emplois et des salaires).

10La dernière partie de l’ouvrage analyse ce que les auteurs appellent la dette de l’euro et de l’emploi en Europe, qui désigne la part des dettes publiques et l’augmentation du taux de chômage imputées à l’adoption de la monnaie unique. On regrette que l’analyse se limite à la France, l’Espagne et à la Grèce. Néanmoins cette limitation permet de de se focaliser en détail sur les mécanismes institutionnelles et historiques qui ont conduit à ces dettes. Cette partie nous amène à l’objectif général du livre : concevoir une dynamique politique de gauche capable de se conforter aux institutions européennes. Pour cela, les auteurs — Patrick Saurin, Pablo Cotarelo, Sergi Cutillas, Heiner Flassbeck et Costas Lapavitsas — envisagent respectivement trois enjeux sur lesquels les partis de gauche devraient prendre position contre les politiques européennes actuelles : le rejet des dettes publiques qualifiées d’illégitimes, la volonté d’une politique de plein emploi de qualité et un programme de rupture avec l’austérité imposée par l’Union européenne. Les analyses de cette partie sont nourries d’une connaissance empirique solide issue d’études qualitatives et quantitatives antérieures.

11Cet ouvrage insuffle une dynamique académique dans un discours politique qui manque parfois de rigueur dans les analyses qu’il mobilise. Si les auteurs développent une argumentation avisée et soutenue par de nombreuses références, certains passages relèvent avant tout d’un style essayiste. Certains axes mériteraient d’être développés. Ainsi, il serait intéressant de regarder plus en détail les facteurs de développement au sein des pays de l’Est afin de préciser les causes du creusement des inégalités sociales qu’aurait provoqué l’intégration européenne. On peut imaginer que des facteurs internes, propres aux systèmes politiques et économiques de ces pays pourraient affiner la présentation sans doute trop homogène qu’en fait l’ouvrage. L’angle de l’ouvrage restant économique, si l’objectif affiché est de penser une Europe internationaliste, socialiste, communiste, libertaire, féministe, écologiste et antiraciste, les trois derniers termes sont souvent en second plan. Il aurait été intéressant que les analyses placent plus au centre les questions intersectionnelles et multiculturelles. Au final, cet essai collectif pose des questions essentielles de sociologie économique et politique et offre ainsi une contribution salutaire au projet d’une gauche européenne renouvelée, combative et radicale face à la domination capitaliste.

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Notes

1 La postface est à l’origine un communiqué rédigé et publié par l’équipe d’Erensep France en janvier 2017, signé par une vingtaine d’universitaires lors du colloque « La France et l’Europe après le Brexit » qui s’est déroulé les 2 et 3 décembre 2016 à Paris.

2 Cédric Durand, « Introduction. Qu’est-ce que l’Europe ? », in Cédric Durand (dir.), En finir avec l’Europe, La Fabrique, Paris, 2013, p. 7-47.

3 Stefan Auer, « ”New Europe”: between cosmopolitan dreams and nationalist nightmare », Journal of Common Market Studies, vol. 48, n° 5, 2010, p. 1163-1184.

4 Aline Sierp and Christian Karner, « National stereotypes in the context of the European crisis », National Identities, vol. 19, n° 1, 2017, p. 1-9.

5 Neil Davidson, Nation-States. Consciousness and Competition, Chicago, Haymarket Books, 2016.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Tristan Boursier, « Benjamin Bürbaumer, Alexis Cukier et Marlène Rosato (dir.), Europe, alternatives démocratiques. Analyses et propositions de gauche », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 juin 2019, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/35242 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.35242

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Rédacteur

Tristan Boursier

Tristan Boursier est doctorant en science politique à l’Université de Montréal et à Sciences po Paris. Ses recherches portent sur la structuration des politiques de solidarités sociales en milieu de diversité culturelle dans une perspective néo-républicaine. Il est membre du Cevipof et du centre Jean Monnet de Montréal.

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