Patricia Loncle (dir.), L’Europe de la jeunesse. Enjeux et pratiques des politiques publiques
Texte intégral
1Réunissant des contributions de chercheurs, praticiens et leaders associatifs, ce livre s’intéresse au rôle joué par l’Union européenne dans le traitement des questions relatives à la jeunesse. Il apparaît que cet enjeu de société a longtemps été sous-considéré, non seulement par les instances européennes, les décideurs politiques mais aussi, plus largement, par le monde de la recherche. Court et bien construit, ce livre vient combler un manque en matière de littérature. Divisé en trois parties équilibrées correspondant chacune à un échelon analytique différent (niveaux supranational, national et local), il dresse un état des lieux informé des politiques publiques européennes à destination de la jeunesse. L’originalité de l’ouvrage est d’alterner les réflexions des acteurs institutionnels ayant contribué à la mise en œuvre de certains programmes avec les travaux d’universitaires spécialistes du sujet et les témoignages de membres d’associations de jeunes qui ont recours aux fonds européens. Cette diversité des approches et des regards confère à ce livre collectif un caractère hétérodoxe qui peut déconcerter de prime abord. Toutefois, il n’en a pas moins le mérite de faire connaître ce domaine important de l’action publique européenne par-delà les cercles des chercheurs ou des professionnels du secteur. L’ouvrage se destine ainsi en priorité aux citoyens curieux et aux membres associatifs.
- 1 Voir notamment : Hassenteufel Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Coli (...)
2Composée de deux chapitres, la première partie est spécifiquement centrée sur les institutions européennes, leurs attributions spécifiques en matière de jeunesse et les politiques qu’elles élaborent dans ce domaine. Dans sa contribution intitulée « Les instituions européennes et la jeunesse : rôles, objectifs et instruments », Philipp Boetzelen nous apprend que c’est le Conseil de l’Europe qui, à travers la création du Centre européen de la jeunesse en 1972 à Strasbourg, a placé le premier cet enjeu sur l’agenda politique. Plusieurs conférences interministérielles suivent à partir du milieu des années 1980. Elles abordent d’abord les questions socio-économiques (inclusion sur le marché du travail, formation, etc.), avant de s’orienter vers des considérations plus civiques et politiques à la suite des attentats du 11 Septembre. Il est alors question de valoriser le dialogue interculturel par la mobilité notamment. Quant à la Commission, elle met en place par le truchement de la Direction générale de l’éducation et de la culture, des dispositifs pour stimuler les apprentissages mutuels entre les différents pays de l’Union ainsi que des mécanismes financiers pour accompagner les politiques publiques du secteur, tel que le fonds Erasmus + 20. Dans le chapitre suivant consacré à « l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique de jeunesse européenne », Howard Williamson met à profit son expérience empirique comme rapporteur auprès du Conseil de l’Europe pour dresser un panorama, à la fois lucide et critique, des politiques nationales de jeunesse. Sujettes aux revers électoraux et autres changements politico-administratifs, ces dernières s’avèrent d’une part victimes d’une forme de dispersion bureaucratique (plusieurs ministères et agences concernés) et d’autre part tiraillées par des processus de décentralisation souvent mal-négociés. Faute d’une coordination suffisante, intersectorielle comme intergouvernementale, les politiques de jeunesse deviennent inopérantes. La cohérence et la continuité de l’action publique européenne s’en trouvent affectées. Si le constat est amer, la réflexion est éclairante : elle s’apparente aux travaux des sociologues de l’action publique qui analysent précisément les difficultés de mise en œuvre des politiques publiques1. Ceux-ci trouveront là de nouveaux exemples pour illustrer ou étayer leurs arguments.
- 2 Tom Chevallier cite ici le célèbre politiste norvégien Esping-Andersen pour qui « la démarchandisat (...)
3Sur le modèle de la première, la deuxième partie s’articule autour de deux chapitres qui prennent le cadre national comme focale analytique. Intitulée « Les États-providence et la jeunesse en Europe », la réflexion de Tom Chevalier est vraisemblablement le plus aboutie sur le plan théorique. Partant du concept de « démarchandisation » cher à Esping-Andersen (1990)2, l’auteur suggère d’aller plus loin et de renouer également avec celui de « défamilialisation » (formulé pour la première fois par Ruth Lister en 1994), dès lors que les jeunes se trouvent ou non dans une position de dépendance économique vis-à-vis de leurs entourages. Après avoir passé en revue plusieurs travaux académiques caractérisant les différents régimes institutionnels européens pour en montrer les limites, Tom Chevalier propose une nouvelle typologie analytique, laquelle est efficacement résumée dans un tableau à double entrée (p. 86). Selon que le régime d’intégration sociale repose sur une stratégie inclusive (politique éducative égalitaire, politique de l’emploi axée sur l’offre) ou sélective (politique éducative élitiste, politique de l’emploi axée sur la demande) et que la logique économique dominante est celle de la « familialisation » ou de l’individualisation, il définit quatre modèles différents de citoyenneté des jeunes (« encadrée », « habilitante », « refusée » et « de seconde classe »), qu’il illustre par des cas nationaux. À bien des égards, la démonstration est non seulement convaincante mais éclairante. Dans une veine similaire, le quatrième chapitre rédigé par Morena Cuconato analyse en perspective comparée les discours dominants et autres éléments rhétoriques qui assimilent les jeunes tantôt à des « ressources », tantôt à des « menaces » ou à des « victimes », et accompagnent la mise en place des politiques qui leur sont destinées dans différents pays européens.
4Quant à la dernière partie, intitulée « la Jeunesse et l’Europe par le bas », elle relate principalement les témoignages de membres d’associations du bassin rennais et des pays de la Loire qui ont recours aux fonds européens pour la jeunesse. Sur le plan heuristique, l’un des principaux enseignements qui peut en être tiré tient aux logiques d’apprentissage, voire d’expertise ou de « professionnalisation », que la constitution des dossiers de financement nécessite d’acquérir.
5Parce qu’il associe les approches et croise les regards (souvent critiques), ce livre collectif est intéressant. Mais, peut-être soulève-t-il plus d’attentes qu’il n’y répond ? On aimerait en apprendre davantage par exemple sur la réception des politiques européennes par les « ressortissants » concernés ou, dans un tout autre registre, connaître le profil dominant des 35 000 candidats qui, chaque année, tentent les concours des institutions bruxelloises. Le format choisi – moins de 200 pages – limite malheureusement le nombre de contributions. Au demeurant, l’esprit de synthèse privilégié par les différents auteurs n’en reste pas moins très appréciable. In fine, ce livre constitue une très bonne introduction pour quiconque souhaite approfondir la réflexion sur « l’Europe et ses jeunes ».
Notes
1 Voir notamment : Hassenteufel Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, 2008 ; Lascoumes Pierre, Le Galès Patrick, Sociologie de l’action publique, Paris, Armand Colin, 2009.
2 Tom Chevallier cite ici le célèbre politiste norvégien Esping-Andersen pour qui « la démarchandisation survient lorsqu’un service est obtenu comme un dû et lorsqu’une personne peut conserver ses moyens d’existence sans dépendre du marché ».
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Référence électronique
Damien Larrouqué, « Patricia Loncle (dir.), L’Europe de la jeunesse. Enjeux et pratiques des politiques publiques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 mai 2019, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/34497 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.34497
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