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Fabien Carrié, Christophe Traïni (dir.), S’engager pour les animaux

Alexandre Iagodkine
S’engager pour les animaux
Fabien Carrié, Christophe Traïni (dir.), S’engager pour les animaux, Paris, PUF, coll. « La vie des idées », 2019, 116 p., ISBN : 9782130800835.
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Texte intégral

1 En quoi notre rapport aux animaux change-t-il ? Suite aux vidéos tournées dans des élevages industriels et des abattoirs par l’association L214 ou aux happenings spectaculaires de 269Life, cette question est entrée dans l’espace public. Une même effervescence se fait sentir dans la sphère universitaire avec le foisonnement des publications en animal studies. Mais peut-on y voir comme les auteurs du présent ouvrage « l’imminence d’une révolution prochaine de la question animale » (p. 6) ?

  • 1 Auteur de La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, Paris, PUF, 2011 (compte re (...)
  • 2 Titulaire d’une thèse de doctorat en science politique consacrée à la cause animale : Parler et agi (...)

2Sous la direction de Christophe Traïni1 et Fabien Carrié2, historiens, philosophes ou encore juristes contribuent ici à une réflexion bipartite sur l’engagement pour les animaux. En guise de première partie, l’ouvrage revient sur l’histoire et la sociologie des « mobilisations collectives en faveur de la cause animale » (p. 8) en France – par comparaison avec l’espace anglophone (Grande-Bretagne et États-Unis). La seconde partie s’attaque, quant à elle, aux normes présentes dans nos rapports aux animaux et à leur discussion dans les débats en sciences humaines et sociales (SHS).

3L’historien Pierre Serna met l’accent sur une histoire avec les animaux. Il dénonce la domination sociale et politique exercée sur eux et affirme que l’« animal est un dissident comme un autre » (p. 15), que le protéger correspond à une vision héritée de la Révolution de 1789. D’une part, défendre la cause animale promeut selon lui une société plus égalitaire, offrant une place à tous dans la cité. D’autre part, avec la Révolution française naquit l’idée que la prospérité de la société est inséparable d’un traitement des bêtes respectueux de leur bien-être.

  • 3 L’antispécisme s’oppose au spécisme qui considère que, étant donné la supériorité de l’homme sur le (...)

4Au demeurant, Fabien Carrié rappelle que la nécessité de s’engager contre la souffrance des animaux s’impose lentement en France. Apparue en Grande-Bretagne au début du XIXème siècle, la remise en question des traitements subis par les animaux connaîtrait d’emblée une division entre critique sectorielle, qui se contente de réprimander certains abus, et critique systémique, qui dénonce toute forme d’exploitation animale. Selon lui, la première l’emporte initialement en France avec la création de la SPA (1845) et une législation protectrice. Puis émerge l’antispécisme3 au début des années 1970, qui met progressivement en avant la critique systémique et radicale.

  • 4 De 2005 à 2011, 68 entretiens ont été menés auprès de militant·e·s de plus de 34 organisations diff (...)

5Attirant l’attention sur la pluralité des formes de l’engagement pour les animaux en France, Christophe Traïni analyse ensuite sociologiquement les profils des militants de la cause animale. Observation directe, entretiens de terrain4 et documents à l’appui, il souligne l’hétérogénéité du mouvement et identifie trois catégories d’engagement : le soin aux animaux d’affection (chiens et chats principalement), la protection des animaux sauvages, et la protestation morale. Dans chaque cas, les profils sociologiques, le registre émotionnel, mais aussi les dispositifs de sensibilisation divergent. Le pôle du soin est majoritairement composé de personnes travaillant pour des refuges. Celui de la protection des animaux sauvages correspond plutôt à des professionnels formés en zoologie ou en sciences de l’environnement. Plus hétérogène, le dernier pôle regroupe universitaires de la Ligue française des droits de l’animal, juristes, ou encore membres de l’Animal Liberation Front (ALF). L’étude souligne ainsi le clivage profond entre les simples réformateurs et les militants radicaux prônant une libération animale. Finalement, le spectre du mouvement s’étendrait du soin apporté aux animaux en détresse à la critique sans concession de notre société qui tolère politiquement la souffrance animale.

  • 5 Tom Regan, The Case for Animal Rights, Oakland, University of California Press, 1983.
  • 6 Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis. A Political Theory of Animal Rights, Oxford, Oxford Unive (...)

6 La seconde partie du livre éclaire ensuite des aspects de la question animale relatifs à l’éthique, au droit, ou aux SHS. Le philosophe Nicolas Delon restitue ainsi l’histoire des controverses inhérentes à l’éthique animale depuis la parution de l’ouvrage Animal Liberation de Peter Singer. Ce dernier estime que tous les animaux sensibles ont des intérêts devant être pris en compte. Mais si elle a le mérite de rejeter le spécisme, sa théorie peut toutefois justifier des expérimentations animales ayant pour but par exemple de trouver un remède à une maladie humaine. C’est l’une des raisons pour lesquelles Tom Regan, nous dit Nicolas Delon, défendit dans The Case for Animal Rights5 une position « abolitionniste » faisant des animaux des sujets de vie dotés à ce titre d’un droit absolu à la protection de leur intégrité. Au titre de la représentation politique des animaux, Sue Donaldson et Will Kymlicka affirmèrent encore plus radicalement dans Zoopolis6 que les animaux possèdent non seulement des droits absolus mais aussi le droit à un statut juridique positif.

  • 7 Article 515-14 du Code civil.

7Mais en quel sens peut-on doter les animaux de droits ? Professeur de droit public, Pierre Brunet rappelle les enjeux de cette question juridique très discutée. Pour lui, le droit français est exemplaire du statut problématique de l’animal : si le Code civil reconnaît depuis 2015 que les animaux sont des êtres sensibles, ils restent soumis « au régime des biens »7. Des législations existent pour les protéger, mais les délits les concernant sont systématiquement moins sévèrement punis, et le Code de l’environnement établit une distinction entre espèces protégées et nuisibles parmi les animaux sauvages. À en croire Pierre Brunet, ce ne sont pas les catégories juridiques à elles seules qui dissiperont ces ambiguïtés, mais des actes politiques renouvelant notre vision de l’animal et son statut.

  • 8 L’anthropologie est la première à avoir accordé de l’importance aux relations homme/animal, dès les (...)
  • 9 D’après Steven Best, « The Rise of Critical Animal Studies: Putting Theory into Action and Animal L (...)
  • 10 Cf. Jean-Pierre Digard, « Raisons et déraisons des revendications animalitaires. Essai de lecture a (...)

8Enfin, le sociologue Jérôme Michalon s’intéresse à la défense des animaux dans les SHS. Selon lui, la majorité des disciplines suivrait actuellement un « animal turn »8 dont le trait principal est de valoriser l’agentivité des animaux – soit l’idée que les animaux possèdent aussi une capacité d’action et que nos relations sont mutuelles. Par suite, pour leur rendre justice, s’opère un décentrement qui vise à introduire dans les SHS le point de vue de l’animal – aussi qualifié d’animal standpoint theory9. L’entrée dans le champ des animal studies étant souvent synonyme d’engagement pratique pour l’amélioration de la condition animale, l’auteur souligne que cette attitude est sujette à caution dans les SHS françaises, où les thèses de Peter Singer sont parfois dites « antihumanistes » (p. 94)10. Mais, au-delà de la controverse, l’auteur observe que les SHS épousent de plus en plus la cause animale en développant un zoocentrisme qui contrebalance l’anthropocentrisme jusqu’alors dominant. Somme toute cet « appariement » est à ses yeux un véritable « phénomène socio-historique » (p. 101).

9En définitive, cet ouvrage propose des pistes de réflexion stimulantes sur un sujet d’actualité. Il est susceptible d’intéresser tout public souhaitant s’initier aux enjeux de la cause animale. Son format assez court présente en effet l’avantage de le rendre accessible. Il ne satisfera néanmoins pas forcément les attentes de lecteurs déjà familiers du sujet – qui préféreront lire directement les ouvrages des contributeurs eux-mêmes.

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Notes

1 Auteur de La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, Paris, PUF, 2011 (compte rendu de Laurence Harang pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1295).

2 Titulaire d’une thèse de doctorat en science politique consacrée à la cause animale : Parler et agir au nom des « bêtes » : production, diffusion et réception de la nébuleuse idéologique « animaliste » (France et Grande-Bretagne, 1760-2010), soutenue en 2015 à l’université Paris Nanterre.

3 L’antispécisme s’oppose au spécisme qui considère que, étant donné la supériorité de l’homme sur les animaux, ses intérêts valent plus que ceux des autres espèces et doivent systématiquement être privilégiés. Les droits des animaux non-humains sont ignorés par le spécisme, et leur exploitation considérée comme normale. Le livre fondateur du mouvement antispéciste est : Peter Singer, Animal Liberation. A New Ethics for our Treatment of Animals, New York, HarperCollins, 1975.

4 De 2005 à 2011, 68 entretiens ont été menés auprès de militant·e·s de plus de 34 organisations différentes.

5 Tom Regan, The Case for Animal Rights, Oakland, University of California Press, 1983.

6 Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis. A Political Theory of Animal Rights, Oxford, Oxford University Press, 2011. Les auteurs y divisent les animaux en trois catégories (domestiques, limitrophes et sauvages) dotées de statuts respectifs (citoyenneté, résidence, souveraineté).

7 Article 515-14 du Code civil.

8 L’anthropologie est la première à avoir accordé de l’importance aux relations homme/animal, dès les travaux d’André-Georges Haudricourt sur la domestication notamment, puis avec ceux de Philippe Descola ou de Tim Ingold. En histoire, la perspective de l’animal a été portée au premier plan par Éric Baratay et Michel Pastoureau. En philosophie, Le silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité (1998) d’Élisabeth de Fontenay a incontestablement joué un rôle séminal. Pour ce qui est de la sociologie, se référer au panorama dressé par : Jérôme Michalon, Antoine Doré et Chloé Mondémé, « Une sociologie avec les animaux : faut-il changer de sociologie pour étudier les relations humains/animaux ? », SociologieS, 2016.

9 D’après Steven Best, « The Rise of Critical Animal Studies: Putting Theory into Action and Animal Liberation into Higher Education », Journal for Critical Animal Studies, 2009, vol. 7, nº1, p. 9-52.

10 Cf. Jean-Pierre Digard, « Raisons et déraisons des revendications animalitaires. Essai de lecture anthropologique et politique », Pouvoirs, 2009, vol. 4, nº131, p. 97-111 ; Jocelyne Porcher, « Ne libérez pas les animaux ! Plaidoyer contre un conformisme “analphabête” », Revue du MAUSS, 2007, vol. 29, nº1, p. 575-585.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Iagodkine, « Fabien Carrié, Christophe Traïni (dir.), S’engager pour les animaux », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 01 avril 2019, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/33122 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.33122

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Rédacteur

Alexandre Iagodkine

Élève à l’ENS Lyon, M2 Histoire de la philosophie, axes de recherche : rationalité et éthique animales, éthologie cognitive, philosophie allemande et anthropologie philosophique.

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Droits d’auteur

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