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Repenser l’économie dans une perspective écologique. Une cartographie des principaux enjeux

À propos de : Ali Douai, Gaël Plumecocq, L’économie écologique, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2017.
Gildas Renou
L'économie écologique
Ali Douai, Gaël Plumecocq, L'économie écologique, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2017, 128 p., ISBN : 978-2-7071-8596-9.
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Texte intégral

  • 1 Sur l’histoire de ces ravages et de la lente prise de conscience des sociétés industrielles, consul (...)
  • 2 Voir Jean-Baptiste Fressoz, « Biopouvoir et désinhibitions modernes : la fabrication du consentemen (...)
  • 3 La science du système Terre (Earth system science) invite à puiser dans la systems science pour env (...)
  • 4 Voir Philippe Descola, L’écologie des autres. L’anthropologie et la question de la nature, Versaill (...)
  • 5 En français, voir Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène, Paris, Se (...)
  • 6 Peter Engelke et John R. McNeill, The Great Acceleration. An Environmental History of the Anthropoc (...)

1L’économie écologique (EE) est un domaine de savoirs et de recherches récemment constitué visant à ancrer la science économique dans ses dimensions matérielles, énergétiques et environnementales. Encore mal connue en France, elle rencontre un essor spectaculaire dans l’espace académique international depuis trois décennies. Cet essor est à mettre en relation avec la prise de conscience croissante des ravages environnementaux – sur le climat, la biodiversité, la pollution de l’air, des sols, des eaux, etc. – causés par deux siècles d’un capitalisme industriel de plus en plus globalisé1. Depuis le début du XXIème siècle, de nombreux savoirs montrent de façon convergente comment ces ravages ont été nourris par ce que l’historien Jean-Baptiste Fressoz qualifie de désinhibition institutionnalisée des sociétés envers leurs dépendances matérielles et écologiques2. L’économie écologique constitue ainsi, avec la science du système Terre3 et l’anthropologie de l’environnement4, l’un des lieux intellectuels privilégiés où est réellement envisagée, de façon fondamentale, la non-soutenabilité du modèle socioéconomique né de la révolution industrielle. Attestées dès la fin du XVIIIème siècle, l’ensemble des conséquences géologiquement décelables de ce modèle socioéconomique – que certains nomment Anthropocène5 – a connu une grande accélération à partir des années 1950, à un moment où s’intensifient et s’universalisent des formes d’organisation économique initialement ouest-européennes et nord-américaines6.

  • 7 L’inadéquation et même la dangerosité de nombreux outils économiques mis en œuvre pour résoudre les (...)

2La science économique – qui, en tant que science, n’a su voir venir ni la grave crise sociale et environnementale globale, ni la contribution de certains de ses présupposés épistémiques à cette crise7 – peut-elle fournir aux sociétés des outils adéquats pour penser, voire œuvrer aux nécessaires transformations à venir ? L’ouvrage proposé par les économistes Ali Douai (université de Nice) et Gaël Plumecocq (INRA Toulouse) est sous-tendu par une réponse positive à cette question. Ce faisant, il comble un manque en proposant au public une présentation synthétique des grands enjeux dont traite l’EE. Aussi permet-il d’identifier les principaux courants intellectuels et lignes de fracture qui travaillent ce champ de recherche, au carrefour des sciences de la nature et des sciences sociales.

  • 8 On retiendra cependant les trois références suivantes, qui constituent d’utiles compléments à cette (...)

3Disons-le d’emblée, le pari nous semble gagné. Les auteurs ont en effet tenu la gageure de proposer, dans le volume limité de la collection Repères, une somme de savoirs d’une impressionnante richesse, parfaitement mise en perspective. Elle se destine probablement d’abord aux lecteurs formés aux approches plus classiques de la science économique ; mais elle intéressera plus largement des étudiants et des praticiens des sciences sociales qui s’interrogent sur la mise en politique des enjeux de ce qu’on appelle la transition écologique – comme l’auteur de ces lignes, politiste. Cet ouvrage vient donc apporter une contribution à la connaissance d’un domaine pour lequel il n’existait en langue française que peu de travaux auxquels se référer8.

  • 9 Douai et Plumecocq choisissent « socio-économie écologique » comme traduction française de « Social (...)

4La structure ternaire de l’ouvrage s’avère bien choisie. Une première partie du livre est consacrée à la genèse et au développement de l’EE. Il s’agit d’un préalable précieux qui tient compte de l’importance, bien soulignée par l’explosion des science studies depuis trente ans, de l’importance du regard de l’histoire et de la sociologie des savoirs savants pour la compréhension de ce que sont et de ce que font les sciences. Ce regard rétrospectif sur la préhistoire et la formation de l’EE illustre, de façon remarquable, combien le succès d’un savoir savant est irréductible à la seule validité épistémologique ou méthodologique des thèses portées par ses promoteurs, dépendant également de conditions sociales et institutionnelles. Sous le titre « Les débats sur les liens entre croissance économique, développement et soutenabilité », la deuxième partie de l’ouvrage se penche ensuite sur le domaine autour duquel les travaux de sociologie économique se sont initialement déployés : la relation de dépendance qui lie l’idéal – explicite ou non – d’intensification de l’activité économique à l’épuisement des ressources naturelles et à la détérioration de l’environnement. Enfin, la troisième partie traite d’une perspective devenue centrale au sein de l’EE : la critique du modèle de la valeur engagé dans l’économie standard et la proposition de conceptions alternatives, débouchant (ou non) sur des outils de mesure, des concepts et des modes de gouvernement ajustés à l’enjeu écologique global. Cette troisième partie conduit les auteurs à préciser les contours de la socio-économie écologique9 – mouvance intellectuelle explicitement alternative aux postulats de l’économie standard. En guise de conclusion, les auteurs terminent avec une recension exhaustive des principaux défis scientifiques et pratiques mis à l’agenda de la communauté internationale de l’EE.

Une perspective sociohistorique sur l’économie écologique

  • 10 En particulier deux articles d’Inge Ropke parus respectivement en 2004 et 2005 dans Ecological Econ (...)
  • 11 Voir Robert Costanza et Herman Daly, « Toward an ecological economics », Ecological Modelling, vol. (...)

5Entrons à présent dans le détail du propos. Les développements de la première partie présentent les grands moments, les obstacles et les principaux facteurs qui permettent de comprendre la constitution progressive d’un espace de recherche et de discussion académique dont la particularité consiste à articuler les problématiques traditionnelles de la science économique avec le domaine des sciences de la nature. À partir de travaux disponibles10 et de leurs propres analyses, les auteurs présentent les conditions de l’institutionnalisation académique de l’EE. Celle-ci est récente : la Société internationale d’économie écologique (ISEE) n’est créée qu’en 1988, et l’année suivante seulement paraît chez Elsevier le premier volume de la revue Ecological Economics. Pour expliquer cette dynamique soudaine, les auteurs insistent à raison sur l’alliance stratégique entre deux scientifiques : l’étatsunien Herman Daly (né en 1938) et l’Australien Robert Costanza (né en 1950), qui avaient publié en 1987 un article programmatique11.

  • 12 Voir Herman Daly, « On Economics as a Life Science », Journal of Political Economy, vol. 76-3, 1968 (...)
  • 13 Voir Kenneth Boulding, « The Economics of the Coming Spaceship Earth », in Henry Jarrett (dir.), En (...)
  • 14 En français, voir Nicholas Georgescu-Roegen, La décroissance. Entropie - Écologie - Économie, Paris (...)

6Favorable dès 1968 à un ancrage de la science économique comme une « science de la vie »12, Daly avait été le promoteur, durant les années 1970, de l’idée d’un état stationnaire (steady-state economy), visant à rompre avec l’idéal d’un développement illimité de la production et de la consommation. Il s’appuyait à ce sujet sur les idées de Kenneth Boulding et de Nicholas Georgescu-Roegen qui, avant même le choc pétrolier de 1973, avaient critiqué ce postulat qui faisait consensus parmi la plupart des économistes : la croissance économique – entendue comme augmentation sans limite de la production et de la consommation – ne serait pas contrainte par un cadre environnemental, énergétique ou matériel. En 1966, Boulding avait alors opposé « l’économie de cow-boys » des siècles passés (p. 17), sans considération de la rareté des ressources, à « l’économie du vaisseau spatial Terre » à venir, qui devra être soucieuse des limites géophysiques des activités humaines13. Plus radicalement, Georgescu-Roegen systématisait en 1971 l’importation des concepts et de l’outillage mathématiques de la thermodynamique carnotienne pour les appliquer à la science économique, ceci dans son livre majeur : The Entropy Law and the Economic Process14. Comme l’écrivent justement Douai et Plumecocq, Georgescu-Roegen fut alors le premier à voir l’économie née de la révolution industrielle « comme un système ouvert […] incapable de recycler ou de réutiliser complètement la matière ou l’énergie au cours des processus de production » (p. 18).

Robert Costanza, un entrepreneur scientifique central mais contesté

  • 15 Voir Howard Odum, Environment, Power and Society, New York, Wiley, 1971.
  • 16 Voir Robert Costanza, Ralph d’Arge, Rudolf de Groot, Stephen Farber, Monica Grasso, Bruce Hannon, K (...)

7Costanza est issu d’un tout autre univers académique que Daly. Il a été formé à l’ingénierie environnementale en Floride auprès de Howard Odum, acteur avec son frère Eugene de la constitution académique de l’écologie comme science des systèmes d’échanges énergétiques15. À partir de compétences en modélisation et en quantification de l’énergie incorporée (embodied energy) dans les produits de la biosphère, Costanza a peu à peu noué des relations avec les économistes intéressés par les enjeux énergétiques et environnementaux, jusqu’à devenir la figure de proue de l’institutionnalisation de l’EE. Mais si son activité et ses publications ont contribué au développement de ce courant de recherche, les conceptions qui sous-tendent l’approche intellectuelle de Costanza ne vont pas sans poser des problèmes, relevés par Douai et Plumecocq. À cet égard, l’une de ses ambitions constantes est le chiffrage de la contribution de la biosphère à l’activité économique, notamment saisie par le concept de service écosystémique. En 1997, Costanza publie ainsi un article qui estime à minimum 16 à 54 milliers de milliards de dollars par an la valeur totale des services écosystémiques rendus par la biosphère aux humains16. Douai et Plumecocq apparentent à juste titre cette ambition à un « projet d’économie généralisée » (p. 28) pour le moins contestable. Sans discussion véritable, Costanza accorde en effet à la valorisation monétaire une place centrale dans la mesure du monde, place qu’il conviendrait de justifier. Aussi la nature et la biosphère tendent-elles à être réduites dans ses travaux au statut de pourvoyeurs de ce qu’il nomme le capital naturel. Pour l’EE telle que la conçoit Costanza, l’environnement serait au final voué à n’avoir de pertinence qu’en termes d’appréciation monétaire.

Un champ de bataille théorique

  • 17 Étiquette d’ailleurs trompeuse, à ne pas confondre avec le courant pragmatiste initié par John Dewe (...)

8En dehors de la perspective initiée par Costanza, sans doute académiquement et institutionnellement la plus visible, d’autres mouvances animent la recherche en EE. À côté de cette approche, que les auteurs qualifient de pragmatique à la suite de Spash17, l’ouvrage met en avant que l’enjeu écologique est saisi comme une opportunité de renforcement aussi bien par les courants dominants, se réclamant du modèle standard, que par les courants contestataires. Notamment, le livre présente certaines des stratégies consistant à intégrer les débats soulevés par l’économie écologique au sein de l’approche standard, ceci sous l’étiquette d’une économie de l’environnement possédant son propre espace de publication au sein de revues dédiées, telles que le Journal of Environmental Economics and Management.

  • 18 Voir René Passet, L’Économique et Le Vivant, Lausanne, Payot, 1979.
  • 19 En français, voir Joan Martínez Alier, L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environneme (...)
  • 20 Voir Eduardo Gudynas, « Buen Vivir: Today’s tomorrow », Development, vol. 54-4, 2011, p. 441-447 ; (...)
  • 21 Se référer à la contribution décisive Ramachandra Guha, Environmentalism. A Global History, Londres (...)
  • 22 Voir Joan Martínez Alier, « Environmental Justice and Economic Degrowth: An Alliance between Two Mo (...)

9Les mouvances hétérodoxes de la science économique ont également été stimulées par l’émergence des débats environnementaux, au point de former une famille à part entière de l’EE : la socio-économie écologique, que les auteurs présentent comme une « plateforme de dialogue entre hétérodoxies ». Plusieurs y ont vu la possibilité de réarticuler leurs critiques de l’approche néo-classique autour de la prise en compte des enjeux matériels et environnementaux, le plus souvent dans un élan de rapprochement avec les autres sciences sociales et politiques. Nombre d’auteurs européens s’inscrivirent dans ce mouvement, Douai et Plumecocq rappelant d’une part le rôle de l’économiste français hétérodoxe René Passet et de son livre L’Économique et Le Vivant18, un ouvrage à l’ambition précurseuse d’ancrer le raisonnement économique dans les sciences de la nature. D’autre part, l’importance de la contribution de l’économiste catalan Joan Martínez Alier est également mentionnée, même si sa portée pourra sembler sous-estimée. Son livre retentissant sur « l’environnementalisme des pauvres », c’est-à-dire celui des paysans et travailleurs des pays du Sud, s’appuie pourtant massivement sur l’EE naissante dans le but de renouveler la critique sociale du capitalisme industriel et du libre-échange international, notamment vis-à-vis des agricultures vivrières19. En outre, il paraît important de préciser que l’EE sociale, globale et pluridisciplinaire promue par Martínez Alier constitue aujourd’hui un carrefour particulièrement dense, tant sur le plan des échanges scientifiques que politiques. S’y rencontrent en effet les critiques de l’extractivisme et du développementalisme émanant des pays du Sud20, ainsi que les promoteurs d’une conception élargie de l’environnementalisme21. Martínez Alier se revendique par ailleurs explicitement de l’héritage du socialisme tiers-mondiste et agrarien, et plus particulièrement du néomalthusianisme féministe populaire des années 190022.

  • 23 Voir Arne Naess, « The shallow and the deep, long-range ecology movement. A summary », Inquiry, vol (...)
  • 24 Voir Clive Spash, « The shallow or the deep ecological economics movement », Ecological Economics, (...)

10Dans un contraste assez frappant par rapport à l’évaluation de l’ambitieuse proposition de Martínez Alier, celle promue par le britannique Clive Spash est finalement présentée par les auteurs comme l’alternative intellectuelle la plus solide face au réductionnisme de l’EE pragmatique de Costanza. Et Douai et Plumecocq ne font d’ailleurs pas mystère de leur proximité intellectuelle avec cette alternative – sans que cette prédilection ne les conduise toutefois à des biais lorsqu’ils présentent d’autres courants. À leurs yeux, l’approche de Spash serait simplement plus apte à incorporer la plupart des approches hétérodoxes. En référence à la fameuse distinction d’Arne Naess23, Spash opposait en effet en 2013 une EE superficielle à l’EE profonde qu’il défend : « un mouvement superficiel, allié à la politique et à l’économie du business as usual, est devenu dominant et impose ce dont il se préoccupe avec les concepts et les valeurs économiques dominants »24.

Penser la soutenabilité économique

Croissance et développement

11L’enjeu scientifique premier sur lequel s’est constituée l’EE est celui de la compatibilité entre objectifs économiques – croissance, emploi, compétitivité – d’un côté, et contraintes environnementales de l’autre. Ce vaste questionnement est traité dans la seconde partie de l’ouvrage, dédiée successivement à la question de la croissance et de la décroissance, puis à celle du développement des sociétés faiblement industrialisées. Les auteurs s’intéressent aux tentatives de constitution d’une macro-économie écologique, s’interrogeant sur la possibilité d’une conjugaison entre croissance et souci écologique. Une disjonction entre grands courants théoriques est alors suggérée pour distinguer les promoteurs de la croissance verte et ceux de la décroissance.

  • 25 William Behrens, Dennis Meadows, Donella Meadows et Jørgen Randers, The Limits to Growth, New York, (...)
  • 26 Certains économistes néolibéraux avaient toutefois tenté de disqualifier la scientificité de cet ar (...)
  • 27 Voir Peter Victor, Managing without Growth. Slower by Design, Not Disaster, Cheltenham, Edward Elga (...)
  • 28 Voir Tim Jackson, Prosperity Without Growth. Economics for a Finite Planet, Londres, Earthscan, 200 (...)

12Le paradigme des uns postule une compatibilité possible entre croissance et écologie, ceci selon des modalités précises. Les auteurs soulignent avec pertinence l’impact en 1972 du fameux rapport Meadows25 sur le champ savant de la macro-économie, alors appelée à intégrer les questions soulevées par ce rapport26. Parmi les contributions du courant théorique de la croissance verte présentées par Douai et Plumecocq, on trouvera une formulation décisive de Daly préconisant l’état stationnaire, défini sous sa plume comme « une économie à population constante, avec un stock de capital constant, maintenue par un faible taux d’utilisation d’énergie tenant compte des capacités régénératives et assimilatives des écosystèmes » (citation reprise p. 37 du présent ouvrage). De façon convaincante, les propositions plus récentes de Peter Victor27 et surtout de Tim Jackson28 sont ensuite présentées comme des synthèses de la tradition postkeynésienne et de la pensée écologique globale. Alors que les courants keynésiens ont longtemps tardé à se saisir des enjeux énergétiques et environnementaux, ces auteurs proposent en effet une réflexion sur les « conditions macro-économiques d’un état stationnaire de l’économie » (p. 39) – n’éludant pas ses conséquences potentiellement négatives sur le niveau de chômage. En conjuguant le souci d’écologisation de l’économie mondiale et celui d’un pilotage macro-économique public des changements, ces recherches aident à dissiper les illusions des fausses solutions que sont la dématérialisation et la digitalisation de l’économie, ou encore l’accélération de l’innovation technologique. À l’inverse, la voie de la diminution du temps de travail paraîtrait plus prometteuse.

  • 29 Voir Federico Demaria, Joan Martínez Alier, François Schneider et Filka Sekulova, « What is degrowt (...)

13La seconde mouvance théorique, associée aux promoteurs de la décroissance, est ici pensée par distinction de la mouvance de la croissance verte et valorisée par nos auteurs. Issus d’une jeune génération d’économistes, on se réjouit qu’ils traitent ces apports-là comme relevant d’un courant digne de considération scientifique, surtout après les décennies d’ignorance, voire de mépris académique dont les promoteurs de la décroissance ont fait l’objet29. Aux antipodes, la présentation de Douai et Plumecocq est exhaustive, mentionnant par exemple avec justesse l’importance décisive des travaux de Georgescu-Roegen sur les phénomènes entropiques dans l’économie industrielle. De plus, l’importance de l’écologie politique française des années 1970 est également signalée – Illich, Ellul et Gorz notamment.

  • 30 Voir notamment Giorgos Kallis, Joan Martínez Alier et François Schneider, « Crisis or opportunity? (...)

14Au sujet du renouveau que connaît cette mouvance, on pourra seulement regretter le parti pris d’une approche par auteurs. Ce choix conduit Douai et Plumecocq à ne pas rendre compte du fait que la compréhension du succès (relatif) de la thématique de la décroissance soutenable dans les années 2000 dépend aussi de sa réinscription dans une dynamique scientifique largement collective – dont l’Institut des sciences et technologies environnementales de l’université autonome de Barcelone (ICTA) fut le théâtre privilégié. Économiste et militant engagé depuis longtemps dans les mouvements pour la justice environnementale globale Nord / Sud, Joan Martínez Alier y a collaboré avec toute une jeune génération d’économistes hétérodoxes venus des quatre coins de l’Europe – entre autres Asara, Kallis, Schneider et Sekulova. C’est ensemble qu’ils ont massivement œuvré au renforcement de cette problématique, au carrefour des mouvements sociaux et de la science académique30.

  • 31 En français, voir John Foster, Marx écologiste, Paris, Éditions Amsterdam, 2011. En complément, se (...)

15Le chapitre II s’achève avec une dernière section consacrée à un concept important de la réflexion sur la soutenabilité : celui de métabolisme social, qui comporte une origine marxienne. Marx avait en effet développé dans Le Capital (livre I, section 1, chapitre 3) l’idée de « gesellschaftlicher Stoffwechsel » – traductible par « métabolisme de la société » ou littéralement « échange de matière socialisé »31. Le concept ayant ensuite connu plusieurs réélaborations, on apprécie la présentation très claire de l’approche de Marina Fischer-Kowalski (p. 46) qui envisage le développement économique dans une perspective socio-métabolique – d’autant qu’elle est encore peu connue en France.

Vers un développement soutenable ?

  • 32 Pour plus de détails, se reporter au tableau originellement établi par l’auteur. En anglais, voir M (...)
  • 33 Voir Amartya Sen, Development as Freedom, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; Martha Nussbaum, (...)

16Le chapitre III, consacré au problème du développement économique, s’inscrit donc dans un cadre élargi par rapport au chapitre précédent : celui de l’économie internationale et des relations Nord / Sud. Les travaux importants – mais peu traduits et peu connus en France – de l’économiste étatsunien Richard Norgaard et du Chilien Manfred Max-Neef sont ici synthétisés. Le premier considère notamment le modèle intellectuel impliqué dans les politiques internationales de développement comme une « trahison » envers les populations du Sud (p. 51-53). Quant au second, il avait proposé dès les années 1990 une liste des besoins humains fondamentaux, à rebours de l’idée courante (d’origine marginaliste) d’une liste de besoins tendanciellement infinis. Les auteurs portent ainsi à la connaissance de leur lectorat un tableau des neuf catégories axiologiques constitutives des besoins humains : subsistance, protection, affection, compréhension, participation, loisir, création, identité et liberté (p. 58-59)32. À juste titre, les auteurs font de Max-Neef le pionnier d’une réflexion sur les types de biens visés par les institutions sociales, une réflexion qu’Amartya Sen et Martha Nussbaum ont d’ailleurs alimentée plus tard dans leurs travaux majeurs sur les capabilités33, bien qu’on puisse déceler quelques traces d’un développementalisme modernisateur dans cette matrice des besoins.

  • 34 Voir Joan Martínez Alier, L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le (...)

17Un troisième et dernier éclairage est offert sous le drapeau de « l’environnementalisme des pauvres » promu par Joan Martínez Alier (1998), dont l’ouvrage central est disponible en français depuis 201234. La portée et la complexité de cette approche, à l’intersection de l’EE, de la sociologie politique des mouvements sociaux contemporains et de la critique du développement capitaliste, sont fidèlement restituées par Douai et Plumecocq. Entre autres, la tension qui parcourt toutes les tentatives d’extrapolation politique des recherches en EE, entre l’ambition de matérialisation (énergétique et environnementale) et la nécessité de maintien d’un pluralisme (des langages d’évaluation et des architectures culturelles de la justice sociale), demeure ici particulièrement perceptible en dépit de la présentation synthétique du théoricien (p. 62-64) – comme d’ailleurs à l’échelle de ce chapitre qui offre au lecteur de riches pistes de réflexion.

  • 35 Voir World Commission on Environment and Development, Our Common Future, Oxford, Oxford University (...)
  • 36 Voir Richard Howarth, Richard Norgaard et Chris Sneddon, « Sustainable development in a post-Brundt (...)
  • 37 Voir Eduardo Gudynas, El mandato ecológico. Derechos de la Naturaleza y políticas ambientales en la (...)
  • 38 Voir Ignacy Sachs, Stratégies de l’écodéveloppement, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1980.
  • 39 Voir Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Science (...)
  • 40 Voir Franck-Dominique Vivien, Le développement soutenable, op. cit.

18Le lecteur issu de l’histoire, de la science politique ou de l’anthropologie pourra peut-être discuter certains choix de ce chapitre. Par exemple : la transformation du débat – tant savant que politique – sur l’articulation entre développement et environnement au cours des dernières décennies peut-elle véritablement être comprise sans mentionner les événements que furent, sur la scène internationale, la publication du rapport Brundtland en 198735 puis la tenue du Sommet de la Terre de Rio en 1992 ? Popularisant tout un vocabulaire associé au développement durable / soutenable, ils ont aussi initié de profondes remises en question, notamment dans les pays du Sud36. Dans leur sillage, des contributions importantes, élaborant des modèles alternatifs à celui du développement économique, se sont articulées sur un registre délibérément extérieur au format économiste, comme celles de Gudynas sur l’extractivisme et le bien vivre37. Et le fait qu’elles ont emprunté prioritairement la langue espagnole montre également, par contraste, combien l’anglais reste la langue véhiculaire du débat savant en EE. Sur le même plan, certains précurseurs de la critique du développementalisme auraient toutefois pu être mentionnés, tels qu’Ignacy Sachs38 et Gilbert Rist39. À la décharge des auteurs, un ouvrage publié antérieurement dans la même collection est spécifiquement consacré au thème du développement soutenable40.

Théorie de la valeur et implications politiques de l’économie écologique

19Abordons pour finir la troisième partie de l’ouvrage : « valeurs et gouvernance environnementales ». Choisissant à nouveau de se confronter à une question structurante du débat de l’EE, les auteurs traitent de la manière propre à la science économique de proposer des outils conceptuels et métrologiques permettant de « prendre en compte la valeur des éléments naturels » (p. 67). Deux grands répertoires sont alors distingués par Douai et Plumecocq : abordé au quatrième chapitre sur la « mise en marché de la nature », le premier choisit de s’appuyer sur le paradigme hérité de l’approche standard ; quant au second, il entend rompre avec l’approche standard pour inscrire la réflexion de l’EE dans un cadre social et politique plus large, qui ne fait plus de la coordination marchande le modèle privilégié de l’attribution institutionnelle de la valeur.

L’absorption de l’environnement par la mise en valeur monétaire

20L’ambition d’intégrer la nature – ressources, aménités, beauté, attachement, etc. – dans le format du marché a donné lieu à la production d’outils de décision et de gouvernance publique, ici présentés avec précision par les auteurs, qui reviennent avant tout sur les transformations successives d’un modèle rudimentaire mais apprécié des décideurs : l’analyse coût-avantage issue de la micro-économie (p. 68-75). Particulièrement, Douai et Plumecocq s’attachent à retracer l’ambition d’une mesure de la « valeur économique totale » de la nature agrégeant deux types de valeur : les valeurs d’usage (dont la valeur écologique et la valeur d’usage direct) et les valeurs de non-usage (dont la valeur d’existence). Cette ambition de totalisation de différentes formes de valeur révèle bien l’optimisme de ce paradigme quant à la possibilité d’intégrer, par quantification et au sein d’une évaluation en termes monétaires, les différents types de valeur prêtables aux entités naturelles. Ce n’est jamais en soi que ces entités valent, mais au regard de ce qu’un acteur économique est prêt à sacrifier vis-à-vis de ces entités en vue d’une compensation dans un autre domaine. La substituabilité de leur utilité est alors postulée, et il reste simplement à déterminer les niveaux de compensation.

  • 41 En français, voir Morgan Robertson, « Mesure et aliénation. Créer un monde de services écosystémiqu (...)
  • 42 Voir Virginie Maris, Nature à vendre. Les limites des services écosystémiques, Versailles, Éditions (...)
  • 43 Ses travaux sont d’autant plus précieux qu’ils ouvrent les questionnements de l’EE aux perspectives (...)

21Les auteurs reviennent ensuite sur un débat brûlant dans l’EE depuis trente ans, celui des services écosystémiques. Ce débat relativement complexe – impossible à restituer en quelques lignes – est exposé avec beaucoup de rigueur et de pédagogie par les auteurs. Ce travail didactique est d’autant plus important que le concept de service écosystémique entend mesurer les services qu’offrent les entités naturelles aux acteurs économiques. Dans la plupart des pays occidentaux, son érection en catégorie de l’action publique à part entière, de même qu’en catégorie du droit de l’environnement sur laquelle les juridictions peuvent appuyer leurs jugements, implique ainsi des conséquences massives. Mais pour penser plus précisément la confection et l’usage de tels outils d’action publique qui, élaborés par les économistes écologistes, ont un impact profond sur les sociétés dans la formalisation de leurs rapports à l’environnement, l’apport des autres sciences sociales, qui n’est que suggéré, aurait pu être mobilisé. À cet égard, les travaux du géographe étatsunien Morgan Robertson nous semblent importants à signaler41, tout comme ceux de la philosophe Virginie Maris42 ou de l’économiste Valérie Boisvert43.

Une alternative prometteuse : la socio-économie écologique

  • 44 Voir Joan Martínez Alier, Giuseppe Munda et John O’Neill, « Weak comparability of values as a found (...)

22Le cinquième et dernier chapitre est consacré à la mouvance de l’EE qui entend rompre avec le paradigme standard. À la suite de Clive Spash, qui s’en est fait le porte-étendard, les auteurs parlent de socio-économie écologique. Ils traitent d’abord de la question de l’incommensurabilité des valeurs, qui est peu à peu apparue – au cours des années 1990 – comme une question théorique cruciale pour le déploiement de l’EE. Comment, en effet, cette discipline peut-elle articuler, au sein d’un même cadre, l’évaluation de biens qui se présentent sans commune mesure : les biens environnementaux (de la biosphère aux écosystèmes localisés), les biens marchands, les biens sociopolitiques, les normes morales ? Certains auteurs firent de cette difficulté – la faible comparabilité des valeurs – le point de refondation revendiqué de la science économique44. Douai et Plumecocq insistent alors à juste titre sur le fait que cette difficulté propre à l’incommensurabilité des valeurs conduit à la réinscription des enjeux moraux et politique dans l’EE, même si certains économistes marqués par le positivisme y restent réticents. Plus généralement, les hypothèses sur lesquelles reposent l’utilitarisme et le conséquentialisme individualistes de l’économie standard – d’inspiration néoclassique – atteignent des limites manifestes quand elles doivent traiter des questions écologiques, ce qu’un nombre croissant d’économistes semblent reconnaître.

  • 45 Voir Arild Vatn, Environmental Governance: Institutions, Policies and Actions, Cheltenham, Edward E (...)
  • 46 Voir Jouni Paavola, « Institutions and environmental governance: A reconceptualization », Ecologica (...)

23La mouvance de la socio-économie écologique œuvre donc à travailler un projet abandonné par les courants standards : celui de la recherche de la meilleure « institution articulatrice de valeurs » (p. 87). En effet, puisque le marché et la métrique monétaire démontrent leur incapacité à fournir une mesure incontestable de la valeur de la nature, il importe de redonner une place au politique dans la hiérarchisation des objectifs et dans la décision. D’où des dispositifs institutionnels délibératifs sont logiquement promus par un grand nombre d’auteurs appartenant à ce courant, à l’instar de Michael Jacobs. Douai et Plumecocq en profitent pour présenter les apports et les limites de travaux peu connus en France : ceux du Norvégien Arild Vatn45 et du Finlandais Jouni Paavola46, qui visent à rendre la gouvernance environnementale plus participative et plus juste socialement. En substance, les opposants à un projet d’infrastructures aux conséquences environnementales fortes ont la possibilité d’exprimer un mécontentement au cours de procédures consultatives, mais ils doivent accepter le résultat du processus décisionnel, même s’il semble joué d’avance. Dès lors, comme le suggèrent les auteurs, les dispositifs participatifs ne peuvent-ils pas aussi être considérés comme des outils permettant de faire accepter leur sort aux acteurs dominés, et par conséquent, comme une extension contemporaine particulièrement sournoise des formes de la violence symbolique bourdieusienne (p. 93) ?

Sur une colonne absente : théoriser la valeur autrement ?

  • 47 Même si les auteurs n’y font pas mention, cette tendance est palpable dans Alan Holland, Andrew Lig (...)
  • 48 Voir Laurent Thévenot, Michael Moody et Claudette Lafaye, « Forms of valuing nature: arguments and (...)
  • 49 Christian Arnsperger, « Fonder l'économie écologique. Crise environnementale, crise économique et c (...)

24Pour finir, Douai et Plumecocq abordent le projet d’articulation de la recherche en socio-économie écologique avec les corpus intellectuels de ce qu’on peut qualifier d’économies politiques hétérodoxes, ceci pour contenir la tendance anglo-saxonne à rabattre sur la sphère morale ou éthique les alternatives à la valorisation marchande de la nature47. Ainsi, les contributions respectives de l’école de la régulation (Boyer, Zuindeau), de même que des diverses branches du marxisme écologique (Burkett, Foster, Harribey, Tanuro), font l’objet de présentations précises et concises. Au demeurant, l’absence de référence au courant des Conventions peut être regrettée, dans la mesure où son attention au pluralisme des modes de coordination humaine offre matière à l’approfondissement du dialogue sur les questions environnementales au prisme de la sociologie et la science politique48. Une référence à l’économie existentielle, incarnée notamment par le travail de Christian Arnsperger, aurait sans doute également été bienvenue – ce courant proposant une ambitieuse refondation anthropologique de l’EE qu’il aurait été intéressant de discuter49.

25La fin de ce chapitre et la conclusion substantielle de l’ouvrage dressent ensuite un bilan des apports et des limites de l’EE telle qu’elle existe aujourd’hui. Les auteurs pointent avec justesse la difficulté en EE de passer « d’une critique des savoirs produits [...] à des propositions macro-économiques utiles à la décision publique » (p. 102). En dépit de ses succès indéniables, ils notent les difficultés institutionnelles que connaît l’EE dans de nombreux pays – notamment en France, et malgré les travaux de pionniers de Passet. Ils remarquent aussi la faiblesse de l’investissement scientifique de l’EE en ce qui concerne pourtant la caractéristique majeure du capitalisme contemporain : la place centrale de la finance, qui contribue massivement au verrouillage du régime de surexploitation des ressources naturelles.

La valeur en économie écologique : monisme ou pluralisme ?

  • 50 En français, se référer sur ce point à Karl Marx, Critique du programme du parti ouvrier allemand, (...)

26Un dernier point engagera la discussion sur le terrain théorique. Regrettant que l’EE n’ait pas produit de conception de la valeur alternative à l’économie standard, Douai et Plumecocq entendent s’appuyer sur le renouveau de la pensée marxiste dans le domaine écologique. Ce renouveau, porté par différents auteurs, s’appuie prioritairement sur deux piliers de la théorie marxienne. D’une part, la critique de la valeur capitaliste comme transformation indue du travail concret en travail abstrait – découlant de la distinction valeur d’usage / valeur d’échange et du fétichisme de la marchandise. D’autre part, l’insistance sur la reconnaissance marxienne de la contribution de la nature à la richesse50.

  • 51 Voir Ibid. ; La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de (...)
  • 52 Il respecte effectivement pas la convention selon laquelle « d’une part, la catégorie socio-économi (...)

27Douai et Plumecocq renvoient en particulier à la distinction (aristotélicienne puis marxienne) entre valeur et richesse, récemment réélaborée par Harribey51. De manière significative, ce dernier considère que « la nature n’a pas de valeur intrinsèque » (cité p. 99), mais qu’elle ressortit d’un autre ordre, celui des richesses, reconnues comme telles par des opérations éthiques et politiques. À l’opposé, la position de Martínez Alier leur paraît en ce sens « intenable », dans la mesure où ce dernier entend simultanément remettre en question la centralité de l’estimation monétaire de l’environnement et « attribuer une valeur économique aux ressources naturelles ». La façon dont le débat sur la valeur est posé et tranché pourra alors laisser le lecteur sur sa faim : il est certes manifeste que Martínez Alier (comme beaucoup d’autres économistes et a fortiori de sociologues) n’a pas un usage strictement marxien du concept de valeur52, mais faut-il dès lors balayer sa proposition comme nos auteurs semblent le faire ? Ne devrait-on pas tenter de construire un espace intellectuel d’intercompréhension entre les différentes traditions scientifiques ?

28Il nous apparaît comme légitime d’alerter sur les dangers scientifiques inhérents à l’excessive confiance placée par certains auteurs dans la capacité des procédures délibératives à jouer le rôle d’« instrument de commensurabilité des points de vue divergents » (p. 100) – servant par conséquent de lieu d’expression ultime de la valeur de la nature. Mais, au final, il nous semble qu’une socio-économie écologique à vocation interdisciplinaire gagnerait à ne pas restreindre a priori, et dans le seul espace de la théorie, le sens de la notion de valeur. Contrairement à ce que Douai et Plumecocq insinuent dans ces pages, au motif par ailleurs légitime de renforcer la pertinence politique de la socio-économie écologique en interrogeant davantage « le rapport capitaliste à la nature » (p. 100), cette ouverture faciliterait la diversification des façons de reconnaître d’un côté l’importance des milieux et de l’autre notre dépendance vis-à-vis de ces milieux, tant sociaux que naturels.

Un tropisme économiciste ?

29Au final, cet ouvrage de synthèse constitue bien davantage qu’une introduction à l’EE. Il n’est pas toujours d’un accès facile, certains développements exigeant une attention soutenue en raison de leur teneur analytique et de leur rigueur argumentative. Les auteurs s’adressent en effet prioritairement aux économistes, apprentis ou patentés. Ceci étant, les praticiens sensibles à la part croissante de la rationalité économique dans l’appréhension des problèmes environnementaux y trouveront assurément matière à penser. Le travail bibliographique est remarquable : il permet au lecteur de naviguer dans un continent de références souvent inconnues dans l’espace francophone. On s’étonne seulement du choix, dans l’optique d’un manuel, de privilégier des références en langue anglaise quand des traductions françaises convenables existent.

  • 53 Voir Karl Kapp, The Social Costs of Private Enterprise, Cambridge, Harvard University Press, 1950. (...)
  • 54 Voir Stefania Barca, « Sur l’écologie de la classe ouvrière : un aperçu historique et transnational (...)
  • 55 Voir notamment Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Paris, Fayard, 2006. Paru en anglais en (...)

30On aurait cependant mauvais jeu d’émettre des critiques en pointant çà et là des lacunes alors que la somme d’informations mise à disposition du lecteur est impressionnante. Mais puisque c’est la règle de l’exercice, quelques menus regrets seront exprimés. On s’interroge sur la quasi-absence, dans le panorama exhaustif proposé au lecteur, de deux auteurs : Kapp et Latouche. Le rôle de précurseur joué par Karl William Kapp (1910-1976) nous semble sous-estimé, notamment vis-à-vis de ses réflexions sur les externalités négatives (sociales, environnementales, etc.), les identifiant comme des coûts sociaux cachés, dissimulés53. À partir du cas de l’économie américaine, Kapp a montré que les entreprises privées tendaient structurellement se déresponsabiliser et à déplacer ce que Stefania Barca désigne avec pertinence comme « le coût réel de la santé, de la sécurité humaine et de l’environnement vers des tiers, à savoir les travailleurs et la société dans son ensemble »54. Quant à lui, l’économiste français Serge Latouche n’en reste pas moins influent dans l’EE à l’international, et en particulier dans les pays du Sud. Mentionné uniquement au détour de la page 42, ses travaux – plutôt exprimés par le biais de livres que de revues scientifiques – font pourtant de lui l’une des références centrales des courants associés à la décroissance et au post-développementalisme55.

  • 56 En français, voir notamment les deux parutions récentes : Aurélie Choné, Isabelle Hajek et Philippe (...)

31Par ailleurs, la présentation de l’ouvrage tend souvent à considérer comme allant de soi que l’EE constituerait un sous-ensemble de la science économique plutôt qu’un carrefour d’échanges interdisciplinaires. Nous l’avions pourtant initialement souligné : l’EE est depuis ses débuts un domaine pluridisciplinaire mêlant géographes, biologistes, écologues, ou encore historiens, qui débattent avec l’ambition partagée d’une socio-économie écologique. La seule critique transversale qu’on se permettra d’adresser au magnifique travail de synthèse de Douai et Plumecocq vise par conséquent le tropisme économiciste (au sens disciplinaire) qui transparaît nettement, et à plusieurs reprises, dans leurs propos. À titre d’illustration, la phrase suivante est révélatrice de la position des auteurs : « défendre comme nous le faisons que l’EE est devenue le centre de gravité des débats essentiels autour des questions de l’environnement et du développement soutenable implique de considérer que les rapports entre EE et économie mainstream se sont reconfigurés au sein de l’EE » (p. 104-105). Ce rabattement intra-disciplinaire ne va pour autant pas de soi : le développement soutenable et les controverses environnementales ne sont pas seulement des enjeux d’économie, mainstream ou non. Ils concernent de nombreux praticiens issus des diverses sciences humaines et sociales, réunis autour de ce que l’on nomme parfois les « humanités environnementales »56.

  • 57 Pour une première cartographie de quelques propositions, se référer au travail de synthèse de Cathe (...)
  • 58 À propos du concept de soutenabilité, se référer au précieux travail de Iratxe Calvo-Mendieta, Géra (...)
  • 59 Sur ce point, des contributions déjà anciennes s’inscrivant dans le courant de l’écologie politique (...)
  • 60 En français, voir Karl Polanyi, La Subsistance de l’Homme. La place de l’économie dans l’histoire e (...)
  • 61 Voir en particulier le plan d’action pour l’économie circulaire mis en place par la Commission euro (...)
  • 62 Voir Romain Debref, Martino Nieddu et Franck-Dominique Vivien, « Flux de matières et d’énergie : pr (...)

32De nombreuses propositions convergent aujourd’hui pour repenser plus largement l’oikos, c’est-à-dire le milieu habité : maison, forêt, vallée, biosphère57. En tant que tel, l’oikos constitue bien l’enjeu commun des sciences de la soutenabilité que sont l’économie et l’écologie58. Et ces propositions convergentes tentent de définir des bases intellectuelles plus soucieuses de la vulnérabilité du milieu habité et de l’attention et des soins qu’il requiert, le saisissant comme un commun (au sens de commons). Elles visent également à rompre la dépendance envers la perspective moderniste, fondée sur un idéal d’appropriation et de maîtrise technologique complète du milieu environnant par les humains – individus ou institutions. Dès lors, il importe de remettre en chantier la définition même de ce qu’est de l’économie, conçue prioritairement comme l’étude des conduites d’entités (entreprises, consommateurs, etc.) visant à l’optimisation de ressources susceptibles d’être exploitées à des fins de profits individualisables59. Cette reconstruction doit alors passer par la remise en question du quasi-monopole intellectuel de la science économique dominante (standard economics) – fondée avant tout sur les concepts de marché autorégulé et de profit – par rapport à l’économie-chose (economy). À cet égard, les pistes explorées jadis par Karl Polanyi restent toujours d’actualité60. Et le projet d’une économie circulaire verte, vantée par certaines branches de l’EE, les pouvoirs publics (notamment européens61) et les milieux d’affaires européens, ne porte pas en soi la promesse d’une sobriété, mais peut tout à la fois constituer un projet d’intensification et de pression accrue sur les milieux vivants62.

  • 63 On rejoint ici, par un autre chemin, les nombreux appels à renforcer l’inscription des sciences éco (...)
  • 64 À propos de cette distinction, se référer à Michel Callon et Bruno Latour, « “Tu ne calculeras pas  (...)

33Si l’on partage le constat qu’il importe de refonder la science économique à la lumière des leçons tirées des crises socio-écologiques contemporaines, le projet de construction d’une économie réellement écologique n’est plus seulement une affaire d’économistes. Ces derniers occupent bien sûr une place centrale dans ce processus, qui engage une réorientation de l’attention que portent les sociétés contemporaines aux entités et milieux naturels dont elles dépendent. C’est pourquoi il importe de promouvoir la pluridisciplinarité qui a fait la richesse du débat au sein de l’EE naissante avant que les logiques institutionnelles ne tendent à la clôture de ce champ académique, et sans doute à son assèchement intellectuel. D’où l’importance des propositions et des lieux de débat (revues, rencontres scientifiques) qui aident à dépasser le cadre strict des disciplines institutionnalisées. Ce n’est probablement qu’en acceptant d’être altérés par des savoirs non-économiques63 que les praticiens de la science économique pourront opérer les transformations intellectuelles sans lesquelles leur contribution théorique à la transition socioéconomique globale n’est plus envisageable, ceci compte tenu du degré de dépendance de l’économie-chose (economy) capitaliste envers les outils développés par l’économie-discipline (economics)64.

  • 65 Voir Marion Fourcade, « Cents and Sensibility: Economic Valuation and the Nature of “Nature” », Ame (...)
  • 66 Voir Wendy Espeland, The Struggle for Water: Politics, Rationality, and Identity in the American So (...)
  • 67 Voir Anders Blok, « Clash of the eco-sciences: carbon marketization, environmental NGOs and perform (...)
  • 68 Voir notamment Dominique Pestre, « La mise en économie de l’environnement comme règle. Entre théolo (...)
  • 69 Voir Alf Hornborg, « Towards an ecological theory of unequal exchange: articulating world system th (...)
  • 70 Voir Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du c (...)
  • 71 On pense notamment à Silvia Federici et à Val Plumwood, mais pour une vue d’ensemble de ce courant, (...)
  • 72 Voir Jason Moore, « Transcending the metabolic rift: a theory of crises in the capitalist world-eco (...)

34Sur ces questions, on se réjouit que Douai et Plumecocq prônent une ouverture aux autres savoirs ; mais leur démarche reste, dans la pratique, marquée par leur tropisme économiciste. La rareté des références à des approches issues d’autres sciences sociales est certes compréhensible dans un tel ouvrage, relevant de la famille du manuel universitaire, et favorisant les ancrages académiques disciplinaires. Au demeurant, les projets qui s’inscrivent explicitement dans le cadre d’une socio-économie écologique devraient davantage prendre en compte les propositions émanant d’autres disciplines – d’autant que la sociologie économique de l’environnement entre constamment en débat avec l’EE. Elle apporte d’ailleurs de l’eau au moulin d’une socio-économie écologique qui vise à prendre au sérieux la force – mais aussi les limites – des instruments et des institutions qui ont pour finalité de formaliser et de mesurer la contribution de l’environnement aux activités humaines. On pense ici notamment aux travaux de Marion Fourcade sur la monétisation de la nature aux États-Unis65, de Wendy Espeland sur la politique de l’eau66, ou encore d’Anders Blok sur les marchés du carbone et la chasse japonaise à la baleine67. De plus, les historiens des sciences contribuent généreusement au dynamisme de ce domaine de recherche68. Et les anthropologues se révèlent être des protagonistes majeurs du débat de la socio-économie écologique (entendue au sens large). Citons notamment les perspectives novatrices, quoique très différentes l’une de l’autre, d’Alf Hornborg sur l’échange global inégal69 et d’Anna Tsing sur les liens paradoxaux entre la scalabilité capitaliste et le vivant70. Par ailleurs, les travaux développés par le courant de l’éco-féminisme portent également une perspective qui intéresse directement l’EE, en renouvelant profondément le couple conceptuel production / reproduction71. Et les géographes non plus, ne sont pas en reste72.

  • 73 L’auteur tient à remercier Bastien Fond, de l’équipe de Lectures, pour sa lecture attentive et ses (...)

35Au final, ces quelques remarques critiques sont largement imputables au format limité que devaient respecter les auteurs par rapport à la collection Repères. Elles n’enlèvent rien à la grande qualité de ce livre, qui deviendra certainement une référence pour les étudiants comme pour les chercheurs, tant il apporte de connaissances précises et d’argumentations aussi claires que rigoureuses aux lecteurs73.

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Notes

1 Sur l’histoire de ces ravages et de la lente prise de conscience des sociétés industrielles, consulter notamment John McNeill, Du nouveau sous le soleil. Une histoire de l’environnement mondial au XXe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2010 [2000].

2 Voir Jean-Baptiste Fressoz, « Biopouvoir et désinhibitions modernes : la fabrication du consentement technologique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°60-4/4 bis, 2013, p. 122-138.

3 La science du système Terre (Earth system science) invite à puiser dans la systems science pour envisager les interactions entre les différentes sphères terrestres (atmosphère, biosphère, etc.). À ce sujet, se référer notamment à Tim Lenton, Earth System Science. A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2016. En français, voir Sébastien Dutreuil, « Lovelock, Gaïa et la pollution : un scientifique entrepreneur à l’origine d’une nouvelle science et d’une philosophie politique de la nature », Zilsel, n°2, 2017, p. 19-61.

4 Voir Philippe Descola, L’écologie des autres. L’anthropologie et la question de la nature, Versailles, Éditions Quae, 2011 ; Geremia Cometti, Lorsque le brouillard a cessé de nous écouter. Changement climatique et migrations chez les Q’eros des Andes péruviennes, Berne, Peter Lang, 2015 ; Nils Bubandt, Scott Gilbert, Donna Haraway, Noboru Ishikawa, Kenneth Olwig et Anna Tsing, « Anthropologists Are Talking – About the Anthropocene », Ethnos, vol. 81-3, 2016, p. 535-564.

5 En français, voir Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène, Paris, Seuil, 2013 ; Alexander Federau, Pour une philosophie de l’Anthropocène, Paris, PUF, 2017 ; Rémi Beau et Catherine Larrère (dir.), Penser l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.

6 Peter Engelke et John R. McNeill, The Great Acceleration. An Environmental History of the Anthropocene since 1945, Cambridge, Harvard University Press, 2014.

7 L’inadéquation et même la dangerosité de nombreux outils économiques mis en œuvre pour résoudre les problèmes écologiques contemporains (comme les marchés du carbone) tiendraient en grande partie aux postulats épistémologiques de la science économique standard. Voir Antonin Pottier, Comment les économistes réchauffent la planète, Paris, Seuil, 2016.

8 On retiendra cependant les trois références suivantes, qui constituent d’utiles compléments à cette synthèse : Franck-Dominique Vivien, Le développement soutenable, Paris, La Découverte, 2005 ; Iratxe Calvo-Mendieta, Géraldine Froger, Olivier Petit et Franck-Dominique Vivien (dir.), « Une économie écologique est-elle possible ? », L’Economie politique, n°69, 2016 ; Valérie Boisvert, « Economie de l’environnement ou économie écologique ? », in Guillaume Blanc, Elise Demeulenaere et Wolf Feuerhahn (dir.), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Éditions de la Sorbonne, 2017, p. 201-229.

9 Douai et Plumecocq choisissent « socio-économie écologique » comme traduction française de « Social Ecological Economics ». Introduit par Clive Spash, ce paradigme est notamment développé dans « Social Ecological Economics: Understanding the Past to See the Future », The American Journal of Economics and Sociology, vol. 70-2, 2011, p. 340-375.

10 En particulier deux articles d’Inge Ropke parus respectivement en 2004 et 2005 dans Ecological Economics.

11 Voir Robert Costanza et Herman Daly, « Toward an ecological economics », Ecological Modelling, vol. 38-1/2, 1987, p. 1-7.

12 Voir Herman Daly, « On Economics as a Life Science », Journal of Political Economy, vol. 76-3, 1968, p. 392-406.

13 Voir Kenneth Boulding, « The Economics of the Coming Spaceship Earth », in Henry Jarrett (dir.), Environmental Quality in a Growing Economy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1966, p. 3-14.

14 En français, voir Nicholas Georgescu-Roegen, La décroissance. Entropie - Écologie - Économie, Paris, Sang de la Terre, 1995.

15 Voir Howard Odum, Environment, Power and Society, New York, Wiley, 1971.

16 Voir Robert Costanza, Ralph d’Arge, Rudolf de Groot, Stephen Farber, Monica Grasso, Bruce Hannon, Karin Limburg, Shahid Naeem, Robert O’Neill, Jose Paruelo, Robert Raskin, Paul Sutton et Marjan Van Den Belt, « The value of the world’s ecosystem services and natural capital », Nature, n°387, 1997, p. 253-260.

17 Étiquette d’ailleurs trompeuse, à ne pas confondre avec le courant pragmatiste initié par John Dewey, également présent dans le domaine de la réflexion environnementale.

18 Voir René Passet, L’Économique et Le Vivant, Lausanne, Payot, 1979.

19 En français, voir Joan Martínez Alier, L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le monde, Les Petits Matins, 2014 [2002]. En complément, se référer à Laura Centemeri et Gildas Renou, « Jusqu’où l’économie écologique pense-t-elle l’inégalité environnementale ? Autour de l’œuvre de Joan Martínez Alier », in Catherine Larrère (dir.), Les inégalités environnementales, Paris, PUF, 2017.

20 Voir Eduardo Gudynas, « Buen Vivir: Today’s tomorrow », Development, vol. 54-4, 2011, p. 441-447 ; Alberto Acosta, Federico Demaria et Ashish Kothari, « Buen Vivir, Degrowth and Ecological Swaraj: Alternatives to sustainable development and the Green Economy », Development, vol. 57-3/4, 2014, p. 362-375.

21 Se référer à la contribution décisive Ramachandra Guha, Environmentalism. A Global History, Londres, Pearson, 1999.

22 Voir Joan Martínez Alier, « Environmental Justice and Economic Degrowth: An Alliance between Two Movements », Capitalism Nature Socialism, vol. 23-1, 2012, p. 51-73.

23 Voir Arne Naess, « The shallow and the deep, long-range ecology movement. A summary », Inquiry, vol. 16-1, 1973, p. 95-100.

24 Voir Clive Spash, « The shallow or the deep ecological economics movement », Ecological Economics, n°93, 2013, p. 351 (nous traduisons).

25 William Behrens, Dennis Meadows, Donella Meadows et Jørgen Randers, The Limits to Growth, New York, Universe Books, 1972.

26 Certains économistes néolibéraux avaient toutefois tenté de disqualifier la scientificité de cet argument sur les limites biosphériques de la croissance. Se référer notamment à l’allocution prononcée en 1974 par Friedrich Von Hayek à l’occasion de la remise de son prix Nobel d’économie (disponible en ligne : https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/1974/hayek-lecture.html).

27 Voir Peter Victor, Managing without Growth. Slower by Design, Not Disaster, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2008.

28 Voir Tim Jackson, Prosperity Without Growth. Economics for a Finite Planet, Londres, Earthscan, 2009.

29 Voir Federico Demaria, Joan Martínez Alier, François Schneider et Filka Sekulova, « What is degrowth? From an Activist Slogan to a Social Movement », Environmental values, vol. 22, 2013, p. 191-215. Par ailleurs, l’allocution de Hayek – citée supra en note 24 – est une belle illustration de ce déni de légitimité opposé aux interrogations sur les possibles limites matérielles et écologiques de la croissance.

30 Voir notamment Giorgos Kallis, Joan Martínez Alier et François Schneider, « Crisis or opportunity? Economic degrowth for social equity and ecological sustainability. Introduction to this special issue », Journal of Cleaner Production, vol. 18, 2010, p. 511-518 ; Viviana Asara et alii, « Socially sustainable degrowth as a social-ecological transformation: repoliticizing sustainability », Sustainability Science, vol. 10-3, 2015, p. 375-384.

31 En français, voir John Foster, Marx écologiste, Paris, Éditions Amsterdam, 2011. En complément, se référer à Pierre Charbonnier, « De l’écologie à l’écologisme de Marx », Tracés, n°22, 2012, p. 153-165 (disponible en ligne : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/traces/5468).

32 Pour plus de détails, se reporter au tableau originellement établi par l’auteur. En anglais, voir Manfred Max-Neef, Human scale development: conception, application and further reflections, New York, The Apex Press, 1989 [1986], p. 32-33.

33 Voir Amartya Sen, Development as Freedom, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; Martha Nussbaum, Creating capabilities: the human development approach, Cambridge, Harvard University Press, 2011.

34 Voir Joan Martínez Alier, L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le monde, op. cit.

35 Voir World Commission on Environment and Development, Our Common Future, Oxford, Oxford University Press, 1987.

36 Voir Richard Howarth, Richard Norgaard et Chris Sneddon, « Sustainable development in a post-Brundtland world », Ecological Economics, vol. 57-2, 2006, p. 253-268.

37 Voir Eduardo Gudynas, El mandato ecológico. Derechos de la Naturaleza y políticas ambientales en la nueva Constitución, Quito, Abya Yala, 2009 ; Transiciones. Postextractivismo y alternativas al extractivismo en Perú, Lima, RedGE, 2011 ; « Buen Vivir: Today’s tomorrow », art.cit.

38 Voir Ignacy Sachs, Stratégies de l’écodéveloppement, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1980.

39 Voir Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Science Po, 1996.

40 Voir Franck-Dominique Vivien, Le développement soutenable, op. cit.

41 En français, voir Morgan Robertson, « Mesure et aliénation. Créer un monde de services écosystémiques », Ecologie et politique, n°52, 2016, p. 81-105.

42 Voir Virginie Maris, Nature à vendre. Les limites des services écosystémiques, Versailles, Éditions Quae, 2014 ; Ilse Geijzendorffer, Harold Levrel, Virginie Maris et Philip Roche (dir.), Valeurs de la biodiversité et services écosystémiques. Perspectives interdisciplinaires, Versailles, Éditions Quae, 2016.

43 Ses travaux sont d’autant plus précieux qu’ils ouvrent les questionnements de l’EE aux perspectives problématisées par les sciences sociales et politiques. À partir de cas empiriques comme celui notamment des banques de conservation, elle s’est employée à analyser le déploiement et les usages d’instruments de marchandisation de la biodiversité. Voir Valérie Boisvert, « La compensation écologique : marché ou marchandage ? », Revue Internationale de Droit économique, vol. 29-2, 2015, p. 183-209 ; « Des limites de la mise en marché de l’environnement. Des services écosystémiques aux “banques de conservation” », Ecologie et politique, n°52, 2016, p. 63-79.

44 Voir Joan Martínez Alier, Giuseppe Munda et John O’Neill, « Weak comparability of values as a foundation for ecological economics », Ecological Economics, vol. 26-3, 1998, p. 277-286.

45 Voir Arild Vatn, Environmental Governance: Institutions, Policies and Actions, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2016.

46 Voir Jouni Paavola, « Institutions and environmental governance: A reconceptualization », Ecological Economics, vol. 63-1, 2007, p. 93-103.

47 Même si les auteurs n’y font pas mention, cette tendance est palpable dans Alan Holland, Andrew Light et John O’Neill, Environmental Values, Londres, Routledge, 2008.

48 Voir Laurent Thévenot, Michael Moody et Claudette Lafaye, « Forms of valuing nature: arguments and modes of justification in French and American environmental disputes », in Michele Lamont et Laurent Thévenot (dir.), Rethinking Comparative Cultural Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 229-272 ; Valérie Boisvert et Franck-Dominique Vivien, « The convention on biological diversity: A conventionalist approach », Ecological Economics, vol. 53-4, 2005, p. 461-472 ; Laura Centemeri, « Reframing Problems of Incommensurability in Environmental Conflicts Through Pragmatic Sociology: From Value Pluralism to the Plurality of Modes of Engagement with the Environment », Environmental Values, vol. 24-3, 2015, p. 299-320.

49 Christian Arnsperger, « Fonder l'économie écologique. Crise environnementale, crise économique et crise anthropologique », Revue d’éthique et de théologie morale, n°276, 2013, p. 93-120.

50 En français, se référer sur ce point à Karl Marx, Critique du programme du parti ouvrier allemand, in Œuvres, Paris, Gallimard, 1965 [1891], p. 1413 : « Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d’usage […] que le travail, qui n’est lui-même que la manifestation d’une force matérielle » (repris dans Jean-Marie Harribey, « Au cœur de la crise sociale et écologique du capitalisme : la contradiction entre richesse et valeur », Actuel Marx, n°57, 2015, p. 181).

51 Voir Ibid. ; La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les liens qui libèrent, 2013.

52 Il respecte effectivement pas la convention selon laquelle « d’une part, la catégorie socio-économique “valeur” ne peut être appliquée à la nature, et, d’autre part, parler, sans autre précision, de “valeur” de la nature doit être strictement réservé à la construction sociale, fruit des rapports sociaux, des représentations et des pratiques la concernant » (voir Jean-Marie Harribey, « Au cœur de la crise sociale et écologique du capitalisme : la contradiction entre richesse et valeur », art. cit., p. 181).

53 Voir Karl Kapp, The Social Costs of Private Enterprise, Cambridge, Harvard University Press, 1950. En 2015, l’ouvrage a d’ailleurs été opportunément republié en français sous le titre Les coûts sociaux de l’entreprise privée.

54 Voir Stefania Barca, « Sur l’écologie de la classe ouvrière : un aperçu historique et transnational », Ecologie et politique, n°50, 2015, p. 26. En moins de deux pages, l’auteure y propose même une présentation très claire de l’apport de Kapp.

55 Voir notamment Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Paris, Fayard, 2006. Paru en anglais en 2010 aux Polity Press sous le titre Farewell to Growth, le livre a rencontré un large écho.

56 En français, voir notamment les deux parutions récentes : Aurélie Choné, Isabelle Hajek et Philippe Hamman (dir.), Guide des Humanités environnementales, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2016 ; Guillaume Blanc, Elise Demeulenaere et Wolf Feuerhahn (dir.), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, op. cit.

57 Pour une première cartographie de quelques propositions, se référer au travail de synthèse de Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte, 2015. Pour un exemple plus précis dans le champ de la géographie, se référer à Denis Chartier et Estienne Rodary (dir.), Manifeste pour une géographie environnementale. Géographie, écologie et politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2016 (compte rendu d’Yves Petit-Berghem pour Lectures disponible en ligne : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/21208).

58 À propos du concept de soutenabilité, se référer au précieux travail de Iratxe Calvo-Mendieta, Géraldine Froger, Olivier Petit et Franck-Dominique Vivien, op. cit.

59 Sur ce point, des contributions déjà anciennes s’inscrivant dans le courant de l’écologie politique méritent d’être relues et rediscutées. On pense notamment Jean-Paul Deléage et Daniel Hémery, « L’écologie, critique de l’économie », L’Homme et la Société, n°91-92, 1989, p. 73-86.

60 En français, voir Karl Polanyi, La Subsistance de l’Homme. La place de l’économie dans l’histoire et la société, Paris, Flammarion, 2011 [1977]. Et parmi les réactualisations récentes, voir Pierre Charbonnier, « Le socialisme est-il une politique de la nature ? Une lecture écologique de Karl Polanyi », Incidences, n°11, 2015, p. 183-204 ; Nicolas Chochoy, « Karl Polanyi et l’encastrement politique de l’économie : pour une analyse systémique des rapports changeants entre économie et société », Revue Française de Socio-Économie, n°15, 2015, p. 153-173.

61 Voir en particulier le plan d’action pour l’économie circulaire mis en place par la Commission européenne (disponible en ligne : http://ec.europa.eu/environment/circular-economy/implementation_report.pdf).

62 Voir Romain Debref, Martino Nieddu et Franck-Dominique Vivien, « Flux de matières et d’énergie : produire dans les limites de la biosphère », in Iratxe Calvo-Mendieta, Géraldine Froger, Olivier Petit et Franck-Dominique Vivien, op. cit.

63 On rejoint ici, par un autre chemin, les nombreux appels à renforcer l’inscription des sciences économiques dans les sciences humaines et sociales, au terme d’un siècle de fascination par l’idéal nomologique des sciences physiques. Voir en particulier André Orléan, L’empire de la valeur. Refonder l’économie, Paris, Seuil, 2011 ; François Flahault, « Quand la science contribue à créer l’ordre du monde », L’Homme et la Société, n°197, 2015, p. 131-146.

64 À propos de cette distinction, se référer à Michel Callon et Bruno Latour, « “Tu ne calculeras pas !” ou comment symétriser le don et le capital », Revue du MAUSS, n°9, 1997, p. 45-70. Et pour une synthèse des études concernant l’interdépendance des deux entités, se référer à Michel Callon et Fabian Muniesa, « La performativité des sciences économiques », in Philippe Steiner et François Vatin (dir.), Traité de sociologie économique, Paris, PUF, 2009, p. 289-324.

65 Voir Marion Fourcade, « Cents and Sensibility: Economic Valuation and the Nature of “Nature” », American Journal of Sociology, vol. 116-6, 2011, p. 1721-1777.

66 Voir Wendy Espeland, The Struggle for Water: Politics, Rationality, and Identity in the American Southwest, Chicago, University of Chicago Press, 1998.

67 Voir Anders Blok, « Clash of the eco-sciences: carbon marketization, environmental NGOs and performativity as politics », Economy and Society, vol. 40-3, 2011, p. 451-476 ; Anders Blok, « War of the Whales: Post-Sovereign Science and Agonistic Cosmopolitics in Japanese-Global Whaling Assemblages », Science, Technology and Human Values, vol. 36-1, 2011, p. 51-88.

68 Voir notamment Dominique Pestre, « La mise en économie de l’environnement comme règle. Entre théologie économique, pragmatisme et hégémonie politique », Ecologie et politique, n°52, 2016, p. 19-44 ; Christophe Bonneuil, « Chapitre 3. Comment ne pas voir les limites de la planète. Petite histoire de la mystique de la croissance indéfinie », in Agnès Sinaï (dir.), Économie de l’après-croissance. Politiques de l’Anthropocène II, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 73-96.

69 Voir Alf Hornborg, « Towards an ecological theory of unequal exchange: articulating world system theory and ecological economics », Ecological Economics, vol. 25-1, 1998, p. 127-136.

70 Voir Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La Découverte, 2017.

71 On pense notamment à Silvia Federici et à Val Plumwood, mais pour une vue d’ensemble de ce courant, se référer à Emilie Hache (dir.), Reclaim : recueil de textes écoféministes, Paris, Cambourakis, 2016.

72 Voir Jason Moore, « Transcending the metabolic rift: a theory of crises in the capitalist world-ecology », The Journal of Peasant Studies, vol. 38-1, 2011, p. 1-46, ou encore Noel Castree, « Neoliberalising Nature: The Logics of Deregulation and Reregulation », Environment and Planning A: Economy and Space, vol. 40-1, 2008, p. 131-152.

73 L’auteur tient à remercier Bastien Fond, de l’équipe de Lectures, pour sa lecture attentive et ses critiques précieuses d’une première version de ce texte.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gildas Renou, « Repenser l’économie dans une perspective écologique. Une cartographie des principaux enjeux », Lectures [En ligne], Les notes critiques, mis en ligne le 08 décembre 2018, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/29548 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.29548

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Rédacteur

Gildas Renou

Docteur en science politique, Gildas Renou est maître de conférences à l’université de Lorraine et membre de l’institut IRENEE (Nancy). Il est responsable du projet ANR Symbios sur « les mouvements sociaux de transition écologique » (programme : transition écologique, transformation sociétale, risques et opportunités, DS0103, 2014).

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