Brigitte Chapelain, Sylvie Ducas (dir.), Prescription culturelle. Avatars et médiamorphoses
Notes de la rédaction
Conformément à la charte déontologique, la recension de l’ouvrage ne rend pas compte de la contribution de Frédérique Giraud, membre de la rédaction de Lectures.
Texte intégral
- 1 « Penser et dire la prescription » (p. 37-64), « Prescrire des imprimés » (p. 65-130), « Presses et (...)
1Le numérique a profondément altéré les mécanismes de la prescription culturelle. Les institutions sont en concurrence avec des plateformes de recommandation sur lesquelles l’avis professionnel ne prime pas sur celui des usagers et dont les outils de collecte et d’interprétation de données paraissent avoir une vie propre. Telles sont les transformations que cet ouvrage explore. Les vingt-trois textes réunis offrent un panorama foisonnant et assez inégal. Organisé en sept parties1, l’ouvrage échoue à proposer un argumentaire d’ensemble convaincant.
- 2 « Aux origines de la prescription : retour vers le futur ? », p. 39-48.
- 3 « Formes de la prescription culturelle : déterminisme socioéconomique, légitimité culturelle versus(...)
2Le cadre théorique de la première partie repose sur les articles de Michaël Oustinoff2 et d’Hervé Glevarec3. Le premier est une analyse étymologique des mots « prescription » et « proscription ». Après des détours historiques, l’auteur conclut par un commentaire attendu sur l’hyperchoix, en appelant au renouveau de la prescription critique et à sa vertu prophylactique. La deuxième contribution résume pour l’essentiel les thèses de Bourdieu sur la légitimité culturelle et les apports d’Hervé Glevarec en la matière. Ces rappels assez généraux forment un cadre peu exploité par la suite.
- 4 « La vogue du roman de chevalerie médiéval dans les imprimés renaissants : critique et prescription (...)
- 5 « La librairie spécialisée en bandes dessinées », p. 85-100.
- 6 « Comment le livre de chevet vient aux lecteurs », p. 101-114.
- 7 « Prescription bibliothécaire : en quête du juste équilibre », p. 115-130.
3La deuxième partie mêle des analyses de chercheurs et des témoignages de praticiens qui forment un ensemble de contributions solides et intéressantes. Gaëlle Burg4 montre le rôle des imprimés renaissants dans la mise en valeur du roman médiéval et la place de celui-ci dans les réflexions sur la langue et l’héritage culturel, opposant un humanisme de la rupture à un autre de la continuité. C’est une perspective historique qu’adopte aussi Jean-Christophe Boudet5, sur les librairies de bande dessinée, pour lesquelles il distingue plusieurs périodes : la librairie d’éditeurs, la librairie d’anciens et d’avant-garde, et enfin la librairie spécialisée ou ultra-spécialisée. Clara Lévy6 présente une enquête sur les mécanismes de choix du livre de chevet. L’article offre de longs extraits d’entrevues et ne laisse finalement que peu de place à l’analyse critique, même s’il distingue trois groupes de prescripteurs : l’institution scolaire, la famille et le groupe des pairs. Enfin, William Jouve7, directeur de médiathèque, évoque les transformations du rôle de bibliothécaire et la tension qui existe entre mission de prescription culturelle et nécessité de répondre aux intérêts du public. Il développe ainsi une réflexion sur les nouveaux usages de la bibliothèque et sur sa conception comme tiers lieu.
- 8 « Traité d’illégitime défense : contre la presse du cœur et la presse du crime, histoire d’un lobby (...)
- 9 « Elle : un prescripteur culturel ? », p. 161-172.
- 10 « La prescription littéraire en science-fiction française », p. 173-186.
4La troisième partie revient sur le rôle de la presse. Isabelle Antonutti8 y traite de la campagne de presse organisée par Berthet, propriétaire de La Vie des métiers et président du Syndicat national de la presse périodique de province, entre 1959 et 1961. Berthet a tenté de susciter l’intérêt des députés et du public contre la presse spécialisée dans les récits criminels et les romances. Antonutti retrace l’histoire de cette presse, son importance économique et l’échec de Berthet, malgré des soutiens des deux côtés du spectre politique. Claire Blandin9 montre une semblable complexité dans le positionnement du magazine Elle, en analysant la place qu’y prend la littérature et en particulier la littérature d’autrices : il y a une tension entre la promotion d’un certain conformisme pour ses lectrices et la mise en valeur d’écrivaines qui y échappent. C’est à la science-fiction que Simon Bréan10 se consacre, en soulignant combien la presse spécialisée a contribué à y établir des critères différents de ceux de la prescription littéraire habituelle, par exemple en mettant le style de côté, au profit de la création des mondes.
- 11 « Radio et prescription littéraire : une réécriture du mythe du bouche-à-oreille ? », p. 189-206.
- 12 « Les programmateur/trices de spectacles à l’œuvre : une forme spécifique de prescription culturell (...)
- 13 « Prescrire la visite de musée : de la recommandation à l’optimisation ? », p. 239-252.
5Les deux parties suivantes se consacrent aux institutions culturelles et aux mécanismes de leur programmation. Julie Trenque11 y étudie les émissions littéraires à la radio et identifie les relations privilégiées entre les acteurs de la radio et ceux de l’édition, en soulignant le rôle de pivot que joue le producteur. Catherine Dutheil-Pessin et François Ribac12 proposent une réflexion similaire à partir d’une enquête menée auprès des programmateurs, professionnels ou amateurs, de spectacles subventionnés : ils établissent que, dans les structures professionnelles et les mieux instituées, la décision verticale de programmation s’impose au détriment de la concertation collégiale. Marie-Sylvie Poli13 discute un projet réunissant sciences humaines et sociales d’un côté et sciences informatiques de l’autre, à travers la création du MRVO, « moteur de recommandation à la visite au musée par optimisation ». L’autrice souligne que ses apports de cet outil sont trop souvent réduits à la seule optimisation des temps de visite et que le risque est grand d’aboutir à une confusion entre une recommandation au consommateur et une véritable prescription culturelle.
- 14 « La médiation muséale numérique : des dispositifs de prescription ? », p. 253-270.
- 15 « Festival et prescription littéraire : l’exemple des Correspondances de Manosque », p. 221-236.
- 16 « Raconter le patrimoine : le transmédia storytelling comme outil de valorisation. L’exemple du dis (...)
6La contribution de Poli fait bien sentir le caractère problématique de trois autres textes : celui de Geneviève Vidal14 sur les dispositifs de médiation numérique dans les musées, celui de Judith Mayer15 sur le festival des Correspondances de Manosque, et celui d’Aurore Gallarino16 sur le transmédia storytelling du Panthéon et de l’opération #LeRoiEstMort de Versailles. Outre que Gallarino est responsable de la communication numérique du Centre des monuments nationaux et partie prenante des campagnes qu’elle décrit plutôt qu’elle n’analyse, ces trois articles se caractérisent par une faible distance critique. Vidal et Gallarino ne proposent aucune interrogation sérieuse sur les inégalités socio-économiques dans l’accès au numérique et, par conséquent, aux muséographies et au patrimoine numérisés. Et Mayer n’évoque qu’à demi-mot le rôle joué par le festival des Correspondances dans la consolidation des hiérarchies littéraires, dans une contribution qui, pour l’essentiel, est une description enthousiaste des dispositifs déployés par les organisateurs.
- 17 « Je suis un fan et je ferai tout pour ma série : les figures des fans prescripteurs », p. 287-300.
- 18 « Interrelation et participation : évolutions des relations entre fans et producteurs dans la cultu (...)
- 19 « Le rôle prescripteur des communautés de fans en SFFF », p. 315-328.
- 20 « Reconfiguration et spécificité de la prescription littéraire amateure sur BookTube », p. 329-344.
7Les articles de la partie suivante sur les fans mettent en avant le rôle de la critique dans l’analyse. Mélanie Bourdaa17, David Peyron18 et Anne Besson19 cernent bien ces questions. Ils montrent que le pouvoir accru des fans sur les contenus culturels et dans leur relation aux producteurs culturels officiels s’accompagne souvent d’une exploitation économique du travail gratuit fourni par les communautés de fans. Marine Coculet20, à propos BookTube, se fait plus descriptive.
- 21 « Les données et les algorithmes, nouvelles muses de la prescription culturelle ? », p. 347-360.
- 22 « La recommandation culturelle des amateurs sur le Web : SensCritique ou la fabrique des prescripte (...)
8L’ouvrage se termine par deux textes de nature assez différente. Le premier est signé par Goeffrey Delcroix21, du laboratoire d’innovation numérique de la Commission nationale de l’information et des libertés, et présente les réflexions de cette commission sur la question des données collectées par les algorithmes de prescription culturelle. Il offre un point de vue critique utile, en soulignant l’opacité du fonctionnement des algorithmes de prescription, qui prive l’utilisateur de la pleine compréhension des processus dont il est à la fois le bénéficiaire, lorsqu’il reçoit une recommandation, et le matériau, lorsque ses données sont utilisées pour formuler des recommandations. Cette étude aurait eu plus sa place en début d’ouvrage. Valérie Croissant22 étudie la plateforme SensCritique et montre que les plateformes communautaires d’évaluation des biens culturels sont loin d’être aussi indépendantes des industries médiatiques qu’elles ne le suggèrent.
9Dans l’ensemble, le lecteur trouvera donc ici un ouvrage inégal, dont le grand nombre de contributions et la structure nuisent à la clarté du propos et qui aurait gagné à identifier plus explicitement la part prise par certains auteurs aux phénomènes décrits. Des questions éminemment problématiques y sont parfois presque entièrement éclipsées par un enthousiasme qui laisse perplexe. On s’étonne par ailleurs de la quasi absence de réflexions sur la prescription scolaire. Notons encore que, si les fonctions des auteurs sont indiquées en fin d’ouvrage, il aurait été utile de les faire figurer au début de chaque article. Ces défauts mis à part, le volume contient principalement des contributions très instructives, souvent bien documentées, et qui ne sacrifient pas l’analyse critique.
Notes
1 « Penser et dire la prescription » (p. 37-64), « Prescrire des imprimés » (p. 65-130), « Presses et revues, vecteurs de prescription littéraire » (p. 131-186), « Prescription et programmation culturelle » (p. 187-220), « Formes de la prescription muséale numérique » (p. 237-284), « Fans et communautés d’amateurs : de nouveaux prescripteurs ? » (p. 285-328) et « Métamorphoses de la prescription culturelle : plateformes numériques et métadonnées » (p. 345-376).
2 « Aux origines de la prescription : retour vers le futur ? », p. 39-48.
3 « Formes de la prescription culturelle : déterminisme socioéconomique, légitimité culturelle versus fréquentation », p. 49-64.
4 « La vogue du roman de chevalerie médiéval dans les imprimés renaissants : critique et prescription », p. 67-84.
5 « La librairie spécialisée en bandes dessinées », p. 85-100.
6 « Comment le livre de chevet vient aux lecteurs », p. 101-114.
7 « Prescription bibliothécaire : en quête du juste équilibre », p. 115-130.
8 « Traité d’illégitime défense : contre la presse du cœur et la presse du crime, histoire d’un lobbying », p. 145-160.
9 « Elle : un prescripteur culturel ? », p. 161-172.
10 « La prescription littéraire en science-fiction française », p. 173-186.
11 « Radio et prescription littéraire : une réécriture du mythe du bouche-à-oreille ? », p. 189-206.
12 « Les programmateur/trices de spectacles à l’œuvre : une forme spécifique de prescription culturelle », p. 207-220.
13 « Prescrire la visite de musée : de la recommandation à l’optimisation ? », p. 239-252.
14 « La médiation muséale numérique : des dispositifs de prescription ? », p. 253-270.
15 « Festival et prescription littéraire : l’exemple des Correspondances de Manosque », p. 221-236.
16 « Raconter le patrimoine : le transmédia storytelling comme outil de valorisation. L’exemple du dispositif « Au Panthéon ! Une installation de JR » et de l’opération #LeRoiEstMort », p. 271-284.
17 « Je suis un fan et je ferai tout pour ma série : les figures des fans prescripteurs », p. 287-300.
18 « Interrelation et participation : évolutions des relations entre fans et producteurs dans la culture geek », p. 301-314.
19 « Le rôle prescripteur des communautés de fans en SFFF », p. 315-328.
20 « Reconfiguration et spécificité de la prescription littéraire amateure sur BookTube », p. 329-344.
21 « Les données et les algorithmes, nouvelles muses de la prescription culturelle ? », p. 347-360.
22 « La recommandation culturelle des amateurs sur le Web : SensCritique ou la fabrique des prescripteurs », p. 361-376.
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Référence électronique
François-Ronan Dubois, « Brigitte Chapelain, Sylvie Ducas (dir.), Prescription culturelle. Avatars et médiamorphoses », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 05 décembre 2018, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/29437 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.29437
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