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Colin Hay et Andy Smith (dir.), Dictionnaire d’économie politique

Guillaume Arnould
Dictionnaire d'économie politique
Colin Hay, Andy Smith (dir.), Dictionnaire d'économie politique. Capitalisme, institutions, pouvoir, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2018, 470 p., ISBN : 9782724623109.
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Texte intégral

  • 1 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Paris, Économ (...)
  • 2 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, 4(...)

1En animant au sein de l’Association française de science politique un groupe de projet consacré à l’analyse des liens entre sciences politiques et économie en 2016, Colin Hay et Andy Smith ont permis la réalisation de ce dictionnaire. Il consacre et fait la synthèse de deux années de séminaires, journées d’études ou ateliers questionnant le rapport entre économie et politique. Cette démarche était au fondement de l’apparition de la discipline des sciences économiques (souvent datée de 1776 avec la publication de la Richesse des nations du philosophe écossais Adam Smith1) mais le rapport s’était progressivement distendu avec les sciences politiques, du fait d’une ultra-spécialisation des savoirs et d’un cloisonnement entre les deux disciplines. La science politique était réduite à l’analyse de la conquête puis de la conservation du pouvoir quand la science économique traitait des décisions des individus ayant comme motivation leur intérêt et comme conséquence une modification de leur richesse... Ce que cet ouvrage vise à défendre et à rétablir, c’est l’idée que l’économie est fondamentalement politique d’une part et que la politique est mieux comprise grâce à la science économique de l’autre. En cela, c’est en toute légitimité qu’il rejoint le Dictionnaire des politiques publiques2 au sein de la collection « Références » des Presses de Sciences Po.

2Les directeurs de l’ouvrage nous indiquent le guide de lecture du Dictionnaire dès leur introduction, très dense. Ils évoquent le rapport entre capitalisme et politique comme une démarche permettant de mieux comprendre le monde contemporain, ses crises et les choix sociaux qui y sont faits. Parler de capitalisme permet de s’inscrire dans la tradition classique d’histoire de la pensée économique, où les premiers auteurs (Adam Smith, David Ricardo, Thomas Malthus et Karl Marx) n’éludaient pas l’analyse des conflits sociaux, des enjeux de pouvoir et tout simplement du contexte social et historique dans lequel ils réfléchissaient. Le dictionnaire vise à faire le point sur les nombreuses approches théoriques qui traitent de ces rapports entre économie et politique en dépassant les découpages académiques entre disciplines. Colin Hay et Andy Smith proposent ainsi une lecture thématique du dictionnaire qui permet de lire les entrées selon trois angles : celui des « perspectives », avec les grands courants de pensée des croisements économie-politique ; celui des « concepts » (de « l’austérité » au « travail » en passant par « l’État » ou « l’entreprise ») ; et enfin celui des « controverses », qui traite des grands débats actuels (environnement, finance, Europe...). On peut aussi saluer la remarquable bibliographie enrichie de 98 pages, qui est proposée en complément de l’ouvrage papier sur le site de l’éditeur3. Elle va des grands classiques aux dernières avancées de l’analyse, dans tous les champs du savoir.

3Le Dictionnaire d’économie politique est impressionnant par la diversité des apports et des traditions qu’il mobilise. Parmi ses nombreuses qualités, cette richesse analytique permet d’apprécier la variété des points de vues théoriques sur les grands problèmes économiques et sociaux contemporains. Ce choix du pluralisme est très pertinent par exemple pour éclairer les questions liées à la construction ou aux institutions de l’Europe, qui font intervenir jusqu’à 49 auteurs. Sur 469 pages, l’Union européenne n’est jamais réduite ou caricaturée en bastion du néolibéralisme ou en bureaucratie efficiente et techniciste. Elle est, bien au contraire, éclairée dans toute sa complexité à travers les avancées politiques qui ont été permises par le processus d’intégration, ou les tensions qui découlent d’un projet conçu avant tout autour du processus de marché commun... La variété géographique des contributeurs joue certainement un rôle déterminant dans cette diversité. Il n’aura pas échappé au lecteur que les directeurs de l’ouvrage, bien qu’inscrits clairement dans le paysage institutionnel des sciences politiques françaises, proviennent d’autres horizons. Cela a certainement favorisé la mobilisation dans le groupe de projet de plumes de Bruxelles, Louvain, Lancaster ou Sheffield, qui contribuent également à l’enrichissement des approches exposées.

  • 4 Robert Boyer et Yves Saillard, Théorie de la régulation. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, (...)
  • 5 Voir l'ouvrage « fondateur » : Peter Hall et David Soskice, Varieties of Capitalism, Oxford, Oxford (...)

4Ce dialogue constant entre disciplines se fait dans le respect de leurs spécificités. Il ne nie pas les différences ou leurs limites. Deux traditions sont ainsi particulièrement présentes et évoquées dans l’ouvrage : la Théorie de la régulation4 (qui a d’ailleurs son entrée) et la Variété des capitalismes5. Elles mobilisent les sciences politiques, la science économique, l’histoire ou la sociologie. Elles permettent de mettre en valeur les grandes évolutions historiques des modes d’organisation de l’économie : le fordisme et ses composantes, pour la Théorie de la régulation ; l’opposition entre capitalisme libéral de type anglo-saxon et capitalisme coordonné de type rhénan, pour la Variété des capitalismes, avec des conséquences claires sur le fonctionnement des entreprises, des marchés du travail ou des systèmes éducatifs. Ces deux traditions permettent également de mieux comprendre le rôle joué par l’État (Théorie de la régulation) ou les entreprises (Variété des capitalismes) dans l’économie. On mesure également au fil de ce dictionnaire la difficulté qu’ont ces approches théoriques à définir des modalités concrètes d’action publique. Cette incapacité à convertir les concepts en politiques publiques distingue ces traditions de celle du Public choice, décrite également dans le dictionnaire. Avec ce prisme, les choix publics sont analysés comme des choix rationnels d’agents publics maximisateurs répondant à des incitations monétaires (obtenir leur réélection, accroître leur budget public, obtenir des avantages financés par d’autres...).

5On apprécie au fil de la lecture l’éclairage régulier de la philosophie politique et de plusieurs grands auteurs emblématiques. Karl Marx revient souvent comme un des penseurs ayant systématisé les relations contradictoires entre acteurs du capitalisme et de la politique ; Antonio Gramsci est mis en lumière pour son identification du poids de modèles de pensée cohérents qui font évoluer les pratiques économiques comme politiques ; Michel Foucault pour l’intérêt qu’il porte aux modalités concrètes d’exercice du pouvoir ; Friedrich von Hayek pour sa défense implacable des libertés individuelles comme seule et unique manière d’organiser une société… Ces références sont autant d’apports théoriques qui placent les idées et l’idéologie au centre des évolutions sociales incarnées par les pouvoirs politique et économique. L’ouvrage fait ainsi apparaître le besoin de clarification analytique sur des notions clés du débat social. Le néolibéralisme est par exemple décrit minutieusement, en tant que processus historique et idéologique, sans en faire le mot valise qu’il est parfois devenu, regroupant des courants de pensée économique ou politique qui n’ont pas grand chose en commun.

6Au final, le Dictionnaire se dévore, avec ou sans modération. Cela s’explique sans doute, également, par sa grande actualité. L’ouvrage évoque ainsi les changements issus de l’arrivée au pouvoir du président américain Donald Trump ou le processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (le Brexit) tout en combinant les analyses classiques et les plus récentes d’une économie véritablement politique. C’est une marque de respect et un effort d’intelligence collective pour toutes les disciplines.

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Notes

1 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Paris, Économica, 2000.

2 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, 4éd., Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2014.

3 http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100293230.

4 Robert Boyer et Yves Saillard, Théorie de la régulation. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002.

5 Voir l'ouvrage « fondateur » : Peter Hall et David Soskice, Varieties of Capitalism, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; pour une approche en langue française : Bruno Amable, Les cinq capitalismes, Paris, Seuil, 2005.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Arnould, « Colin Hay et Andy Smith (dir.), Dictionnaire d’économie politique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 novembre 2018, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/28938 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.28938

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Rédacteur

Guillaume Arnould

Inspecteur pédagogique d’économie et gestion, académie de Rouen.

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