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Lionel Arnaud, Agir par la culture. Acteurs, enjeux et mutations des mouvements culturels

Lucas Graeff
Agir par la culture
Lionel Arnaud, Agir par la culture. Acteurs, enjeux et mutations des mouvements culturels, Toulouse, Éditions de l'Attribut, coll. « La culture en questions », 2018, 320 p., ISBN : 978-2-916002-58-3.
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Texte intégral

1Le sociologue Lionel Arnaud est auteur de deux ouvrages et de plusieurs articles portant sur les politiques et les processus de développement culturel et sportif en ville. Dans Agir par la culture. Acteurs, enjeux et mutations des mouvements culturels, il présente une vision globale saisissante des transformations de l’« agir culturel » en France, c’est-à-dire, de l’ensemble des initiatives individuelles et collectives faisant de la culture un instrument de changement social. Pour Arnaud, ces transformations se développent entre deux tensions majeures : l’une oppose l’émancipation par la culture aux usages utilitaristes d’art et du sport ; l’autre confronte l’autonomie de la création artistique à l’appropriation de la culture à des fins de loisirs et de divertissement.

2Le livre adopte un plan chronologique et s’organise en cinq chapitres. Le premier présente les prétentions civilisatrices nées au lendemain de la Révolution qui contextualisent l’émergence de l’« agir culturel » au début du XXe siècle. Selon l’auteur, ces prétentions relèvent d’une lutte menée par plusieurs « entrepreneurs de culture » ayant pour but d’élever les esprits et de redresser les comportements grossiers du peuple. La forme prototypique de l’« agir culturel » consistait donc à civiliser les individus, autrement dit à les déposséder de manières d’agir et de penser considérées comme non conformes au projet émancipateur des Lumières.

3Le deuxième chapitre recouvre les périodes de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre. Le long des années 1930-1940, le sens du mot « culture » change : le souci n’est plus d’instituer une orthodoxie morale et esthétique ni d’élever les esprits, mais plutôt de trouver une légitimité politique visant à la paix et le lien social. C’est d’ailleurs à ce moment que l’expression « action culturelle » apparaît dans les écrits savants sur le loisir et l’éducation populaire et surtout dans le langage administratif. L’expression désigne des approches et des dispositifs visant à la démocratisation de l’accès aux œuvres et aux pratiques artistiques à part des activités de loisirs et d’instruction. Désormais, le rapport à la culture consiste aussi – et peut-être avant tout – à échapper à l’emprise des activités de production et de travail, comme l’attestent les thèses de Joffre Dumazedier à l’égard des loisirs et du temps libre. Graduellement, l’« agir culturel » s’institutionnalise et sa fonction devient performative : il vise non plus à « communiquer » les œuvres et les faits remarquables de l’humanité, en affirmant leur rôle émancipateur, mais à faire de la culture, du sport et des loisirs des activités citoyennes par excellence, c’est-à-dire les plus aptes à « transformer le destin en conscience » (Malraux, cité par Arnaud, 2018, p. 120).

4Au troisième chapitre, Lionel Arnaud analyse la reconfiguration de l’« agir culturel » à partir de la fin des années 1960. Liée aux critiques de l’aliénation (Debord), des structures de perception (Althusser, Barthes) et de la dépossession culturelle (Bourdieu), cette reconfiguration passe en outre par les grèves et les manifestations de mai 1968. Selon Arnaud, nous avons là un « travail de reconstruction symbolique du monde social » capable de transformer la visée des artistes et des militants culturels, qui se retourne vers la politisation et la remise en cause du dirigisme d’État en matière d’action culturelle. Il est désormais question de « transformer les cadres de référence » (p. 144), de « favoriser la créativité au quotidien » (p. 148) et de « valoriser les dispositions d’agir » (p. 152).

5Au sortir des années 1970, le paysage de l’« agir culturel » est tout transformé face à l’élargissement des réseaux de communication et d’information, à la montée des niveaux de scolarisation, à la décentralisation/territorialisation de l’action publique et à la modélisation de processus plus informels de production et de communication de la culture. C’est de ce paysage que traite le chapitre 4, qui met en évidence les nouveaux enjeux des rapports entre culture et changement social entre les années 1980 et 1990. Le premier est celui du « capital humain » : désormais, il s’agit de « mettre la culture au travail », c’est-à-dire, d’explorer les potentialités créatives des individus et des groupes afin de favoriser le développement économique local. Le deuxième enjeu s’inscrit dans ce que Lionel Arnauld appelle le « travail idéologique du new public management » (p. 205) : l’enrôlement des associations culturelles, sportives et de loisir par les pouvoirs publics ; les régimes de subvention ; la fragilisation des emplois ; l’application de « méthodes scientifiques » de gestion, etc.

6Le dernier chapitre du livre se propose de structurer analytiquement « l’espace du sensible et des connaissances mises en œuvre par les dispositifs d’agir culturel » (p. 250). Pour Lionel Arnaud, cet espace se configure comme un champ opposant d’une part économie et politique, et d’autre part création et créativité. En ce qui concerne la première opposition, tandis que le pôle économique promeut des « modes actifs et entrepreneuriaux » (p. 310), le pôle politique vise à l’émancipation citoyenne ; la deuxième opposition confronte quant à elle la création artistique et la désacralisation de l’art à des fins sociales. À l’intérieur de ce champ, l’usage la culture comme instrument de changement social serait disputé par des « entrepreneurs de culture » cherchant soit à démocratiser l’accès aux œuvres et aux sens de la culture, soit à mettre la culture et les activités sportives au service du lien social, soit encore à faire de l’ « agir culturel » la voie principale favorisant la participation et la sensibilisation politique des publics. Selon l’auteur, ces entrepreneurs peuvent être organisés analytiquement en quatre figures-types : le médiateur, l’animateur, l’artiste/l’athlète et le militant.

7Bien que l’auteur déclare à la fin du livre – avec une certaine modestie – « la difficulté croissante à saisir le sens de l’agir culturel » (p. 301), la lecture d’ensemble de son travail montre plutôt le contraire : Lionel Arnaud nous donne un excellent traité sur ce concept nouveau, qui touche les points essentiels des rapports entre culture et changement social et des débats qui les entourent. Si nous nous accrochons à l’exposition des arguments par l’auteur, l’ouvrage montre clairement pourquoi l’« agir culturel » s’est mis au profit du développement territorial en même temps qu’il s’écartait du dirigisme d’État et du projet d’émancipation citoyenne. Il explique également les raisons pour lesquelles son rôle de vecteur de libération du travail s’est mué en celui d’un outil de réalisation de soi par le déploiement de « compétences » et le cumul de « capital humain ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lucas Graeff, « Lionel Arnaud, Agir par la culture. Acteurs, enjeux et mutations des mouvements culturels », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 18 octobre 2018, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/27593 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.27593

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Rédacteur

Lucas Graeff

Professeur à l’Université La Salle (Brésil). Chercheur-associé au Conseil national de développement scientifique et technologique (CNPq-Brésil) et au laboratoire PACTE (Sciences Po Grenoble/Université Grenoble Alpes).

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