Marie Gaille (dir.), Pathologies environnementales. Identifier, comprendre, agir

Texte intégral
- 1 https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement (consulté le 27 septembre 2018).
1Depuis 1999, le lien entre santé et environnement est reconnu par l’Organisation mondiale de la santé. En 1994, la notion de santé environnementale a été définie comme étant relative aux aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par des facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux ou encore esthétiques de notre environnement1. Aujourd’hui, un nombre croissant de problèmes et de pathologies sont donc susceptibles de relever de la santé environnementale, la difficulté étant de prouver cette causalité. À partir d’un ensemble de contributions, issues de disciplines variées, la philosophe Marie Gaille tente d’apporter des éléments de réponse à cette problématique de la causalité entre environnement et pathologie. La « pathologie environnementale » est ici entendue comme une maladie dont l’émergence « est associée sur un mode causal à un ou plusieurs éléments présents, parfois de façon imperceptible, dans le milieu de vie physique, biologique et social des personnes affectées » (p. 17). En outre, il est scientifiquement difficile de montrer les effets à long terme d’une faible dose d’une substance. L’imperceptibilité des doses, la temporalité des effets et la multiplicité des causes rendent complexe la mise en évidence d’une preuve certaine pour démontrer un lien de causalité, souvent nécessaire à la reconnaissance de la pathologie, que ce soit juridiquement (pour une indemnisation), sociologiquement (pour alerter les pouvoirs publics), médiatiquement (pour pouvoir produire un récit) ou encore politiquement (pour mettre en place une politique publique). L’ensemble des contributions met en avant les enjeux épistémologiques, méthodologiques ou encore épidémiologiques que soulève la quête de la preuve d’une pathologie environnementale.
2Un apport majeur de cet ouvrage est de relativiser la place du travail scientifique dans la production de données pouvant faire office de preuve. Marie Gaille rappelle que « le travail scientifique est seulement l’un des espaces de production de la preuve d’une pathologie environnementale » (p. 24), cet espace étant parfois en confrontation avec d’autres sphères sociales (politique, juridique, etc.) qui peuvent, elles aussi, produire des preuves ou remettre en cause les preuves scientifiques. Ainsi, la contribution de Pascal Marichalar (« La justice subordonnée à l’épidémiologie ? Le maxi-procès Eternit de Turin (2009-2014) ») montre comment l’absence de preuves épidémiologiques rend difficile le traitement pénal des affaires de maladies professionnelles et environnementales, à moins que le Parquet ne commandite lui-même ces études pour ensuite « [articuler] au plus près causalité scientifique et raisonnement pénal » (p. 247). Cette articulation est également mise en avant par Frédérique Dreifuss-Netter (professeure et directrice du centre de droit médical), dans sa contribution intitulée « De l’incertitude scientifique à la causalité juridique ». Si les notions de risques et d’incertitude sont courantes dans le champ scientifique, elles n’existent pas dans le droit de la responsabilité. Alors comment un patient peut-il prouver qu’il est victime d’une erreur médicale ou d’un produit défectueux ? L’auteur examine les aménagements que le droit a pu trouver pour faire face aux situations dans lesquelles la victime ne peut pas démontrer – de façon certaine – le dommage subi. Toujours dans le domaine juridique, Sonia Desmoulin-Canselier s’intéresse aux décisions de la Cour européenne des Droits de l’homme, relatives aux pathologies environnementales. Là aussi, l’auteure souligne les différences de fonctionnement entre sphères scientifique et juridique et la façon dont la notion de causalité peut être traduite dans la sphère juridique. En effet, il n’existe pas de droit lié à la santé ou à un environnement sain. Ainsi, afin de prouver un dommage, la Cour s’appuie sur les articles relatifs au droit à la vie et au droit à la vie privée et familiale.
3Les notions afférant aux pathologies environnementales (risque, causalité, incertitude, etc.) nécessitent d’être repensées pour être appréhendées dans des sphères autres que scientifique, mais les disciplines médicales doivent elles aussi évoluer face à des maladies polyfactorielles, qui se déclenchent parfois des années après une exposition à des doses qui peuvent être relativement faibles. Ainsi, le médecin épidémiologiste Joël Coste s’attache à décrire le système de la pharmaco-vigilance et celui de pharmaco-épidémiologie, qui tous deux permettent d’évaluer les effets indésirables des médicaments. La pharmaco-vigilance, née dans les années 1970, résulte de la déclaration spontanée de la part des médecins, des professionnels de santé et, plus récemment, des consommateurs. Dans les années 1980, se développe la pharmaco-épidémiologie pour pallier les biais du premier système. Les méthodes épidémiologiques sont utilisées pour mettre en lien d’un côté les expositions aux médicaments et de l’autre leurs effets pathologiques. Alors que le premier a montré un certain nombre de défaillances (par exemple, dans l’affaire du Médiator), le second tend parfois à le remplacer mais les deux continuer de coexister, ce qui n’est pas sans poser question lorsque les acteurs de la santé publique choisissent de privilégier l’un ou l’autre. De la même manière, Philippe Bizouarn (praticien hospitalier) étudie les évolutions de l’épidémiologie, montrant que ses outils actuels ne sont plus adaptés pour prévenir les pathologies environnementales. Il propose une « éco-épidémiologie » fondée sur les travaux de Mervyn Susser, plus à même de saisir la complexité des pathologies contemporaines, tout en montrant que ce paradigme nécessite de nouvelles méthodes d’enquête et d’analyse. C’est aussi un changement de paradigme qui caractérise l’évolution de la toxicologie. La biologiste Francelyne Marano montre que l’idée fondatrice de la toxicologie (la relation dose-effet) n’est plus adaptée ; une exposition, même à faible dose, pouvant entraîner une pathologie des années après. En effet, les tests règlementaires « ne tiennent pas compte des effets de perturbation des équilibres biologiques à bas bruit qui peuvent avoir des conséquences très importantes sur le long terme comme la découverte des perturbateurs endocriniens a pu le mettre en évidence » (p. 152). Pour faire face à ces enjeux, de nouveaux programmes scientifiques sont en cours de développement mais doivent intégrer des méthodes variées.
4Enfin, l’ouvrage interroge le sens et l’interprétation des données. Ainsi, le géographe Benjamin Lysaniuk questionne « le rôle de la cartographie dans la mise en visibilité des expositions environnementales à un cancérigène classé “certain” depuis 1977 » (p. 114), à savoir l’amiante. Il rappelle qu’une carte est un outil qui permet de rendre visible l’invisible mais qui doit être manié avec prudence. En effet, elle peut servir de preuve pour une action politique mais ne doit pas être déconnectée de son contexte historique et géographique, au risque d’être mal interprétée. C’est aussi la question de l’espace qui intéresse Mehdi Saqalli, Nicolas Maestripieri, Marine Jourdren, Melio Saenz et Éric Maire. Comment spatialiser un risque environnemental quand les données sont rares ? Dans quelles mesures est-il possible de s’appuyer sur les dires des acteurs locaux pour rendre compte des dynamiques étudiées ? Ils exposent de façon réflexive – sans en occulter les biais – la méthode du zonage à dires d’acteurs qui permet d’appréhender les risques environnementaux auxquels sont confrontées certaines populations.
5Pour conclure, la preuve s’inscrit dans une « constellation démonstrative » dans laquelle « il n’existe nulle nécessité de passage d’un espace à un autre : un lien de cause à effet peut être, par exemple démontré scientifiquement, sans que cela n’ait d’implication sur le plan médical, en termes de santé publique, d’organisation ou de régulation de l’activité économique et sociale [...] Une mobilisation collective, de son côté, n’est pas toujours relayée par une action publique » (p. 25). Les contributions réunies dans cet ouvrage, éclairent chacune une perspective différente de cette constellation, que ce soit en termes disciplinaire, méthodologique ou encore épistémologique. La lecture peut parfois être un peu ardue car les contributions sont issues de disciplines variées (sciences humaines et sociales et sciences médicales), et s’appuient sur des notions, des méthodologies et des raisonnements propres à chacune d’entre elles. Néanmoins, elles permettent de mettre en évidence la diversité des approches existant autour de la problématique de la preuve et de la causalité qui sont appliquées aux pathologies environnementales et, plus largement, aux liens entre santé et environnement.
Notes
1 https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement (consulté le 27 septembre 2018).
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Audrey Arnoult, « Marie Gaille (dir.), Pathologies environnementales. Identifier, comprendre, agir », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 octobre 2018, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/27101 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.27101
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page