Sébastien Lord, Denise Piché (dir.), Vieillissement et aménagement. Perspectives plurielles

Texte intégral
1Le vieillissement de la population dans les pays de l’hémisphère nord représente un enjeu social, politique et économique de plus en plus pressant. Socialement, il s’agit de spécifier la place de nos aînés dans nos sociétés. Si le maintien à domicile devient la norme dans la majorité des pays, l’étendue de cet objectif et sa mise en œuvre restent variables. Les politiques en la matière déterminent le rôle des différents acteurs face à ce phénomène, d’où l’interrogation suivante : qui de l’État, de la personne âgée ou de la famille s’engage et comment ? Cette question est souvent appréhendée à travers sa dimension économique : qui paie les différents services nécessaires à un vieillissement dans les meilleures conditions ? L’ouvrage dirigé par Sébastien Lord et Denise Piché s’intéresse à ces différentes problématiques sous l’angle de l’aménagement des espaces publics au Québec.
- 1 Bernard Ennuyer, Repenser le maintien à domicile. Enjeux, acteurs, organisation, Paris, Dunod, coll (...)
2Les auteurs, issus de disciplines diverses (anthropologie, architecture, ergonomie, géographie, psychologie sociale, sciences de la santé, sociologie et urbanisme), adoptent une définition assez large de l’aménagement et du « vivre chez soi ». Sans pour autant le nommer, ils s’engagent de ce fait sur la voie proposée par Bernard Ennuyer, sociologue de la vieillesse, pour qui ces concepts gagnent à être pensés au-delà de leur dimension matérielle afin de réintégrer dans l’analyse le caractère familial, social, moral et relationnel du domicile ou du lieu de vie1. Partant de cette position théorique, l’ensemble des contributions montre la tension entre la volonté des personnes âgées, qu’il s’agisse de rester chez elles ou de déménager, et les possibilités réelles qui s’offrent à celles-ci. C’est donc un choix de lieu de vie « sous contraintes » qui nous est révélé, contraintes liées à la dégradation progressive de la santé et des capacités des personnes âgées, mais aussi à l’offre d’habitation, aux coûts de l’aménagement, ou encore au manque d’adaptation des infrastructures aux conditions climatiques. Le livre se divise en trois parties : la première traite de l’anticipation des incidences du vieillissement, la deuxième évalue l’espace et la mobilité et la troisième imagine des transformations pour les milieux bâtis. Ainsi, cet ouvrage ne propose pas seulement un état des lieux de la situation actuelle ; il décrit des perspectives d’avenir et des solutions concrètes pour faciliter la participation et l’intégration des aînés. Bien que ces différentes analyses se concentrent surtout sur la région du Québec, les questions posées et les conclusions proposées s’étendent au-delà de cette aire géographique.
3La première partie de l’ouvrage interroge la notion de vieillesse et ses présupposés. Les chapitres écrits par Amanda Grenier et Perla Serfaty-Garzon déconstruisent le modèle binaire de la vieillesse entre dépendance et fragilité d’un côté et vieillesse active de l’autre. Alors que ce modèle influence souvent la mise en œuvre des politiques actuelles, les expériences de vie sont bien plus riches et variées qu’il ne le laisse supposer, comme Perla Serfaty-Garzon l’illustre empiriquement avec son étude des modes féminins de l’habiter et du vieillir. Cette réalité est bien connue des chercheurs en sciences sociales, mais il est nécessaire de rappeler ces faits tant le modèle dépendance/vieillesse active continue à infléchir les représentations sociales dans le domaine public. Les trois autres contributions de cette partie précisent les conséquences de certaines politiques ou décisions publiques sur la répartition et l’occupation générationnelle du territoire (par Dominique Morin et Claire Van Den Busche), sur l’offre de logements adaptés (Louis Demers et al.) et sur la mise en œuvre de l’accessibilité universelle (Isabelle Feuillou, Juan Torres et Marie Bellemare). De manière générale, ces auteurs détaillent les nombreux obstacles à l’élaboration de politiques cohérentes et l’anticipation de leurs conséquences : des décisions prises sans considération de leur contexte, des questions techniques qui éclipsent les objectifs initiaux, ou encore la diversité des acteurs impliqués.
4La seconde partie de l’ouvrage propose quatre exemples d’études « post-occupationnelles », à savoir une analyse « qui sert à la fois à comprendre comment les individus interagissent avec et dans l’environnement bâti et à cerner les améliorations à apporter au milieu » (p. 14). Cette approche est ici centrée sur la question de la mobilité des personnes âgées dans différents milieux tels que les promenades balnéaires (Mathilde Bigo), la banlieue (Paula Negron-Poblete), les environs des stations de métro (Marie-Soleil Cloutier et al.) ou la ville au sens large (Tania Gonzalez et Sébastien Lord). Ces auteurs pensent « les espaces urbains comme cadre et support du maintien de l’inclusion sociale » (p. 121). La prédominance de la marche dans cette réflexion est à noter. Tania Gonzalez et Sébastien Lord rappellent très justement la nécessité d’appréhender aussi les aides techniques à la mobilité. Ils en distinguent trois grandes catégories, à savoir les aides à la marche (cannes, marchettes, déambulateurs), les aides manuelles à la mobilité (fauteuil roulant manuel et fauteuil de transport) et les aides motorisées à la mobilité (triporteur, quadriporteur et fauteuil roulant motorisé). L’objectif de leur chapitre est de comprendre la manière dont ces dispositifs transforment le rapport à la ville. Les auteurs concluent qu’en raison de ruptures dans la chaîne de déplacement et d’un manque d’accessibilité, les transports en commun sont peu utilisés par les personnes âgées. Cette population met alors en place d’autres stratégies telles que la combinaison de plusieurs aides à la mobilité, la transgression ponctuelle du Code de la sécurité routière, la planification des sorties ou encore le choix de destinations plus accessibles et plus proches. La question de l’utilisation des transports publics par les personnes vieillissantes gagnerait toutefois à être davantage explorée puisqu’il s’agit d’un élément important pour documenter la place de la personne âgée dans la ville, au-delà de son propre quartier. L’approche post-occupationnelle proposée représente néanmoins un outil intéressant pour étudier la diversité des transports mobilisés et ainsi saisir l’ensemble des chaînes de déplacement étudiées par Gonzalez et Lord.
5Enfin, la dernière partie propose trois exemples de recherche-création (aussi appelée codesign), une démarche qui suppose une revue des données existantes sur la thématique, une enquête de terrain sur les interactions entre les usagers et le milieu étudié puis la mise en place de propositions d’aménagement par un panel interdisciplinaire comprenant divers experts et usagers. Les trois exemples proposés portent successivement sur l’accessibilisation des trottoirs en hiver (Ernesto Morales et al.), la transformation d’un centre commercial (Tiiu Poldma et al.) et l’adaptation ou la création de quartiers grâce à une démarche systémique qui, prenant en compte le vieillissement, repose sur l’élaboration de critères de performance et de schémas spatiaux (Carole Desprès et al.). Plus généralement, ces trois contributions nous invitent à penser autrement l’aménagement des infrastructures urbaines en s’intéressant à l’expérience vécue des usagers de ces différents espaces. Ceci leur permet de mettre en évidence non seulement les spécificités intergénérationnelles, mais aussi les particularités climatiques de la ville via l’aménagement de trottoirs chauffants ainsi que les caractéristiques visuelles et sonores d’un milieu par la prise en compte de l’expérience vécue des personnes vieillissantes dans le centre commercial. Au-delà de la description de la démarche et de ses résultats dans les différents contextes cités précédemment, on regrette un peu de ne pas en apprendre davantage sur les difficultés que cette méthode peut susciter et sur la façon dont les différents participants ont négocié leurs attentes respectives vis-à-vis du projet.
- 2 Voir Henri-Jacques Sticker, « Âges et handicaps », Gérontologie et Sociétés, vol. 27, n° 110, 2004, (...)
6En conclusion, on peut retenir de cette publication l’importance de prendre en compte le vieillissement de la population dans les projets d’aménagement urbain ainsi que la diversité des méthodes, souvent originales, qui permettent d’atteindre cet objectif. Les différentes contributions démontrent la nécessité d’écouter les usagers et de les inclure dans les réflexions et les propositions réalisées. Néanmoins, un effort supplémentaire sur le dialogue interdisciplinaire reste à faire dans la mesure où chaque chapitre développe une perspective liée à une discipline particulière, mais sans nécessairement engager une conversation entre elles. L’introduction et la conclusion de l’ouvrage ouvrent cette voie qui reste cruciale pour appréhender la thématique de l’aménagement de l’espace urbain dans toute sa complexité. Une autre perspective d’ouverture de la réflexion serait de joindre la question du vieillissement de la population aux études sur le handicap, études qui traitent de sujets tout à fait similaires, à savoir l’adaptation physique de l’espace, la stigmatisation et l’isolement social, l’étiquette de population « à risques » ou « vulnérable »2. L’espérance de vie grandissante des personnes en situation de handicap et l’augmentation des déficiences avec l’avancée en âge réunissent ces deux publics autour de nombreux enjeux actuels, dont l’aménagement du territoire fait sans nul doute partie. Le chapitre d’Isabelle Feillou et de ses coauteurs autour de l’application du principe de l’aménagement universel engage cette discussion, mais il reste encore beaucoup à faire en la matière.
Notes
1 Bernard Ennuyer, Repenser le maintien à domicile. Enjeux, acteurs, organisation, Paris, Dunod, coll. « Santé Sociale », 2014.
2 Voir Henri-Jacques Sticker, « Âges et handicaps », Gérontologie et Sociétés, vol. 27, n° 110, 2004, p. 13-27.
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Référence électronique
Marie Schnitzler, « Sébastien Lord, Denise Piché (dir.), Vieillissement et aménagement. Perspectives plurielles », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 octobre 2018, consulté le 29 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/26994 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.26994
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