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Julie Pollard, L’État, le promoteur et le maire. La fabrication des politiques du logement

Margot Delon
L'État, le promoteur et le maire
Julie Pollard, L'État, le promoteur et le maire. La fabrication des politiques du logement, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Gouvernances », 2018, 212 p., ISBN : 9782724622706.
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Texte intégral

  • 1 Bonnet Lucie, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté, Rennes, Presses universitai (...)
  • 2 Bonneval Loïc, Les agents immobiliers. Pour une sociologie des acteurs des marchés du logement, Lyo (...)
  • 3 Michel Hélène, La cause des propriétaires: État et propriété en France, fin XIXe-XXe siècle, Paris, (...)

1À l’heure où la loi ELAN entend « libérer les initiatives pour maintenir le rythme de construction et l’adapter à la diversité des territoires », la question des rapports entre État et acteurs privés dans la fabrique des espaces résidentiels et urbains se pose de façon particulièrement aigue. Alors que la littérature s’est beaucoup concentrée sur la production et la gestion du parc locatif social1, plusieurs travaux ont pris le parti d’étudier les acteurs privés du marché immobilier, agents2 comme propriétaires et locataires3. L’ouvrage de Julie Pollard prolonge et renouvelle ces recherches en se focalisant sur la promotion immobilière et sur les rapports qu’elle entretient avec des acteurs publics nationaux et locaux. À l’issue de la lecture, force est de constater que ces relations sont loin d’être univoques. D’après l’auteure, la tendance accrue de la puissance publique à déléguer en matière de logement ne veut pas dire pour autant que les acteurs privés, en l’occurrence les grands promoteurs immobiliers, bénéficient d’un pouvoir d’influence effectif sur l’élaboration des politiques publiques. En revanche, ils jouent un rôle beaucoup plus important à l’échelle locale dans la mise en œuvre de ces politiques, en particulier fiscales.

2Cette réflexion est menée en six chapitres, qui reprennent les résultats de l’enquête de terrain qu’a menée Julie Pollard. Cette dernière a interviewé une cinquantaine d’acteurs publics et privés du secteur et consulté de nombreux documents écrits, notamment dans le cadre de deux études de cas à Saint-Denis et à Issy-les-Moulineaux, des villes de la première couronne parisienne. Elle a également mené des analyses quantitatives sur la construction de logements.

3Le groupe des promoteurs immobiliers français, indique dans un premier temps Julie Pollard, est très nettement divisé. Cette fragmentation tient à un métier historiquement peu défini ainsi qu’à une diversification croissante des activités des promoteurs qui sont rattachés à des grands groupes. Si le cœur de leur métier demeure bien la promotion et la vente de logements, les promoteurs s’intéressent de plus en plus à des activités de gestion afin de proposer un « package » global aux acquéreurs qui investissent dans l’immobilier locatif.

4Dans la suite de l’ouvrage, cette diversité est rendue moins visible de manière à faire ressortir plus nettement les modalités de l’action de l’État. Dans l’après Seconde guerre mondiale, des aides directes ont été accordées aux promoteurs afin de soutenir la production de logements ainsi que la croissance et la création d’emploi. Après 1970 toutefois, « Les pouvoirs publics affichent la volonté de resserrer leurs interventions sur le logement social et de laisser le marché réguler la construction de logements dans le secteur libre » (p. 71).

5Depuis les années 1990, l’intervention publique dans le domaine du logement s’est ainsi resserrée autour de politiques de défiscalisation. À la fois destinés aux particuliers, incités à investir dans l’immobilier locatif, et aux entreprises du secteur, soutenues afin de favoriser la construction de logements et la croissance, les dispositifs fiscaux d’incitation à l’investissement locatif (Robien, Borloo, Scellier, Duflot, Pinel…) ont eu un coût important, qu’il est toutefois difficile d’estimer de manière précise étant donné leur caractère différé dans le temps. Les promoteurs sont très sensibles aux fluctuations de ces aides puisqu’approximativement 50 % des logements qu’ils vendent le sont dans le cadre d’une niche fiscale.

6Pour autant, et c’est l’objet du quatrième chapitre, les marges d’influence des promoteurs immobiliers sur les politiques fiscales sont très réduites et peu de mobilisations collectives sont observables. Quant aux démarches plus individuelles de lobbying, l’auteure explique qu’elles se retrouveraient surtout à l’échelle locale. Il semble en fin de compte que la multiplication de ces dispositifs – dont la volatilité contraste avec l’exigence de stabilité des promoteurs – tienne en grande partie à des intérêts propres aux acteurs politiques. D’une part, ces derniers, convaincus de l’importance des acteurs privés en la matière, cherchent à stimuler l’offre de logements, selon des modalités qui varient avec leur orientation politique. D’autre part, « les dépenses fiscales sont un moyen de produire des politiques publiques dans un contexte de “pétrification des dépenses publiques” et de réduction de la marge de manœuvre des politiques » (p. 133).

7À l’échelle locale en revanche, les relations entre promoteurs et élus locaux semblent plus contrastées et Julie Pollard montre dans le cinquième chapitre que les seconds disposent d’un pouvoir important sur les premiers. Les élus ont en effet tendance à se saisir d’instruments nationaux législatifs et réglementaires (maîtrise foncière, droit de l’urbanisme) mais aussi économiques et fiscaux afin de réguler les constructions des promoteurs. Ces derniers courent en outre le risque d’être « blacklistés » en cas de mauvaise conduite. En fonction de leur orientation politique et de leurs ressources, les élus locaux mettent cependant en œuvre des formes différenciées de régulation politique. Saint-Denis est par exemple qualifiée par Julie Pollard de « commune planificatrice » (les contraintes locales sont affichées dans une charte) alors qu’Issy-les-Moulineaux serait une « commune négociatrice » (les attendus sont davantage variables et ils se négocient dans des relations bilatérales). D’après l’auteure, ces rapports de pouvoir incitent les promoteurs à s’investir durablement dans les territoires et à entretenir le plus de relations possibles avec les élus locaux, afin de cerner au mieux leurs attentes. Les promoteurs proposent également aux élus leur expertise en matière de construction urbaine et leur capacité de mise en œuvre des politiques du logement (en orientant par exemple les ventes en fonction des profils recherchés par les élus locaux).

  • 4 Vergriete Patrice, La ville fiscalisée : politiques d’aide à l’investissement locatif, nouvelle fil (...)

8À la fin de ce chapitre et dans le sixième chapitre, l’auteure analyse les critères de variation temporelle et géographique des rapports de pouvoir entre promoteurs et élus locaux. Dans les communes attractives de grande taille, qui disposent de ressources importantes et ont la volonté de maîtriser la production de logements, les promoteurs sont davantage contraints de s’adapter aux exigences des élus locaux. Mais Julie Pollard montre, en citant les analyses de Patrice Vergriete de la base de données Filocom4, que les logements défiscalisés sont très présents dans les villes petites ou moyennes ainsi que dans les départements ruraux. Ces zones géographiques, jusqu’alors peu exploitées, ont en effet des prix de marché permettant d’optimiser l’avantage fiscal. C’est dans ces zones que la tendance des promoteurs à produire un « package fiscal » est la plus forte : les logements sont de faible qualité, leur prix est plus élevé, leur morphologie (T1 et T2 le plus souvent) ne correspond pas aux besoins locaux et les propriétaires peuvent déléguer complètement la gestion de leur bien. Faute d’un contrôle de l’État dans la phase de mise en œuvre des politiques fiscales incitatives, ces effets déséquilibrent les marchés immobiliers locaux. Ils sont connus mais peu régulés, et ce d’autant moins que ces communes moyennes et rurales ont beaucoup moins de ressources que des villes comme Issy-les-Moulineaux ou Saint-Denis pour instaurer avec les promoteurs un rapport de force qui tourne à leur avantage.

  • 5 Lorrain Dominique, L'urbanisme 1.0. Enquête sur une commune du Grand Paris, Paris, Raisons d'agir, (...)

9Si l’ensemble de l’ouvrage est extrêmement convaincant, clair et précieux pour qui s’intéresse aux transformations des villes contemporaines, ce dernier point aurait sans doute gagné à être traité de manière plus approfondie. Enquêter dans des communes moyennes, rurales ou moins dotées permettrait peut-être de nuancer davantage l’hypothèse selon laquelle les promoteurs s’autorégulent et s’ajustent aux attentes des élus locaux (plus en tout cas que ne le permet l’enquête sur de deux communes de la région parisienne). À cet égard, l’ouvrage récemment paru de Dominique Lorrain sur les relations entre élus locaux et promoteurs dans la commune de Villiers-sur-Marne, à l’heure du Grand Paris, constitue un prolongement intéressant à cette discussion5.

10La lecture de cette enquête demeure néanmoins très stimulante, notamment parce qu’elle permet de mieux se représenter le fonctionnement et le rôle des niches fiscales dans la fabrique des espaces résidentiels et urbains contemporains. Elle incite assurément à d’autres enquêtes sur les acquéreurs qui bénéficient de ces dispositifs d’incitation fiscale à l’investissement locatif, afin de mieux saisir les effets de ces politiques au caractère particulièrement opaque.

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Notes

1 Bonnet Lucie, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2016 ; compte rendu de Yankel Fijalkow pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/23716.

2 Bonneval Loïc, Les agents immobiliers. Pour une sociologie des acteurs des marchés du logement, Lyon, Éditions de l’ENS, 2011. Bernard Lise, La précarité en col blanc. Une enquête sur les agents immobiliers, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », 2017. https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/24296.

3 Michel Hélène, La cause des propriétaires: État et propriété en France, fin XIXe-XXe siècle, Paris, Belin, 2006 ; Voldman Danièle, Locataires et propriétaires. Une histoire française, Paris, Payot, 2016 ; compte rendu de Romain Maurice pour Lectures : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/21023.

4 Vergriete Patrice, La ville fiscalisée : politiques d’aide à l’investissement locatif, nouvelle filière de production du logement et recomposition de l’action publique locale en France (1985-2012). Thèse de doctorat, Université Paris-Est, 2013.

5 Lorrain Dominique, L'urbanisme 1.0. Enquête sur une commune du Grand Paris, Paris, Raisons d'agir, 2018.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Margot Delon, « Julie Pollard, L’État, le promoteur et le maire. La fabrication des politiques du logement », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 août 2018, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/26073 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.26073

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Rédacteur

Margot Delon

Margot Delon est docteure en sociologie de l’Observatoire sociologique du changement (CNRS, Sciences Po). Sa thèse a porté sur les incidences biographiques de la ségrégation, à partir du cas des enfants et des adolescents des bidonvilles de l’après-guerre en France. Elle est chargée de cours à Paris 8 et enquête actuellement sur la propriété locative en France.

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