Richard Nadeau, Martial Foucault, Bruno Jérôme, Véronique Jérôme-Speziari, Villes de gauche, villes de droite. Trajectoires politiques des municipalités françaises de 1983 à 2014
Texte intégral
1Fruit de collaborations entre des économistes et des spécialistes de science politique de Montréal et de Paris, l’ouvrage s’intéresse aux élections municipales françaises entre 1983 et 2014 et entend proposer un modèle explicatif de ces résultats électoraux. Une logique d’exposition d’inspiration anglo-saxonne structure le plan de l’ouvrage, qui présente de manière didactique le modèle d’explication du vote des villes. L’ouvrage est de plus enrichi de 73 pages d’annexes qui offrent aux lecteurs et lectrices les clés de la construction empirique du modèle.
2Les auteur.e.s montrent que les résultats des élections municipales françaises dépendent de facteurs politiques, sociodémographiques et économiques nationaux et locaux. L’ouvrage se nourrit empiriquement d’une base de données qui compile les informations électorales des 236 villes françaises de plus de 30 000 habitants, pour les six scrutins qui se sont tenus entre 1983 et 2014. La modélisation des résultats, quant à elle, s’appuie sur un ensemble de 165 variables permettant d’expliquer les résultats en fonction d’éléments aussi divers que la popularité du président de la République, le cumul de mandats des candidats, la gestion budgétaire des communes, le niveau des impôts ou encore la structure sociale de la population. Les trente années que couvre l’observation sont particulièrement riches sur le plan politique. L’installation de la gauche dans la majorité des grandes villes, le déclin des mairies communistes ou centristes, la multiplication des listes et l’augmentation de la compétition politique locale marquent ces décennies et font de cette séquence un terrain propice à une étude électorale d’envergure.
- 1 Ce modèle considère que les élections locales ont une importance secondaire par rapport aux électio (...)
3Le premier chapitre, consacré à une revue de la littérature sur les élections municipales, s’interroge sur le modèle de second order election1, qui ne caractérise pas véritablement ces élections locales en France, dans la mesure où la participation relativement importante indique un intérêt certain des électeurs et des électrices pour ces scrutins. Les auteur.e.s présentent les différentes contributions de la géographie électorale, de la sociologie politique, mais font surtout la part belle aux modèles issus de l’économie politique qui expliquent l’action publique par les cycles électoraux et interprètent mathématiquement les résultats aux élections en fonction des politiques publiques menées. La présentation délaisse quelque peu les recherches sur le métier de l’élu et la figure du maire, ou celles sur les recompositions sociologiques des espaces résidentiels urbains et périurbains.
4À partir du deuxième chapitre, les auteur.e.s invitent les lecteurs et les lectrices à suivre pas à pas la construction du modèle qu’ils proposent pour expliquer les résultats électoraux. Tout d’abord, ils élaborent une classification des villes selon les résultats aux six scrutins et distinguent les municipalités selon leur trajectoire politique. Certaines villes comme Clermont-Ferrand, Lille ou Rennes sont stables à gauche puisqu’une majorité de gauche est sortie victorieuse aux six scrutins. À l’inverse, Dreux, Marignane, Neuilly-sur-Seine et Nice sont stables à droite. Les villes qui ont connu une alternance (à droite ou à gauche) sont quasi stables ; le nombre d’alternances permet d’identifier les villes plus instables. Si l’indicateur tient peu compte de la construction des coalitions politiques locales, la liste des villes produite fournit déjà quelques indications puisque la stabilité semble être la règle. Au-delà des expressions « vagues bleues ou roses » ou « désaveu massif de l’exécutif » qui ponctuent les commentaires électoraux immédiats, il apparaît que 46% des villes sont restées stables à gauche ou à droite durant les 30 années de l’étude. Plus encore, 67% de ces municipalités ont reconduit une majorité de même sensibilité à cinq des six scrutins.
5Les auteur.e.s proposent ensuite une explication de ces trajectoires politiques. En premier lieu, des facteurs politiques nationaux, tels que la popularité de la présidence de la République, sont mobilisés pour comprendre les basculements. Cette perspective d’analyse est alors très proche de celle déployée pour décrire les midterm aux États-Unis. Ainsi, les élections municipales deviennent pour les électeurs et électrices un moyen de se positionner vis-à-vis de l’action de l’exécutif. De la sorte, la baisse d’un point de popularité d’un Président de droite se répercute par une baisse correspondante de 0,76 point de pourcentage pour les candidats de droite sortants.
- 2 Pourtant, un des auteur.e.s proposait en 1991 une analyse similaire qui reposait cette fois sur la (...)
- 3 Pinson Gilles, Gouverner la ville par projet. Urbanisme et gouvernance des villes européennes, Pari (...)
- 4 Meuret Bernard, Le Socialisme municipal : Villeurbanne 1880-1982, Lyon, Presses universitaires de L (...)
6Le chapitre 3 porte sur la gestion municipale, qui s’est profondément transformée depuis les réformes de décentralisation dans les années 1980. Les auteur.e.s produisent un indice composite de gestion municipale qui tient compte du niveau de la dette, des dépenses publiques et de la fiscalité de la ville. Si les auteur.e.s ont le mérite de mettre en relation les politiques publiques locales et les résultats électoraux, ils semblent peu s’interroger sur l’indice de « performance » qu’ils élaborent2. De fait, cet indice abonde dans le sens des réformes managériales de l’action publique3 qui encouragent les municipalités à réduire au maximum le niveau d’imposition tout en augmentant les dépenses d’équipement. Dès lors, si la « bonne » gestion municipale se traduit par de meilleurs scores des majorités sortantes de droite, il nous semble qu’il faut interroger ce résultat au regard des critères qui président à la construction de l’indice, lesquels sont plutôt en phase avec les politiques défendues par les édiles locaux de droite. De même, l’importance des évolutions du taux de chômage pour comprendre les résultats électoraux des municipalités de gauche représente un résultat qui aurait gagné à s’inscrire dans une discussion de la littérature sur les traditions locales d’action publique4. Du reste, le passage de ces résultats à une interprétation du ressenti des électeurs et électrices sur la gestion financière (p. 88) apparaît audacieux.
7Au chapitre 4, les auteur.e.s opèrent une analyse descriptive des différentes trajectoires politiques des villes. Ils confirment d’abord l’effet des facteurs politiques nationaux sur les résultats des élections municipales, puisque trois scrutins favorables à la droite sont concomitants à la baisse de popularité d’un exécutif de gauche (1983, 2001 et 2014). Ils insistent ensuite sur les facteurs sociodémographiques locaux, dans la mesure où la stabilité à gauche d’une ville se trouve liée à la présence d’une population plus jeune, plus populaire, et à une proportion plus importante de résidents de locations HLM. À l’inverse, les villes stables à droite se caractérisent par des populations plus âgées, plus aisées et des proportions des résidents de HLM inférieures à 20% de la population totale. Entre les deux pôles contrastés que représentent les villes de gauche et les villes de droite, les autres villes s’inscrivent dans un continuum. Enfin, les facteurs politiques locaux comme le cumul des mandats, les phénomènes de dissidence avec la liste sortante ou la présence de listes Front national accentuent l’instabilité électorale.
8Les chapitres 5 et 6 présentent de manière plus complète le modèle à partir d’analyses de régression qui expliquent respectivement les trajectoires politiques des villes et les résultats électoraux obtenus par les différentes listes. Les analyses multivariées confirment le poids des variables sociodémographiques (PCS, HLM, âge) dans la stabilité électorale et l’importance de l’évolution du taux de chômage pour comprendre les réélections dans les villes de gauche. Les villes communistes suscitent une attention particulière tant leurs caractéristiques sont plus marquées encore que celles des autres villes de gauche. La « performance » dans la gestion des villes explique les bons résultats des majorités de droite. Les élus « cumulards » se construisent également un capital politique personnel plus rentable dans les villes de droite. L’instabilité électorale est quant à elle liée aux facteurs politiques nationaux et aux contrastes sociodémographiques. Ces différents éléments expliquent aussi bien la trajectoire politique d’une ville (la reconduction d’une équipe ou son éviction) que les résultats obtenus par les listes.
- 5 Suite à la réforme du quinquennat en 2001, le calendrier électoral a été inversé et l’élection prés (...)
9Les auteur.e.s concluent en durcissant les résultats de leur démonstration. Selon-eux, l’inversion du calendrier électoral en 20015 a accru l’enjeu des scrutins locaux et les municipales sont devenues « les plus importantes des élections secondaires », au sens où elles permettent symboliquement de récompenser ou de sanctionner l’action de l’exécutif. Le succès électoral municipal peut alors se résumer principalement à la popularité du Président (ou du Premier ministre), à la composition sociodémographique des villes sur laquelle les maires peuvent influer par une série d’outils d’action publique, et enfin à la performance locale. En présentant ces résultats, les auteur.e.s invitent à les mettre à l’épreuve des prochaines échéances électorales municipales, qui seront probablement marquées par une volonté d’implantation locale du Front national et de la République en Marche.
- 6 Pinson Gilles, « La gauche, la droite, les villes », Métropolitiques, 19 mars 2014 ; en ligne : htt (...)
- 7 Rivière Jean, « Les divisions sociales des métropoles françaises et leurs effets électoraux. Une co (...)
10Tenir ensemble variables politiques, sociodémographiques et économiques offre une approche stimulante dans l’explication électorale. L’absence de la prise en compte de l’abstention dans le modèle induit cependant un angle mort dans le modèle. Entre 1983 et 2014, l’abstention au second tour des élections municipales a pourtant augmenté de plus de 17 points. Le modèle aurait alors pu être enrichi par la prise en compte d’une mobilisation électorale différentielle selon les villes, et fournir quelques éléments explicatifs. Du reste, l’approche macroscopique mobilisée rencontre quelques écueils. Par exemple, les contextes politiques locaux peuvent largement nuancer l’influence des facteurs politiques nationaux lorsque les élu.e.s en place organisent la dépolitisation des campagnes électorales et tentent de s’affranchir des enjeux politiques nationaux6. De même, les villes restent appréhendées de manière globale sans tenir compte de l’hétérogénéité des territoires que permet une approche plus fine à l’échelle des bureaux de vote7. En dépit de ces remarques, l’analyse longitudinale des résultats électoraux municipaux que développe l’ouvrage permet de dépasser les limites des monographies publiées dans les suites immédiates de chaque scrutin et ouvre sur bien des points des pistes pour de nouvelles recherches empiriques.
Notes
1 Ce modèle considère que les élections locales ont une importance secondaire par rapport aux élections nationale, du point de vue des électeurs et des professionnels de la politique. Les scrutins locaux se caractérisent alors par un taux de participation moins important. Reif Karlheinz, Schmitt Hermann, « Nine Second-Order National Elections », European Journal of Political Research, vol. 8, n° 1, 1980, p. 3-44 ; Parodi Jean-Luc, « Dans la logique des élections intermédiaires », Revue politique et parlementaire, n° 903, 1983, p. 42-70.
2 Pourtant, un des auteur.e.s proposait en 1991 une analyse similaire qui reposait cette fois sur la « qualité des services aux habitants » ou la « gestion des ressources humaines ». Voir Lafay Jean-Dominique, Jérôme Bruno, « Qualité de la gestion municipale et résultats électoraux des maires sortants: analyse empirique des élections de mars 1989 », Économie, 1991, p. 35-50.
3 Pinson Gilles, Gouverner la ville par projet. Urbanisme et gouvernance des villes européennes, Paris, Presses de Sciences Po, collection « Académique », 2009.
4 Meuret Bernard, Le Socialisme municipal : Villeurbanne 1880-1982, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1982 ; Lefebvre Rémi, Le socialisme saisi par l’institution municipale (des années 1880 aux années 1980), thèse de science politique, université Lille 2, 2001.
5 Suite à la réforme du quinquennat en 2001, le calendrier électoral a été inversé et l’élection présidentielle précède désormais les élections législatives.
6 Pinson Gilles, « La gauche, la droite, les villes », Métropolitiques, 19 mars 2014 ; en ligne : http://www.metropolitiques.eu/La-gauche-la-droite-les-villes.html.
7 Rivière Jean, « Les divisions sociales des métropoles françaises et leurs effets électoraux. Une comparaison des scrutins municipaux de 2008 », Métropolitiques, 21 mars 2014 ; En ligne : http://www.metropolitiques.eu/Les-divisions-sociales-des.html.
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Référence électronique
Clément Desrumaux, « Richard Nadeau, Martial Foucault, Bruno Jérôme, Véronique Jérôme-Speziari, Villes de gauche, villes de droite. Trajectoires politiques des municipalités françaises de 1983 à 2014 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 05 juin 2018, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/24773 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.24773
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