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Victor Larger, L’accompagnement des personnes âgées en établissement et à domicile

Bastien Pereira Besteiro
L'accompagnement des personnes âgées en établissement et à domicile
Victor Larger, L'accompagnement des personnes âgées en établissement et à domicile, Paris, Balland, 2017, 290 p., ISBN : 978-2-940556-72-4.
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Texte intégral

  • 1 Collectif, « Euthanasie : « Il convient de donner aux malades en fin de vie la libre disposition de (...)

1Avec le lancement des États généraux de la bioéthique début 2018, la présentation par le groupe parlementaire La France insoumise d’une « Proposition de loi relative à l'euthanasie et au suicide assisté, pour une fin de vie digne » devant la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 24 janvier, et encore la publication d’une tribune en faveur d’une actualisation de la loi « Claeys – Leonetti » signée par 156 députés dans le journal Le Monde le 28 février1, l’actualité récente est marquée par la réouverture du débat public sur la fin de vie. La récurrence des controverses autour de l’euthanasie, depuis la loi « Kouchner » de 2002 et la loi « Leonetti » de 2005, témoigne de l’importance dans notre société des enjeux éthiques soulevés par le vieillissement et la perte d’autonomie. Néanmoins, les interrogations éthiques autour du vieillissement ne sauraient se restreindre à la seule question de la fin de vie. Pour le médecin et philosophe Victor Larger, « les grandes questions posées par la prise en charge des personnes âgées ne sont […] pas, à proprement parler, toutes à classer dans la catégorie de la bioéthique », mais « interrogent plutôt l’éthique la plus commune » (p. 10). Dans cet essai puisant simultanément dans la philosophie personnaliste (p. 15) et l’éthique kantienne (p. 32), l’auteur propose au lecteur – qu’il soit professionnel de l’aide et du soin aux personnes âgées, manager dans ce secteur d’activité ou qu’il fasse « profession de réfléchir […] à cet objet particulier qu’est le soin » (p. 12) – une philosophie du soin « ordinaire » qui répond aux défis éthiques que pose l’accompagnement des personnes dépendantes.

2Victor Larger définissant la personne humaine comme « ce singulier subsistant en sa substance, c’est-à-dire corporel et spirituel tout à la fois et inséparablement, qui se suffit pour exister mais qui, en regard de cette autosuffisance, a besoin et est capable de relation » (p. 16), c’est en tant que sujet « libre », « digne » et « raisonnable » (p. 17) que celle-ci se constituerait. Le sujet vieillissant apparait dès lors comme un sujet éprouvé : éprouvé dans sa liberté par l’affaiblissement de ses capacités physiques, éprouvé dans sa dignité par l’expérience de situations l’affectant jusque dans son amour-propre, éprouvé dans son aptitude à être raisonnable par l’altération de ses facultés mentales. Les épreuves de la vieillesse sont d’autant plus douloureuses qu’elles affectent l’individu dans ce que la vie a de plus ordinaire et de plus intime. De ce fait, l’appréhension de l’activité des professionnels qui œuvrent régulièrement auprès des personnes âgées ne peut se limiter à sa seule technicité : cette activité a en elle-même une substantielle portée morale, visant à prendre soin de la personne non seulement dans sa corporéité, mais aussi – et surtout – dans son humanité.

3Ainsi, accompagner et soigner une personne âgée dépendante, c’est travailler à « faire émerger sa dignité » (p. 26). Mais il s’agit d’un travail paradoxant, puisque la relation d’aide est marquée par une asymétrie, dont l’expérience peut être violente par la personne qui en fait l’objet (« Tout acte de gentillesse apparait alors comme une injure ou un camouflet inacceptable », p. 21). L’accompagnement devient subséquemment un travail de resymétrisation, dans lequel le professionnel doit être conscient des dimensions subjectives, symboliques et rituelles qui sont attachées aux moments ordinaires et aux gestes du quotidien. Dans cette perspective, l’auteur invite les professionnels à un « criticisme professionnel », soit à un positionnement « critique » ouvrant « un espace intérieur qui permet, au vrai professionnel, de s’interroger sur ce qu’il ressent et connaît de la situation qui se présente à lui, avant de produire des actes en réaction […] en vue d’obtenir un résultat au bénéfice de la personne » (p. 144). La troisième partie de cet ouvrage propose justement au lecteur de réfléchir, au prisme du « vécu ordinaire de la vie de tout un chacun » (p. 159), autour de situations concrètes engageant le professionnel dans une réflexion éthique : la toilette (p. 169), la gestion de la continence (p. 184), ou encore les relations avec la famille des personnes accompagnées (p. 203).

  • 2 L’auteur rappelle ainsi que « ce n’est […] pas parce que l’on suit la règle que l’on agit de manièr (...)
  • 3 L’auteur aborde cependant le sujet du management des équipes dans le chapitre intitulé « l’équipe a (...)

4Source de « malaise » (p. 40), la pratique de l’accompagnement est à l’origine de « conflits éthiques » (p. 35) naissant de la confrontation entre des injonctions de différentes natures : croyances, savoirs professionnels, prescriptions de la hiérarchie2, etc. Conséquemment, la recherche d’une solution « éthique » à une situation pratique est d’abord marquée par des « mouvements intérieurs ». Mais bien que la dimension organisationnelle du fonctionnement des établissements médicosociaux soit relativement peu approchée dans ce livre3, c’est avant tout dans la vie collective de l’équipe ou de l’institution que naitrait, selon Larger, la véritable démarche éthique : « aucun membre d’une équipe n’est, à lui seul, l’éthique » (p. 149). La vie des équipes est ponctuée d’échanges, de dialogues, de délibérations collectives, que ce soit dans le but de « revisiter nombre de situations vécues pour en dénouer les incompréhensions, les tensions affectives importantes et les conflits personnels ou d’équipe » (p. 142-143) ou afin d’éviter l’écueil d’une sur-responsabilisation des professionnels, source de « culpabilité infondée » (p. 149) et de souffrance. Pour Larger, la bientraitance n’est « jamais une activité solitaire » (p. 148) ; « celui qui effectue un acte issu d’une délibération éthique collective n’est pas seul, même si, présentement, personne ne l’accompagne dans l’accomplissement de l’acte » (p. 41).

  • 4 Victor Larger précise d’ailleurs que sa « réflexion […] n’est pas relative à la théorie éthique, ré (...)
  • 5 Sandra Laugier, Tous vulnérables ? L’éthique du care, les animaux et l’environnement, Paris, Payot, (...)
  • 6 Rose-Myrlie Joseph, Le care : entre relations et rapports sociaux au travail, Université de Lausann (...)
  • 7 On peut citer à ce sujet les travaux de Christelle Avril sur l’aide à domicile (Christelle Avril, L (...)
  • 8 Nicolas Belorgey, L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public », Paris, La (...)
  • 9 Bertrand Mas, Frédéric Pierru, Nicole Smolski & Richard Torrielli, L’hôpital en réanimation. Le sac (...)
  • 10 Nous pouvons d’ailleurs rappeler ici que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépe (...)

5Si l’éthique du soin est une affaire collective, c’est aussi – et surtout – parce que « c’est […] toute la société qui est mobilisée, à travers ces professionnels, au service des souffrants » (p. 149). Mais il est à ce titre regrettable qu’aucun dialogue ne soit ici entrepris avec la philosophie du care4. Cet ouvrage partage pourtant avec les théories du care le postulat d’une vulnérabilité comme condition commune5 (p. 19) et l’idée que les être sont inéluctablement interdépendants (p. 64). Mais le care apporte aussi à l’éthique de l’aide et du soin une dimension politique qui fait ici défaut. D’une part, le travail de la sollicitude est traversé par des relations de pouvoir et des rapports sociaux6 parfois violents7 que l’auteur tend à minorer. D’autre part, le malaise des professionnels de la santé et du social s’inscrit dans un contexte politique et économique national – voire international – marqué depuis plusieurs années par le désengagement financier des pouvoirs publics et l’introduction d’une logique de flux tendu dans les établissements sanitaires et sociaux8. Pour Victor Larger, cette rationalisation du soin reste une « hypothèse » (p. 39), tandis que plusieurs auteurs en sociologie, en science politique ou en économie soulignent au contraire la réalité bien actuelle du phénomène910.

  • 11 Anne-Sophie Hosking, « La coordination des aidants de personnes âgées à domicile dans les orientati (...)
  • 12 Michèle Mansuy & Rémy Marquier, « Les aides à domicile : un engagement dans la formation tributaire (...)
  • 13 ANACT, Aide à domicile. Une activité difficile à organiser et à encadrer, Anact.fr, 2011, en ligne  (...)
  • 14 Bertrand Ravon, « Repenser l’usure professionnelle des travailleurs sociaux », Informations sociale (...)

6Il nous semble par ailleurs que l’auteur opère une trop rapide analogie entre l’accompagnement à domicile et la prise en charge en établissement (p. 133). Il en résulte un ouvrage traitant prioritairement de situations rencontrées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Et si plusieurs des cas pratiques évoqués relèvent également des attributions des professionnels de l’aide et du soin à domicile, l’environnement de travail de ces derniers diffère considérablement de celui des personnels des établissements (en raison, notamment, de la forte hétérogénéité et de la faible coordination de ces professionnels11). Le recours inégal à la formation continue12, la distance avec l’encadrement et la « rareté des espaces-temps collectifs »13 dans l’aide à domicile implique que les personnels de ce secteur n’ont qu’un moindre accès aux ressources invoquées par l’auteur dans une perspective de développement du « criticisme professionnel » (p. 144). Nonobstant ces critiques, ce livre n’en reste pas moins intéressant pour qui s’interroge sur la dimension éthique de l’aide et du soin à destination des personnes âgées, en dehors des guides de « bonnes pratiques » qui se multiplient dans le secteur sanitaire et social14.

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Notes

1 Collectif, « Euthanasie : « Il convient de donner aux malades en fin de vie la libre disposition de leur corps », Le Monde, 28 février 2018, en ligne : http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/02/28/euthanasie-allons-plus-loin-avec-une-nouvelle-loi_5263407_3232.html.

2 L’auteur rappelle ainsi que « ce n’est […] pas parce que l’on suit la règle que l’on agit de manière éthique » (p. 32).

3 L’auteur aborde cependant le sujet du management des équipes dans le chapitre intitulé « l’équipe au service des personnes âgées » (p. 132-151). Il n’en demeure pas moins que le traitement qu’il en fait est moins approfondi que celui accordé aux autres sujets, celui-ci pouvant se résumer au développement d’un management « attentif » (p. 8), « ferme mais bienveillant » (p. 202).

4 Victor Larger précise d’ailleurs que sa « réflexion […] n’est pas relative à la théorie éthique, récemment apparue, du “Care” » (p. 255).

5 Sandra Laugier, Tous vulnérables ? L’éthique du care, les animaux et l’environnement, Paris, Payot, 2012.

6 Rose-Myrlie Joseph, Le care : entre relations et rapports sociaux au travail, Université de Lausanne, 2010, en ligne : https://www.unil.ch/files/live/sites/ceg/files/shared/TexteRoseMyrlieJoseph.pdf.

7 On peut citer à ce sujet les travaux de Christelle Avril sur l’aide à domicile (Christelle Avril, Les aides à domicile : un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014).

8 Nicolas Belorgey, L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public », Paris, La Découverte, 2011.

9 Bertrand Mas, Frédéric Pierru, Nicole Smolski & Richard Torrielli, L’hôpital en réanimation. Le sacrifice organisé d’un service public emblématique, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2011.

10 Nous pouvons d’ailleurs rappeler ici que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ont connu au début de l’année 2018 un important mouvement de grève, les organisations syndicales déplorant, entre autres, une dégradation des conditions de travail ainsi qu’un déséquilibre entre les besoins des EHPAD et les moyens financiers qui y sont déployés (Libération, « Ehpad : les personnels des maisons de retraire en grève dans toute la France », Libération.fr, 30 janvier 2018, en ligne : http://www.liberation.fr/france/2018/01/30/ehpad-les-personnels-des-maisons-de-retraite-en-greve-dans-toute-la-france_1626165.

11 Anne-Sophie Hosking, « La coordination des aidants de personnes âgées à domicile dans les orientations législatives », Vie sociale, n° 4, 2012.

12 Michèle Mansuy & Rémy Marquier, « Les aides à domicile : un engagement dans la formation tributaire du mode d’exercice », Formation Emploi, n° 123, 2013.

13 ANACT, Aide à domicile. Une activité difficile à organiser et à encadrer, Anact.fr, 2011, en ligne : https://anact.fr/aide-domicile-une-activite-difficile-organiser-et-encadrer.

14 Bertrand Ravon, « Repenser l’usure professionnelle des travailleurs sociaux », Informations sociales, n° 152, 2009.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bastien Pereira Besteiro, « Victor Larger, L’accompagnement des personnes âgées en établissement et à domicile », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 avril 2018, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/24560 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.24560

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Rédacteur

Bastien Pereira Besteiro

Chercheur-doctorant en sociologie à l’Université de Lyon, Université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber (UMR 5283).

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