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Ségolène Petite, Les règles de l'entraide. Sociologie d'une pratique sociale

Nolwenn Neveu
Les règles de l'entraide
Ségolène Petite, Les règles de l'entraide. Sociologie d'une pratique sociale, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2005, 223 p., EAN : 9782753500631.
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Texte intégral

1D'après quels critères les individus désignent-ils, au sein de leur réseau, ceux à qui ils demanderaient de les aider en cas de besoin ? Le petit réseau d'intime et ses usages sont les fruits d'un travail de construction de la part des acteurs, articulant, de manière variable, les règles et normes sociales à des évaluations subjectives. L'enquête menée par S. Petite lui a permis de repérer les différents principes qui orientent les pratiques d'entraide. Pour cela elle a étudié, sur la base d'entretiens auprès d'une population de 198 personnes (enquête menée entre 1998 et 1999, dans la région lilloise) la représentation qu'ont les acteurs de leur réseau personnel et la manière dont ils envisagent de l'activer en cas de coup dur.

2Ce livre s'inscrit dans la lignée des nombreuses recherches cherchent à mettre l'accent sur la permanence et la vigueur des solidarités familiales. L'ambition de Ségolène Petite est toutefois d'aller au-delà de la simple évaluation des formes et de l'ampleur de l'entraide au sein de la parenté. Elle cherche à ouvrir la « boîte noire » des solidarités mutuelles pour en saisir le fonctionnement. Le fondement de son travail est ainsi de saisir comment et pourquoi les solidarités entre acteurs sont possibles. Pour le découvrir, S. Petite s'intéresse aux principes qui président la sollicitation des membres de son entourage. Elle dégage ainsi les sources de légitimité des demandes d'aide en tâchant tout particulièrement de dévoiler les critères de choix des aidants et l'aménagement de ces critères selon la composition de l'entourage, révélant ainsi les règles et stratégies par lesquelles les acteurs créent et utilisent leurs cercles sociaux. Pour comprendre les principes de constitution des réseaux d'entraide, elle adopte le questionnement suivant : Quelles sont les règles organisant les recherches de soutien des acteurs auprès des différentes personnes avec lesquelles ils sont en relation ?

3Afin de répondre à cette question, au lieu de se pencher sur l'observation objective du réseau des personnes ayant donné ou reçu des aides, elle préfère opter pour une perspective s'intéressant à la manière dont les acteurs eux-mêmes se représentent leur réseau personnel et le soutient qu'ils pensent pouvoir y trouver. Cette approche lui permet de détailler deux aspects. D'une part, elle est en mesure de mettre en valeur le système de références normatives attaché aux différentes catégories de relations, c'est-à-dire la représentation qu'ont les acteurs des aides qu'ils pourraient, dans l'idéal, attendre de chacun de leurs partenaires. D'autre part elle peut distinguer les partenaires que les acteurs envisagent de mobiliser selon les situations, les dispositions et les disponibilités de leur réseau personnel, c'est-à-dire la représentation qu'ils ont des aides qu'ils pourraient effectivement demander à leurs partenaires.

4Ségolène Petite montre alors qu'un principe de constitution des réseaux d'entraide repose sur les représentations qu'ont les acteurs des soutiens qu'ils peuvent attendre d'autrui, parce que tous sont titulaires de rôles sociaux qui imposent des obligations à respecter envers les autres. Par les biais des jugements émis par les acteurs, Ségolène Petite dresse la carte des normes idéales. Il apparaît alors que les descriptions des acteurs s'arriment à leur formulation des comportements qu'ils jugent obligés, c'est pourquoi elle observe les jugements qu'ils portent sur ce que doivent faire « des personnes », identifiées par leur appartenance à une catégorie de relations et confrontées à une circonstance qui requiert l'aide de quelqu'un. De fait elle constate que les acteurs distinguent les devoirs d'entraide selon les catégories de rôle.

5Son analyse des devoirs d'entraide lui permet ensuite de révéler la pertinence d'une conception des rôles en termes de série structurée d'obligations : les devoirs de soutien que les acteurs reconnaissent s'agencent entre eux selon les rôles. Ainsi, certains rôles, comme celui de conjoint, sont extrêmement polyvalents et ont plusieurs devoirs à remplir ; d'autres, comme ceux de voisins ou de collègues, sont plus spécialisés. Ségolène Petite démontre également que les profils d'obligation diffèrent considérablement selon les âges, les genres et les milieux sociaux.

6Si l'analyse des normes idéales d'entraide clarifie l'espace mental dans lequel les acteurs peuvent demander leur soutien, reste qu'entre ce qui doit être fait et ce qui est fait, il existe une marge évidente. Ségolène Petite s'attache par conséquent à montrer comment l'entraide est une pratique qui relève de choix. Dès lors, pour être comprises, les demandes d'aide que les acteurs formulent doivent être replacées dans l'ensemble des opportunités relationnelles. Le protocole d'enquête demandait par conséquent aux personnes interrogées de désigner leurs partenaires aidant et ceux qui ne le seront pas, relativement au réseau dont elles disposent. La description des opportunités des acteurs s'est alors révélée primordiales pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elle prenait acte du fait que les acteurs sont insérés dans des structures relationnelles variées et que ce n'est qu'en tenant compte de leur opportunités effectives qu'il est possible de comprendre les raisons pour lesquelles certaines relations sont mobilisées et d'autres pas. La composition des réseaux personnels balise ainsi les contraintes qui s'imposent aux acteurs, dont la connaissance permet à Ségolène Petite d'élucider les choix qui dévient des « normes idéales ». De plus, seul l'examen des choix effectifs compte tenu des opportunités des acteurs permet de parler en termes de préférence et d'observer les priorités. En outre l'entraide active des liens à travers des jeux d'échanges. Il s'agissait alors pour Ségolène Petite de comprendre comment des contenus relationnels sont acceptés, dans un jeu social où l'évaluation de la réciprocité constitutive de l'échange produit des incertitudes. De fait, l'ambivalence des contenus relationnels, qu'ils soient ou non perçus comme aide, conduit à penser l'existence de plusieurs logiques de circulation entre les individus. C'est pourquoi elle conclut à la régulation des échanges au sein d'un continuum qui s'étend, en fonction des caractéristiques sociales, relationnelles et personnelles des individus, de la pure mise en pratique des prescriptions de rôles à l'utilisation des règles particularistes que les acteurs construisent au fil de l'histoire de leur relation.

7Ségolène Petite définit finalement plusieurs principes de régulation de la circulation des ressources entre les partenaires en distinguant trois « positions théoriques critiques », qui rendent compte des logiques présidant à la mobilisation des réseaux. Ainsi, les conduites impératives, les échanges normés et les échanges ouverts sont différenciés par les poids respectifs des normes idéales des rôles et des règles particularistes des partenaires.

8Cette conceptualisation de la régulation de la circulation des ressources créé alors un espace d'analyse, qui articule les différents niveaux de structuration sociale pour comprendre les pratiques des acteurs : les effets de prescription macro sociales, les règles interpersonnelles et les contraintes structurales des réseaux personnels. Dans cet espace, Ségolène Petite peut rendre compte de la variété et de la dynamique des pratiques en ce qu'elles résultent de l'actualisation de préférences socialement réglées, sous contrainte d'opportunités, plutôt que de l'autonomie des individus.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nolwenn Neveu, « Ségolène Petite, Les règles de l'entraide. Sociologie d'une pratique sociale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 janvier 2006, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/244 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.244

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