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Ghislaine Gallenga et Laure Verdon (dir.), Penser le service public en Méditerranée. Le prisme des sciences sociales

Gaia Gondino
Penser le service public en Méditerranée
Ghislaine Gallenga, Laure Verdon (dir.), Penser le service public en Méditerranée. Le prisme des sciences sociales, Marseille, Karthala, coll. « L'atelier méditerranéen », 2017, 261 p., ISBN : 978-2-8111-1823-5.
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Texte intégral

1L’exigence qui a guidé Ghislaine Gallenga et Laure Verdon dans la direction de cet ouvrage collectif paraît double : d’un côté essayer, de lire la crise de l’autorité politique qui intéresse les pays des deux rives de la Méditerranée à travers le prisme du service public et, de l’autre, grâce à un regard pluridisciplinaire, identifier les instruments heuristiques pour traiter un sujet si transversal aux sciences sociales. Leur tentative, plutôt courageuse, est déjà en soi un effort qui devrait être apprécié et reconnu pour son caractère innovant. En essayant de répondre à la difficile question « qu’est-ce que c’est le service public ? », l’ouvrage privilégie une perspective interdisciplinaire (philosophie, droit, histoire, science politique, anthropologie et sociologie) et une approche socio-historique. Les auteur.e.s sont en effet issu.e.s de parcours différents et, dans toutes les contributions, la dimension diachronique et de longue durée est ouvertement valorisée.

2Le texte est divisé en trois parties, qui explorent trois thématiques complémentaires. Dans la première section, les essais recueillis cherchent à déconstruire l’idée selon laquelle le service public serait un produit spécifique de la Révolution française. Dans ce sens, la contribution de Laure Verdon met en évidence l’origine de la notion du service public au sein de l’Ancien Régime, mais souligne en même temps l’ambiguïté initiale entre service public et intérêt général. De même, Charles Bosvieux-Onyekwelu met l’accent sur la création d’un champ du public, dans le sens bourdieusien du terme, et de la laïcisation de l’État comme conditio sine qua non pour l’émergence du service public dans son acception moderne. Différentes les perspectives de Mustapha El Miri et Pierre Bauby qui, de leur côté, mettent en exergue la trajectoire française pendant les dernières décennies, en se focalisant sur la rupture causée par les mouvements contestataires des années 1970, sur la progressive désacralisation des institutions étatiques et sur les tensions créées par les politiques communautaires concernant le partage des compétences entre États membres et Union européenne.

  • 1 Pour approfondir, voir Bono Irene, Hibou Béatrice (dir), Le gouvernement du social au Maroc Paris, (...)

3Dans la deuxième partie, les auteur.e.s explorent le rapport entre public et privé en matière de transports. Cet exercice permet de mettre en lumière les conflits et les ambiguïtés d’un service public qui devient de plus en plus un dispositif de gouvernement, source de légitimité (ou de crise) de l’autorité publique. Les trois études de cas proposées arrivent à expliquer de façon plutôt convaincante l’impact sur les usagers de l’hybridation entre gestion publique et privée des services d’intérêt général, sans pourtant considérer comme allant de soi le prétendu désengagement de l’État. Le texte de Nadia Hachimi Alaoui est extrêmement parlant dans ce sens : les transformations de la régie publique des transports à Casablanca deviennent l’entrée privilégiée pour analyser les processus de gouvernement déployé par et à travers l’appareil étatique tout au long de l’histoire indépendante du Maroc1. De façon similaire, le travail de Ghislaine Gallenga met au centre de l’analyse les effets pervers de l’entreprise modernisatrice de la Régie des transports marseillais (RTM), une transition inaccomplie qui a comme résultat la diffusion d’un sentiment d’insécurité parmi les usagers/clients autant que les traminots. Une note positive est apportée par le travail de Nassim Amirouche, qui décrit comme le processus de privatisation des transports en commun dans la Grande Kabylie a permis un désenclavement des villages et une démocratisation dans l’utilisation des fourgons collectifs.

  • 2 Pour approfondir la notion de « politique par le bas » voir Bayart Jean-François, Mbembe Achille, T (...)

4Enfin, la troisième et dernière partie approfondit l’évolution du lien entre État et service public dans quatre contextes : Naples au XIXe siècle, le Liban, l’Albanie et le Maroc. Les auteur.e.s arrivent à bien dialoguer entre eux et présentent un aperçu varié mais cohérent des différentes déclinaisons du « mariage », pas toujours heureux, entre État et service public. Le point commun des textes paraît être celui de la non-linéarité du rapport entre institutions centrales et octroi des services. Comme expliqué par Diego Carnevale, on trouve, dans la Naples du début du XIXe siècle comme ailleurs, une pluralité d’acteurs, tels que l’Église, les confréries et les fossoyeurs privés, qui rivalisent pour le monopole des sépultures des défunts. Avec un processus similaire, Julie Chapuis montre comment le secteur privé associatif et informel prend graduellement en charge, « par le bas »2 et avec la bienveillance de l’État central, la distribution de l’eau et de l’électricité au Sud du Liban. Gilles de Rapper et Anouck Durand, de leur côté, observent l’évolution de la photographie de service public dans l’Albanie communiste, en mettant l’accent sur les contradictions entre un État-parti contrôleur et les stratégies des photographes et de la population pour conserver une marge de liberté dans la production et l’utilisation du service photographique public. Enfin, Khadija Ennaciri examine la complexe relation entre centre et périphérie dans le royaume marocain, dynamique qui voit le service public tiraillé entre un élan décentralisateur et le maintien d’un pouvoir central de tutelle toujours à négocier.

  • 3 Pour approfondir voir Paci Massimo, Lezioni di sociologia storica, Bologna, Il mulino, 2013.

5L’ouvrage présente d’évidents caractères innovateurs. En première instance, les deux curatrices prennent le risque de recueillir des contributions ancrées dans des disciplines différentes et, malgré le défi, parviennent à leur donner organicité et cohérence. Ensuite, la volonté de conjuguer interdisciplinarité et approche diachronique paraît, un deuxième élément de force qui donne à cette publication la capacité de dialoguer avec une pluralité des débats intellectuels. L’impression qui en ressort est, donc, celle de voir se dessiner une sorte de taxinomie du service public : activité publique ou privée, mission étatique, cadre normatif, mode de gestion des collectivités humaines, situation de monopole et champ de forces. Parallèlement, on voit émerger une constellation d’acteurs qui agissent, transforment le territoire et contribuent à une véritable coproduction de « ce que le service public concrètement est ». À ce point, on remarque une certaine résonnance avec la tradition académique de la sociologie historique du politique, qui se focalise sur l’étude des processus de gouvernement et de formation des États, en privilégiant une optique rétrospective3. L’analyse du service public pourrait ainsi devenir l’instrument privilégié pour interroger la transformation des États et en mettre en exergue les contradictions et la non-linéarité des trajectoires.

6Une critique qui pourrait être avancée concerne l’encadrement théorique initial de l’ouvrage. Car la vocation comparative présente des avantages mais aussi des inconvenants ; dans ce sens, on remarque que la première section de propose une analyse diachronique qui concerne uniquement l’historiographie française. Conscient de ne pas pouvoir considérer de façon approfondie tous les contextes, nous ressentons cependant le manque d’un ancrage théorique qui prenne aussi en considération les autres réalités du bassin méditerranéen. Le service public en France n’étant pas la même chose que le service public en Turquie ou en Égypte, nous aurions bien apprécié une réflexion introductive aussi pour les autres contextes socio-politiques de la région. De cette manière, on aurait pu mieux connecter cadre théorique et études de cas, qui parfois paraissent un peu trop détachés l’un des autres. Cette remarque n’enlève rien aux principaux mérites de l’ouvrage, celui de promouvoir un débat sérieux sur les services publics en Méditerranée et, en même temps, celui de créer des espaces intellectuels qui puissent abriter des perspectives inter- et pluri-disciplinaires de qualité.

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Notes

1 Pour approfondir, voir Bono Irene, Hibou Béatrice (dir), Le gouvernement du social au Maroc Paris, Karthala, coll. « Recherches Internationales », 2016.

2 Pour approfondir la notion de « politique par le bas » voir Bayart Jean-François, Mbembe Achille, Toulabor Comi, Le politique par le bas en Afrique noire. Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, coll. « Les Afriques », 1992.

3 Pour approfondir voir Paci Massimo, Lezioni di sociologia storica, Bologna, Il mulino, 2013.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gaia Gondino, « Ghislaine Gallenga et Laure Verdon (dir.), Penser le service public en Méditerranée. Le prisme des sciences sociales », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 février 2018, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/24276 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.24276

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Lieu

Maroc

Algérie

Albanie

Italie

France

Kabylie

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Rédacteur

Gaia Gondino

Gaia Gondino est doctorante en changement social et politique à l’Université de Turin et de Florence. Ses intérêts de recherche portent sur l’intermédiation politique dans le contexte nordafricain, spécialement tunisien, les transformations du monde du travail et le rôle des archives et des traces documentaires dans le processus de formation des États.

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