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Antoine Missemer, Les Économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931)

Guillaume Arnould
Les Économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931)
Antoine Missemer, Les Économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931), Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque de l'économiste », 2017, 225 p., ISBN : 978-2-406-06252-3.
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Texte intégral

1Dans l’ouvrage d’Antoine Missemer, se croisent l’histoire de la pensée économique, l’analyse économique de l’environnement et globalement l’ensemble des sciences qui ont cherché à comprendre, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, l’impact du charbon puis du pétrole sur les dynamiques de création de richesses. L’auteur est spécialiste de l’histoire de l’économie de l’environnement et des ressources naturelles et cet ouvrage est issu de sa thèse de doctorat. C’est un livre stimulant, agréable à lire, qui nous guide dans un voyage dans le temps à travers la pensée économique sur un sujet dont l’actualité est devenue particulièrement préoccupante depuis le début de XXIe siècle.

  • 1 Eloi Laurent, Jacques Le Cacheux, Économie de l'environnement et économie écologique, Paris, Armand (...)

2Antoine Missemer évite aisément l’écueil d’une analyse des débats économiques passés qui serait uniquement éclairée par les discussions présentes autour du réchauffement climatique, de la transition énergétique ou du développement de l’économie écologique1. Chacun des auteurs et chacune des contributions qu’il passe en revue sont resitués dans l’état des connaissances de leur époque ou dans leur contexte socio-économique. Ainsi, les travaux de William Stanley Jevons sur la question du charbon s’expliquent par la place prépondérante prise par cette source d’énergie dans la révolution industrielle qui a mené l’Angleterre à la pointe du développement économique au milieu du XIXe siècle. De même, les analyses d’Harold Hotelling qui modélisent l’exploitation de ressources épuisables sont indissociables de la prédominance d’une économie mathématique formalisée au début du XXe siècle aux États Unis.

3Un des grands apports de l’ouvrage est d’éclairer l’évolution de la réflexion théorique sur la question fondamentale de la place des énergies fossiles dans le processus de croissance économique et de développement. Les avancées théoriques présentées alternent les visions optimistes ou pessimistes des mutations technologiques et énergétiques. Antoine Missemer expose par exemple l’opposition entre deux tendances du mouvement environnementaliste américain, le conservationnisme et le préservationnisme, et décrit leur influence sur les politiques menées ou sur les analyses économiques. Le préservationnisme considère en effet que l’homme a une influence tellement néfaste sur l’environnement qu’il faut clairement isoler certains espaces et territoires pour empêcher qu’ils ne soient dégradés. Le conservationnisme estime a contrario que la protection de l’environnement passe par la mise en place de pratiques de gestion performantes et de techniques qui permettent d’aménager efficacement et harmonieusement les espaces naturels. L’influence de ce second mouvement et celle de ses relais politiques auprès du président Théodore Roosevelt sont clairement visibles dans le développement d’une analyse économique plus experte et appliquée (pour réguler l’activité extractive dans les mines, par exemple).

4L’auteur montre tout d’abord l’incapacité de la pensée économique dite classique (celle des grands auteurs fondateurs de la discipline de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle) à comprendre et à mettre en évidence les spécificités des énergies fossiles, qui sont par nature non renouvelables et dont l’évaluation du stock est aussi incertaine que l’estimation de leur durée d’exploitation. Missemer présente surtout deux contributions majeures qui bornent son étude et constituent deux jalons de l’économie de l’environnement. La première est celle de William Stanley Jevons, un des économistes qui s’apprête à révolutionner l’épistémologie de la discipline en développement l’approche dite marginaliste. Publié en 1865, son livre The coal question est le premier à questionner le rôle d’une source d’énergie épuisable et la manière dont elle pourrait être exploitée le plus rationnellement d’un point de vue économique. La seconde contribution est un article d’Harold Hotelling publié en 1931 dans une revue savante et de référence. « The economics of exhaustible resources » est un texte emblématique de l’évolution du paradigme économique vers une science mathématisée et modélisatrice.

5La pensée de l’économie de l’environnement a fait apparaître sur la période 1865-1931 plusieurs grandes avancées théoriques qui sont exposées tout du long de l’ouvrage. William Stanley Jevons émancipe ainsi l’analyse économique du charbon de la géologie ou de l’ingénierie minière en identifiant notamment « l’effet rebond ». Il montre que l’amélioration des techniques d’exploitation des ressources se traduit paradoxalement par une baisse encore plus rapide des stocks d’énergie fossile car ce gain d’efficacité en réduit les coûts d’extraction. L’analyse de l’économiste anglais est qualifiée de pessimiste car elle anticipe un accroissement inévitable du coût de l’exploitation du charbon dans les îles britanniques en raison d’un futur épuisement inéluctable de ses ressources fossiles non renouvelables. La crainte essentielle de Jevons est de voir disparaître l’atout économique que constitue pour son pays la présence d’un charbon abondant au coût d’extraction relativement faible.

6Les travaux qui suivent et prolongent l’ouvrage novateur de William Stanley Jevons abordent deux grandes problématiques : en premier lieu, les analyses des liens entre l’épuisement des ressources et la croissance économique mais aussi des recherches beaucoup plus sectorielles et techniques relatives aux énergies fossiles. Le couple dépendance énergétique / développement industriel est traitée dans le deuxième chapitre selon une logique macroscopique. Les travaux sectoriels sont exposés dans les deux chapitres suivants. L’auteur fait ainsi la synthèse des analyses économiques qui repèrent plusieurs phénomènes relevant aujourd’hui du corpus de l’économie de l’environnement : la hausse inéluctable du prix des ressources fossiles a des effets d’entraînement sur les autres activités économiques car elle se répercute dans les coûts. Cette hausse réduit également à terme la compétitivité internationale. Par ailleurs, la science économique montre que l’augmentation du coût du travail (pouvant notamment découler de l’amélioration des conditions de travail) ou les dépenses logistiques nécessaires à l’extraction puis à la distribution des énergies fossiles expliquent également la tendance à la hausse du prix de ces ressources.

7Missemer consacre son troisième chapitre à la théorie de la rente et à son application au domaine minier. La rente est une notion repérée par les économistes « classiques », dans le domaine foncier à l’origine ; elle traduit la capacité d’une terre fertile à produire comparativement de plus grandes quantités. Alors qu’on pourrait attendre une analyse spécifique de la rente minière, appliquée aux ressources épuisables, ni les classiques ni Jevons ne se réfèrent au concept. Il faut attendre Alfred Marshall, un des grands auteurs de la révolution dite néo-classique du marginalisme, pour que la théorie de la rente permette de mieux comprendre l’exploitation des énergies fossiles. Il montre que l’extraction minière crée de la richesse car il faut couvrir des investissements lourds avec une offre et une demande rigides à court terme. Dès lors, l’exploitation d’un gisement doit dépasser un seuil de rentabilité et de nombreuses mines particulièrement performantes d’un point de vue technique bénéficient d’une rente. Ce raisonnement permet de comprendre aujourd’hui l’existence de plusieurs sources et méthodes d’extraction du pétrole.

8Le dernier chapitre montre la manière dont les questions énergétiques ont progressivement été intégrées dans une analyse économique standard reposant sur le principe d’allocation inter-temporelle (qu’on retrouve par exemple pour les choix financiers comme l’épargne ou l’investissement). Antoine Missemer décrit notamment l’approche dite « autrichienne » du capital, appliquée à l’exploitation minière : le choix d’extraire ou non des ressources fossiles découle d’un processus d’actualisation lié au taux d’intérêt, autrement dit au coût que les agents attribuent au temps (la préférence plus ou moins prononcée pour le présent ou le futur). Le chapitre et le livre se terminent par l’étude de la contribution d’Hotelling qui caractérise un changement net d’approche de l’analyse économique. Le modèle présenté en 1931 est en effet construit en quinze sections qui formulent diverses hypothèses théoriques pour apprécier le comportement optimal que les agents doivent adopter face à des ressources épuisables (par exemple, la détermination du prix en cas de monopole...). La démarche suivie par Hotelling est emblématique de la manière dont se construit aujourd’hui la science économique : une modélisation mathématique analytique et raffinée parfois éloignée de la réalité concrète.

9Au fil de l’ouvrage, Antoine Missemer nous a fait découvrir l’évolution de la pensée économique, sur un sujet concret et toujours d’une actualité brûlante. Tandis que les premiers penseurs cherchaient simplement à comprendre le monde dans lequel ils évoluaient, la science économique devenait petit à petit un corpus théorique formel et synthétique capable de modéliser, d’anticiper les comportements... et par là-même de les influencer. C’est ce que les sociologues des sciences appellent aujourd’hui la « performativité » de l’économie.

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Notes

1 Eloi Laurent, Jacques Le Cacheux, Économie de l'environnement et économie écologique, Paris, Armand Colin, 2012 ; notre compte rendu pour Lectures : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10362.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Arnould, « Antoine Missemer, Les Économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 février 2018, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/24134 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.24134

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Rédacteur

Guillaume Arnould

Inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique régional économie et gestion, académie de Rouen.

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