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Sylviane de Saint Seine, La Banque d’Angleterre. Une marche erratique vers l’indépendance. 1977-2007

Marion Clerc
La Banque d'Angleterre
Sylviane de Saint Seine, La Banque d'Angleterre. Une marche erratique vers l'indépendance 1977-2007, Les Presses de Sciences Po, coll. « Mission historique de la Banque de France », 2017, 518 p., préf. Howard Davies, ISBN : 978-2-7246-2175-4.
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Texte intégral

  • 1 À titre de comparaison, la Fed américaine gagne en autonomie en 1951, la Bundesbank allemande est i (...)

1L’indépendance de la Banque d’Angleterre (1997), annoncée par le gouvernement travailliste dans les heures qui suivent son arrivée au pouvoir, est une des réformes les plus marquantes de l’ère du New Labour (1997-2010). Elle fait figure d’exception parmi les pays européens et anglo-saxons : envisagée dès les années 1970, l’idée est longtemps rejetée, et la décision tardive1.

2Si aujourd’hui la plupart des pays développés ont donné l’indépendance à leur banque centrale, prendre cette décision n’a rien eu d’une évidence. L’intérêt de cet ouvrage est de considérer l’indépendance de la Banque d’Angleterre non comme une réforme inéluctable dans le sillage de la « contre-révolution politique et économique » qui dans les années 1980, partant de la remise en cause les théories keynésiennes, promeut l’autonomie des banques centrales (p. 435), mais comme une « bizarrerie ». Comment des personnalités politiques peuvent-elles se défaire volontairement d’un outil aussi puissant que la politique monétaire  ? Dans le cas britannique, l’indépendance se heurte à l’époque à des obstacles supplémentaires. La culture politique du Royaume-Uni ne favorise pas les grandes réformes institutionnelles et est attentive à la suprématie du Parlement. De plus, la Banque d’Angleterre a toujours été liée à des factions politiques : créée en 1694 avec des capitaux privés pour financer la guerre contre la France, nationalisée en 1946, elle apparaît dans les années 1970, début de la période étudiée dans cet ouvrage, comme une « institution soumise au gouvernement, dépendante du Trésor et sans mission spécifique » (p. 29). On peut également s’étonner que ce soit le Labour qui ait mené cette réforme, fait de la lutte contre l’inflation l’objectif prioritaire et décidé de confier la politique monétaire à des bureaucrates, de surcroît proches du milieu de la finance, plutôt qu’à des élus.

  • 2 Intégralement reproduits en annexe de l’ouvrage.

3Docteure en études anglophones, Sylviane de Saint Seine adopte dans cet ouvrage issu de sa thèse une approche d’historienne et de politiste. Elle prête une attention particulière aux conditions intellectuelles, au contexte politique et aux luttes entre acteurs qui ont débouché sur l’indépendance de la Bank of England. Elle s’appuie sur des rapports du Trésor, de la Banque d’Angleterre, du gouvernement et du Parlement de 1977 à 1997, sur les mémoires de personnalités politiques, des entretiens avec des responsables de la politique monétaire français et britanniques2 ainsi que sur des publications scientifiques et la presse.

  • 3 Le monétarisme est un mouvement de pensée qui voit dans la politique monétaire, et notamment la fix (...)

4La première partie de l’ouvrage est consacrée à la remise en cause progressive du dogme keynésien dans les années 1970 au Royaume-Uni (chapitre 1) à mesure qu’une nouvelle pensée économique favorable à l’autonomisation des banques centrales émerge à partir de la fin des années 1960 dans les universités américaines (chapitre 2). Le démantèlement du système financier international à partir des années 1960, les déséquilibres financiers qui s’en suivent, ainsi que la coexistence d’inflation et de chômage dans de nombreux pays développés accélèrent la remise en cause de la doctrine keynésienne. C’est dans ce contexte qu’est constituée en 1976 au Royaume-Uni la Commission Wilson sur le fonctionnement des institutions financières. Dans son rapport final, elle prend acte de l’effondrement du consensus keynésien et envisage des issues d’inspiration monétariste, comme réduire la dépense publique et relever les taux d’intérêt3, réhabilitant la politique monétaire et faisant une priorité de la lutte contre l’inflation. Si finalement le rapport Wilson (1980) plaide pour le maintien du statu quo, il aura ouvert le débat.

5Les modèles étrangers qui ont inspiré les responsables britanniques sont présentés dans la deuxième partie. L’invention du ciblage d’inflation en Nouvelle-Zélande en 1989 précède la mise en place de la même mesure au Royaume-Uni trois ans plus tard (chapitre 3). L’expérience de la Federal reserve américaine a une influence considérable sur les dirigeants britanniques. En 1951, grâce à l’appui du Congrès américain, celle-ci gagne en autonomie sans changement institutionnel, sans nouveau texte législatif et sans modification de ses statuts. Le rôle-clef des démocrates pour l’émancipation de la Fed préfigure celui des travaillistes au Royaume-Uni (chapitre 4). Quant à la relation à la Bundesbank et à la Banque centrale européenne, elle est particulièrement complexe. Lors de la création de la Bundesbank en 1957, les Alliés eurent à cœur qu’elle soit indépendante du gouvernement allemand, afin de garder le contrôle sur la politique monétaire par l’intermédiaire de la Commission bancaire alliée (Allied Banking Commission). Dans les années 1980 et 1990, la Bundesbank et son héritière spirituelle, la BCE, font figure de modèles idéaux, trop liés toutefois à un contexte économique, politique et institutionnel marqué par l’ordolibéralisme pour être transposé au Royaume-Uni (chapitre 5).

  • 4 Le ciblage d’inflation consiste à chercher à atteindre un certain taux d’inflation sans passer par (...)

6L’indépendance de la Banque d’Angleterre est un choix par défaut : c’est là un des enseignements principaux de l’ouvrage, étayé dans la troisième partie qui relate vingt ans d’expérimentations de politique monétaire menées par les conservateurs (1979-1997). L’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, partisane d’une ligne résolument libérale, permet la réhabilitation de la politique monétaire. L’échec des politiques d’inspiration monétariste contre l’inflation pousse le Chancelier de l’Échiquier Nigel Lawson à tenter des solutions audacieuses, comme l’ancrage informel de la livre sur le deutschemark. Il ne réussit toutefois à convaincre le Premier Ministre ni du bien-fondé de cette politique ni de l’opportunité de l’indépendance de la Banque d’Angleterre (chapitre 6). Ses successeurs Norman Lamont et Kenneth Clarke, progressivement acquis à l’idée d’une banque centrale indépendante, ne parviennent pas non plus à en convaincre leur Premier Ministre. Ils élaborent alors des succédanés d’indépendance, en introduisant le ciblage d’inflation4 pour le premier et en promouvant la transparence de la politique monétaire pour le second (chapitre 7). C’est finalement le contexte international, avec la sortie forcée de la livre du Mécanisme de change européen en 1992, puis l’autonomisation progressive des banques centrales européennes en prévision du passage à la monnaie unique, qui pousse le Parlement britannique à s’intéresser au sujet (chapitre 8).

  • 5 Le contrôle prudentiel consiste à évaluer le risque de faillite encouru par chaque banque ou instit (...)

7La quatrième et dernière partie traite du moment de l’indépendance. Dans un chapitre consacré à la conversion du New Labour à l’économie de marché et à son progressif ralliement à l’indépendance de la banque centrale, l’étude des itinéraires personnels de la classe dirigeante britannique montre que l’indépendance fut «  une œuvre à la fois contingente et inéluctable » (p. 334). Contingente, elle l’est en raison du rôle déterminant de certains acteurs comme Ed Balls, conseiller économique du travailliste Gordon Brown de 1994 à 1999  ; inéluctable, parce qu’une large part des responsables britanniques ont été formés dans les universités américaines et ont été familiarisés avec les nouvelles théories économiques favorables à l’autonomisation des banques centrales (chapitre 9). Une fois actée, l’indépendance de la Bank of England demeure toute relative, dans la mesure où le Chancelier de l’Échiquier reste responsable du choix de la cible d’inflation, nomme la majorité des membres du Comité de politique monétaire et peut reprendre la main sur la politique monétaire en cas de crise (chapitre 10). Jusqu’alors assuré par la Banque d’Angleterre, le contrôle des banques est confié à une autorité indépendante, la Financial services authority. Officiellement, il s’agit d’une contrepartie à la nouvelle indépendance en matière de politique monétaire. Dans les faits, certains travaillistes ont pu vouloir affaiblir une institution vue comme hostile en lui retirant la mission prestigieuse du contrôle prudentiel5. Cette idée alimente une des thèses fortes de l’auteur, selon laquelle «  la portée [de l’indépendance] n’est que symbolique : la Banque d’Angleterre a émergé plus rétrécie que grandie de la réforme » (p. 437) (chapitre 11). Sur le plan économique cependant, la réforme de la Banque d’Angleterre semble couronnée de succès, puisqu’elle est suivie d’une période de stabilité financière et de prospérité économique (1997-2007). La crise de 2007, qui n’est malheureusement pas traitée dans cet ouvrage, remet finalement en question les vertus de la réforme de 1997 (chapitre 12).

  • 6 L’indépendance de la banque centrale est une condition pour entrer dans la zone euro. C’est dans ce (...)

8Ce travail de recherche, dense et informé, conviendra en premier lieu à ceux qui s’intéressent aux facteurs concrets de la révolution de la pensée économique et de la pratique des banques centrales à partir des années 1980. L’exposé met progressivement en évidence la polysémie du terme d’indépendance, qui «  constituait un raccourci utile, mais ne s’appliquait à aucune banque centrale […] Le terme qui convenait était celui de banque centrale plus autonome » (p. 289). C’est peut-être précisément la plasticité du concept d’indépendance qui lui a permis de trouver un écho dans des pays et des contextes politiques différents. L’étude des influences croisées entre le Royaume-Uni et les autres pays développés dotés d’un système financier complexe est particulièrement stimulante. Elle montre que l’indépendance de la Bank of England, loin d’être une préparation à une éventuelle entrée dans l’Union économique et monétaire6, est en réalité pensée par ses concepteurs comme une solution alternative à l’adhésion à l’euro. Le but est de réussir à contrôler l’inflation, sans pour cela devoir se lier à d’autres monnaies européennes. Sans s’adresser à un public d’experts, cet ouvrage requiert une connaissance de l’histoire et de la pensée économiques de la fin du XXe siècle. On peut regretter qu’il ne s’appuie pas sur une tradition historiographique ou sur un corpus théorique plus solide.

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Notes

1 À titre de comparaison, la Fed américaine gagne en autonomie en 1951, la Bundesbank allemande est indépendante dès sa création en 1957 et l’indépendance de la Banque de France est votée en 1993.

2 Intégralement reproduits en annexe de l’ouvrage.

3 Le monétarisme est un mouvement de pensée qui voit dans la politique monétaire, et notamment la fixation des taux d’intérêt, le principal levier de la régulation économique. D’obédience libérale, regroupé autour de Milton Friedman à l’université de Chicago, le monétarisme contribue à partir des années 1960 à la remise en question du consensus keynésien qui s’était établi dans l’après-guerre. Celui-ci privilégiait la politique budgétaire, c’est-à-dire la régulation économique par la dépense publique.

4 Le ciblage d’inflation consiste à chercher à atteindre un certain taux d’inflation sans passer par des objectifs intermédiaires. Pour les banques centrales ou les gouvernements qui le pratique, cela implique d’être transparent sur l’objectif fixé.

5 Le contrôle prudentiel consiste à évaluer le risque de faillite encouru par chaque banque ou institution financière, ainsi qu’à surveiller la stabilité du système financier pris dans son ensemble. Dans le premier cas, l’objectif est de protéger les épargnants et les investisseurs. Dans le second, il s’agit d’éviter les crises et leurs retombées sur l’économie.

6 L’indépendance de la banque centrale est une condition pour entrer dans la zone euro. C’est dans ce cadre que la Banque de France devient indépendante en 1994, à peu près à la même période que la Banque d’Angleterre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Clerc, « Sylviane de Saint Seine, La Banque d’Angleterre. Une marche erratique vers l’indépendance. 1977-2007 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 29 janvier 2018, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/24111 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.24111

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Rédacteur

Marion Clerc

Agrégée de sciences économiques et sociales, élève de l’École normale supérieure.

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