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Lee S. Friedman (dir.), Does Policy Analysis Matter? Exploring Its Effectiveness in Theory and Practice

Damien Larrouqué
Does Policy Analysis Matter?
Lee S. Friedman (dir.), Does Policy Analysis Matter? Exploring Its Effectiveness in Theory and Practice, Oakland, University of California Press, 2017, 215 p., ISBN : 9780520287396.
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Texte intégral

  • 1 Professeur à Berkley, il fut l’un des pionniers américains de la sociologie de l’action publique. O (...)

1Dixième titre d’une collection des presses de l’Université de Californie créée en hommage à Aaron Wildavsky1, cet ouvrage collectif pose une question aussi simple que stimulante : l’analyse politique permet-elle d’améliorer l’action publique ? Suite à un séminaire organisé à Berkley en avril 2014, cinq chercheurs nord-américains se sont penchés sur cette épineuse problématique à travers autant de chapitres, dont les trois centraux font figure d’études de cas. Intéressant, cet ouvrage l’est moins pour ses conclusions – qui demeurent partielles, voire décevantes pour quiconque aurait la naïveté de croire que les travaux académiques ont une influence réelle sur les décideurs politiques ! – que pour sa réflexion novatrice. Car, en s’interrogeant sur le sens et plus précisément sur l’impact de l’analyse politique, il ouvre un nouveau champ d’investigation.

  • 2 Notre traduction, pour toutes les citations présentées dans ce compte rendu.
  • 3 Pour plus de renseignements, voir : Ainsworth Scott, Analyzing Interest Groups : Group influence on (...)

2En premier lieu, l’ouvrage a le mérite de préciser ce que désigne la notion générique de policy analysis. D’après Lee Friedman, coordinateur de la publication, l’analyse politique consiste dans « l’art et la science d’utiliser la connaissance en vue d’assister les acteurs politiques à prendre les meilleurs décisions »2 (p. 3). Prescriptive et très normative, cette définition introductive recoupe essentiellement les activités de conseil ainsi que les expertises produites par des professionnels de l’action publique (think tanks, cabinets spécialisés, agences, etc.), plutôt que les travaux de recherche dits académiques, au sens strict. Toutefois, cette distinction entre l’analyse pour la politique (études appliquées) et l’analyse de la politique (réflexions théoriques) se révèle ténue en pratique, dans la mesure où les quatre chapitres suivants se référent souvent à l’une (expertise technique) ou à l’autre (recherche universitaire) de manière indifférente. Or, s’ils ont tendance à agréger ces deux types de policy analysis, les auteurs s’entendent pour exclure catégoriquement de cette définition les travaux des lobbies et autres groupes d’intérêts institués. En l’espèce, qu’elle soit produite par des consultants sollicités et rémunérés pour leurs missions ou par des chercheurs œuvrant de manière indépendante et désintéressée, l’analyse politique dont ils entreprennent de mesurer l’influence sur les acteurs politiques (policy makers) a une dimension que l’on pourrait qualifier d’éthique. Son ambition est ainsi de « compléter l’action démocratique sans pour autant se substituer à elle » (p. xiv) : ses mots d’ordre sont la transparence, la neutralité politique et la défense de l’intérêt général. En résumé, cet ouvrage ne traite pas du poids des lobbys sur le processus décisionnel3, mais bel et bien de l’influence de l’analyse politique au sens large sur les choix, l’orientation, la mise en œuvre et l’évaluation de l’action publique.

3Sur la forme, les auteurs ont explicitement choisi de suivre le plan des manuels anglo-saxons d’analyse des politiques publiques. Qu’il soit à dominante analytique ou empirique, chaque chapitre est centré sur une grande question théorique (définitions et enjeux de la discipline ; valeurs et caractéristiques des politiques publiques ; mise à l’agenda et décision politique ; design institutionnel et mise en œuvre ; évaluations). Dans le premier chapitre faisant office d’introduction générale, Lee Friedman rappelle que l’analyse politique s’est énormément étoffée au cours des trois dernières décennies : enseignée dans les plus prestigieuses universités, elle forme des centaines d’étudiants chaque année et fait vivre pas moins de 440 000 personnes aux États-Unis. À partir de ce constat et pour expliquer la croissance continue des agences gouvernementales comme des cabinets de conseil spécialisés depuis le milieu des années 1980, Friedman émet l’hypothèse que la valeur des expertises produites par ces organisations est supérieure à leur coût. Toutefois, peu ou pas de recherche se sont intéressées à ce sujet, ce qui donne toute sa justification à l’ouvrage.

  • 4 Selon Donovan (p. 165-166), les problèmes compliqués – tels que l’envoi d’une fusée sur la lune – p (...)

4Les trois chapitres suivants sont plus empiriques. Rédigé par John Hird, le chapitre 2 traite principalement de l’influence relative des publications académiques sur les agences de régulation aux États-Unis (notamment dans les transports, l’agriculture et la santé). Bien qu’ouvrant sa réflexion sur les travaux de Thomas Piketty qui ont eu un très fort retentissement outre-Atlantique, Hird tend à démontrer que les recherches universitaires ne constituent guère un véritable catalyseur d’innovations. De fait, quand les acteurs politico-administratifs y ont recours, c’est moins pour penser de nouvelles politiques publiques que pour justifier de décisions déjà prises. En d’autres termes, les recherches sont utilisées dans un sens moins proactif que réactif, c’est-à-dire pour justifier du statu quo plutôt que pour promouvoir le changement. On retrouve cet argument en filigrane dans le chapitre suivant, co-écrit par Erick Patashnik et Justin Peck, qui s’emploie à évaluer, au niveau du Congrès, l’impact de l’expertise politique sur le processus décisionnel, en se demandant si les choix opérés par les élus répondent à des finalités rationnelles d’amélioration de l’action publique plutôt qu’à des logiques contingentes, arbitraires voire clientélistes, propres au jeu politique. Pour ce faire, outre l’organisation de focus group, les auteurs ont recueilli à travers une enquête par questionnaire les opinions d’environ 160 analystes de la vie politique washingtonienne (universitaires, membres de think tanks, hauts fonctionnaires, agents fédéraux, etc.). Comme ils le soulignent, il s’avère que « l’espace politique est de plus en plus congestionné […]. Les législateurs traitent beaucoup moins de nouveaux problèmes qu’ils gèrent les conséquences des solutions antérieures » (p. 101). En conclusion, la capacité de réponse et d’innovation politiques du Congrès est faible. Le quatrième chapitre, rédigé par Suzanne Donovan (directrice exécutive d’un think tank consacré aux enjeux éducatifs), rend compte des dynamiques d’apprentissage et autres formes d’enrichissement mutuel qui résultent de la mise en collaboration entre des chercheurs et des enseignants prompts à renouveler les techniques pédagogiques. Sur le plan heuristique, cet article propose une distinction originale entre problème compliqué (complicated problem) et problème complexe (complex problem), mais qui ne nous paraît pas des plus convaincantes, car insuffisamment discriminante4. Quant au dernier chapitre, également rédigé par le coordinateur Lee Friedman, il fait office de synthèse analytique.

5En résumé, cet ouvrage collectif n’épuise en rien son sujet : l’impact de l’analyse politique sur la politique est une question en chantier. Comme le coordinateur le souligne, « [le] puzzle dont il nous faudrait rassembler les pièces pour avoir une réponse exhaustive va bien au-delà du cadre de ce livre » (p. 30) Aussi, plus que d’apporter des réponses, le principal mérite de l’ouvrage est d’aborder cet enjeu et d’inviter la communauté académique à poursuivre les investigations en ce sens. Observons toutefois que si la définition de « l’analyse politique » avait été moins large, circonscrite aux seules recherches universitaires, la démarche aurait été encore plus originale. Les auteurs auraient alors procédé à une forme de mise en abyme inédite de la sociologie de l’action publique, qui ne semble pas avoir de précédent.

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Notes

1 Professeur à Berkley, il fut l’un des pionniers américains de la sociologie de l’action publique. On lui doit notamment le très célèbre Implementation co-écrit avec Jeffrey Pressman, dans lequel ils démontrent pourquoi et comment un programme d’aide fédérale contre le chômage, pensé à Washington DC, a échoué à Oakland. Révélant la « complexité de l’action conjointe », ce livre est désormais un classique de la littérature. Jeffrey L. Pressman, Aaron Wildavsky, Implementation, Oakland, University of California Press, 1984 [1973].

2 Notre traduction, pour toutes les citations présentées dans ce compte rendu.

3 Pour plus de renseignements, voir : Ainsworth Scott, Analyzing Interest Groups : Group influence on People and Policies, New York, W.W. Norton and Company, 2002 ; Cigler Allan et al. (dir.), Interest Group Politics, Thousand Oaks, Sage, 2016 ; Grossman Emiliano et Sabine Saurugger, Les groupes d’intérêt : action collective et stratégie de représentation, Paris, Armand Colin, 2012.

4 Selon Donovan (p. 165-166), les problèmes compliqués – tels que l’envoi d’une fusée sur la lune – peuvent être résolus avec méthode, dès lors qu’ils répondent à un enchainement d’étapes bien délimitées. Les problèmes complexes tels que la gestion d’une politique éducative apparaissent quant à eux plus inextricables, dans la mesure où ils sont sujets aux interactions imprévisibles des acteurs. Or, ces définitions nous apparaissent contradictoires car le postulat de départ pour que l’une soit vraie tend à invalider l’autre. Par exemple, pour justifier l’existence de « problèmes compliqués », il faudrait admettre que toute organisation agit toujours de manière rationnelle, auquel cas il n’y aurait alors pas d’interactions dysfonctionnelles entre les différents acteurs, et donc plus de « problèmes complexes ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Damien Larrouqué, « Lee S. Friedman (dir.), Does Policy Analysis Matter? Exploring Its Effectiveness in Theory and Practice », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 octobre 2017, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/23653 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.23653

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Rédacteur

Damien Larrouqué

ATER à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, docteur associé au CERI, Sciences Po.

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