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Maxime Huré, Les mobilités partagées, nouveau capitalisme urbain 

Julia Frotey
Les mobilités partagées
Maxime Huré, Les mobilités partagées. Nouveau capitalisme urbain, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Mobilités et sociétés », 2017, 160 p., ISBN : 978-2-85944-983-4.
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Texte intégral

1Le premier opus de la collection « Mobilités et Sociétés » fait le pari d’éveiller les lecteurs aux multiples conséquences sociales et territoriales issues du développement des nouveaux services de mobilités, tels que les vélos en libre-service (VLS) ou encore l’autopartage en milieu urbain. Dans un contexte où ces services sont pourtant encouragés par la puissance publique, la société civile et de grandes entreprises, en France et plus largement en Europe, Maxime Huré pose un regard critique sur leur développement au moyen d’une méthodologie qu’il a déjà éprouvée au sein du groupe « Passé Présent Mobilité - P2M », qui croise les disciplines telles que la sociologie, la science politique, l’histoire et la géographie.

  • 1 Jean-Pierre Orfeuil, « La mobilité, nouvelle question sociale ? », Sociologies, 2010, [https://soci (...)
  • 2 Hélène Reigner, Thierry Brenac et Frédérique Hernandez, Nouvelles idéologies urbaines. Dictionnaire (...)

2Cette approche pluridisciplinaire vise la compréhension des effets issus des politiques de mobilité sur les territoires et la société et s’inscrit dans un courant critique du New Urbanism, récemment représenté par les travaux de Jean-Pierre Orfeuil, sur l’introduction de la question sociale dans l’étude de la dépendance automobile1. L’ouvrage de Maxime Huré prend également la suite des Nouvelles idéologies urbaines2, en analysant en profondeur les implications sociales encore peu maîtrisées du « VLS ».

3Dans cet objectif, l’auteur effectue un retour historique sur l’arrivée des premiers systèmes de vélos en libre-service en Europe et rend compte de l’apparition de nouvelles firmes dans la gestion des mobilités urbaines, qui entrent directement en concurrence avec les entreprises traditionnelles du secteur des transporteurs urbains telles que Kéolis, Véolia-Transdev ou la SNCF. L’auteur s’attache particulièrement à décrire la stratégie de JC Decaux et de Clear Channel Outdoor, qui ont su profiter du nouveau paradigme de la mobilité durable pour proposer leurs propres services urbains aux collectivités. À ce titre, l’ouvrage apparaît comme une monographie inédite qui propose un éclairage sur le fonctionnement de deux importantes firmes du mobilier urbain et leur pouvoir d’influence dans la gestion des mobilités.

  • 3 Philippe Bernoux, La sociologie des organisations, Paris : 1985, 466 p

4L’émergence de ces firmes, que l’auteur qualifie de « capitalistiques », dans la gestion urbaine des déplacements, est ensuite interrogée au moyen d’axes de réflexions clairs, à savoir l’influence de ces firmes sur le rôle et l’adaptation des institutions publiques dans la gestion des mobilités ; la capacité de ces grandes entreprises à répondre à des enjeux écologiques et enfin, la réalité des bénéficiaires de ces nouveaux services urbains au prisme des types de territoires équipés. L’auteur postule qu’un changement de relation entre le public et le privé est à l’œuvre, porté par une transformation du capitalisme, qui parviendrait à utiliser les critiques envers le véhicule personnel, incarnation de la société de consommation, pour se renouveler et gagner de nouveaux marchés. Cette hypothèse est explicitée au moyen d’une étude fine de la chronologie des évènements et de l’évolution des relations entre entreprises et institutions. La chronologie établie permet une analyse du rôle et des fonctions propres à chaque type d’acteur, renvoyant ainsi aux méthodes de la sociologie3. Des résultats d’enquêtes sociologiques étayent également les deux chapitres qui composent l’ouvrage.

5Le premier se concentre sur le phénomène des vélos en libre-service (VLS) et leur émergence en Europe, à travers deux cas d’étude, celui des White Bikes à Amsterdam et celui des « vélos municipaux » à La Rochelle. Ces deux exemples permettent à l’auteur de de mettre en avant les premières controverses liées aux déplacements en Europe ainsi que le processus d’ouverture d’un nouveau marché urbain, celui de la mobilité.

6Dès les années 1970 en Europe, la montée en puissance des partisans de l’écologie urbaine et de revendications environnementales pour un meilleur cadre de vie se traduit par une promotion de la bicyclette en ville : alors que le vélo était un véritable symbole de modernité4 à la fin du XIXe siècle, diffusé ensuite en masse au début du XXe, sa pratique s’est en effet effondrée pendant les Trente Glorieuses, pour laisser place à l’usage de l’automobile. Ces mouvements associatifs émergents contestent les effets d’un recours excessif à l’automobile parmi lesquels la congestion urbaine, l’étalement urbain ou le dépeuplement des centres historiques… À Amsterdam, le groupe Provo met en place en 1966 un système de vélos partagés, peints en blanc, autogérés et gratuits, laissés à la libre disposition des habitants (les White Bikes). Cette dynamique associative et l’intégration de leurs revendications, conduit la municipalité d’Amsterdam à mener l’une des premières politiques urbaines de vélo en Europe, devenant ainsi une référence internationale en la matière.

7À La Rochelle, l’innovation provient directement de l’initiative municipale qui, en 1976, inaugure un nouveau dispositif de 300 vélos en libre-service et gratuits. Ces vélos sont financés dans un premier temps au moyen du dispositif national « Villes moyennes », destiné à la réhabilitation des centres-anciens. Dans un second temps, un nouveau parc de location de 100 vélos est mis à disposition mais il est, cette fois, financé par une banque dont la publicité couvre les vélos : ceci marque l’entrée d’acteurs économiques dans la gestion des mobilités, qui viennent peu à peu transformer les cadres de l’action publique, tout comme l’action et l’expertise associative et les revendications écologistes ont reconfiguré les discours électoraux et ont participé à la réorientation des politiques publiques municipales à partir des années 1970. L’auteur met en évidence que le cas de La Rochelle constitue une expérience isolée jusqu’à la fin des années 1990, où de grandes firmes vont alors participer au développement du vélo urbain en ville, à l’instar de Clear Channel Outdoor et de JC Decaux.

  • 5 Vincent Kaufmann, Eric Widmer (2005), « L’acquisition de la motilité au sein des familles. Etat de (...)

8Pour l’auteur, l’intervention de ces grandes firmes dans le champ des mobilités n’est pas neutre et s’intègre dans une stratégie commerciale plus globale qui analyse au préalable le potentiel de marché de chaque ville : si les maires se servent de ce partenariat public-privé pour promouvoir leur territoire sur la scène internationale, l’arrivée de ces acteurs renforce bel et bien la compétition entre villes, au détriment des municipalités dont le marché est moins attractif et dont les capacités de négociation sont moindre. À l’échelle de l’agglomération en elle-même, le déploiement des stations couvre plutôt les espaces denses du centre-ville, plus rentables aux yeux de l’entreprise, au détriment des espaces périphériques. L’auteur rappelle également la typologie des utilisateurs de vélos en libre-service qui restent, en majorité, des usagers possédant un fort capital de mobilité5, plutôt des étudiants ou des actifs de catégories supérieures affranchis des contraintes horaires traditionnelles.

9Dans le deuxième et dernier chapitre, l’auteur cherche à approfondir l’analyse des effets institutionnels, politiques et sociaux, de l’intervention de ce qu’il appelle les « grandes firmes de services de mobilité urbaine ». Un petit nombre de grandes entreprises ont le monopole du marché du mobilier urbain et publicitaire dans le monde, et s’entendent sur les prix et les parts de marché. Parmi elles, l’on compte JC Decaux ou Clear Channel Outdoor, pleinement insérées dans la mondialisation et implantées dans plus de 1 800 villes (pour ce qui concerne JC Decaux) et dans plus de 30 pays (pour Clear Channel Outdoor). Le groupe Bolloré rentre également dans la course : l’entreprise de logistique et de transport d’énergie, ayant ses part dans Havas, groupe de communication, a développé le service d’autopartage Autolib’ à Paris, soit près de 2 847 voitures électriques en libre-service. Là encore, il s’agit d’un investissement de long terme destiné, derrière la visibilité du dispositif, à servir d’importants enjeux financiers. Chacune de ces firmes fait de la mobilité le moteur de son business model : l’augmentation du nombre de passages devant leurs affiches augmente leurs recettes, aussi l’accroissement généralisé des déplacements des personnes et des mobilités représente-t-il une manne financière. Depuis 40 ans, ces entreprises ont également su s’adapter aux institutions publiques, développant de réelles compétences techniques dans la réalisation des conventions et des contrats. Pour Maxime Huré, cela a pour conséquence l’émergence d’un nouveau type de privatisation, cette fois non plus fondée sur l’appropriation des infrastructures (énergies ; eau ; déchets…) mais sur celle des usages, du mobilier urbain, des espaces publics et du paysage.

10L’auteur recense toutefois plusieurs outils, qui permettent encore à la puissance publique de conserver une capacité d’action autonome et de réguler l’intervention des entreprises dans le champ des mobilités : le respect du droit, l’évaluation des activités des firmes et la négociation. De plus, les contestations d’associations d’usagers peuvent parfois contrer le poids des firmes dans la gestion des mobilités (exemple de l’association Where’s my Villo ! qui surveille l’efficacité du système bruxellois de VLS).

  • 6 Jean-Marc Offner (2000), « Territorial deregulation : local authorities at risk from technical netw (...)

11Maxime Huré, en retraçant donc l’histoire de l’intervention de grandes firmes dans la gestion des mobilités, réussit à décrire ce que Jean-Marc Offner appelle lui-même « un compromis historique entre les réseaux et les territoires »6, dans la mesure où l’organisation spatiale et institutionnelle doit se réinventer en fonction des offres proposées par les firmes en matière de mobilités partagées. Dans les dernières pages, l’auteur invite la communauté scientifique à se pencher sur d’autres alternatives possibles, puisque celles qu’il décrit ne sont que des versions industrielles de la nouvelle économie du partage, engendrant la compétition entre villes, des inégalités socio-spatiales et une standardisation de l’offre de services de mobilités à l’échelle mondiale. L’objectif affiché d’ouvrir le débat sur des tendances émergentes et de politiser les nouveaux objets de la mobilité durable est ainsi réussi dans cet ouvrage.

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Notes

1 Jean-Pierre Orfeuil, « La mobilité, nouvelle question sociale ? », Sociologies, 2010, [https://sociologies.revues.org/3321], 2010

2 Hélène Reigner, Thierry Brenac et Frédérique Hernandez, Nouvelles idéologies urbaines. Dictionnaire critique de la ville mobile, verte et sûre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013

3 Philippe Bernoux, La sociologie des organisations, Paris : 1985, 466 p

4 Frédéric Héran, Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050, Paris : La Découverte, 2014.

5 Vincent Kaufmann, Eric Widmer (2005), « L’acquisition de la motilité au sein des familles. Etat de la question et hypothèses de recherche », Espaces et Sociétés, vol. 2, n°120-121.

6 Jean-Marc Offner (2000), « Territorial deregulation : local authorities at risk from technical network », International journal of Urban and Regional Research, Vol. 24, n°1, p. 177.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julia Frotey, « Maxime Huré, Les mobilités partagées, nouveau capitalisme urbain  », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 août 2017, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/23327 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.23327

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Rédacteur

Julia Frotey

Doctorante en Aménagement et urbanisme et accueillie au laboratoire TVES de Lille, je travaille sur la diffusion spatiale des bornes de recharge pour véhicules électriques sur l’espace public et leurs conséquences sur la fabrique des territoires et la gestion des mobilités

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