Gilbert Bosetti, Trieste, Port des Habsbourg 1719-1915 : De l’intégration des immigrés à la désintégration du creuset (FR)
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- Gilbert Bosetti, Trieste, port des Habsbourg 1719-1915 : De l’intégration des immigrés à la désintégration du creuset (EN)
Texte intégral
1Le livre de Gilbert Bosetti, italianiste et professeur honoraire de l’Université de Grenoble, est issue d’un projet de recherche soutenu par le CNRS qui réfléchit sur des défis sociaux comme le pluralisme religieux, l’intégration par la langue, le statut des minorités et les identités nationales en l’Europe. Trieste, Port des Habsbourg est divisé en trois parties. La première partie analyse l’histoire de Trieste depuis sa désignation comme port franc en 1719 jusqu’à 1813, date à laquelle la ville retourne à l’empire d’Autriche après en avoir été exclue brièvement durant le Premier Empire. Dans la deuxième partie du livre, l’auteur décrit l’âge d’or de Trieste au XIXe siècle. Dans la partie finale, Bosetti présente la croissance des sentiments nationalistes – en particulier l’irrédentisme italien – et l’effet du nationalisme sur Trieste jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Le livre est structuré sous la forme d’une séquence de petites enquêtes, lesquelles ne dépassent pas quatre pages.
2Bosetti dépeint une histoire longue de plus de deux cents ans. Il commence en 1719, quand Charles VI institue le port franc, et poursuit jusqu’en 1915, lorsque l’Italie entre dans la Grande Guerre. Cependant, Bosetti réussit à incorporer une grande quantité de détails dans son livre. On y croise des Italiens, des Slovènes, des Juifs, des Grecs, des Levantins, des Albanais, des Serbes, des Croates, des Illyriens, des Helvètes, des Allemands, des Autrichiens, des Hongrois, des Moraves, des Tchèques, des gens de Bohême, des Flamands, des Scandinaves, des Anglais, des Turcs, des Roumains, etc. À travers de ces histoires courtes, Bosetti décrit le succès des familles de différentes origines ethniques, mais aussi de différentes dénominations. À Trieste, on rencontre des catholiques, des protestants, des musulmans, des chrétiens orthodoxes, des juifs, mais aussi des familles laïcisées. Les protagonistes sont des banquiers, des capitaines au long cours, des entrepreneurs immigrés spécialisés dans le commerce maritime, des patrons de sociétés d’import-export ou d’assurance de commerce. Bosetti évoque également plusieurs romanciers et politiciens du XIXe siècle et présente des histoires sur l’opéra, les arts, l’architecture et les sciences, et plus largement sur la culture des élites. En revanche, les anonymes, les hommes et femmes du commun qui habitaient et travaillaient à Trieste sont presque complètement absents du livre.
3Les élites triestines s’engageaient dans des mariages intercommunautaires civils, parfois par intérêt commercial, qui a leur tour contribuaient, d’après Bosetti, à la laïcisation des immigrés élitaires. Selon lui, « les mariages mixtes étaient à la fois la cause et l’effet de rapprochements intercommunautaires » (p. 141), transcendant les appartenances religieuses. Un aspect important de la vie des immigrés à Trieste tient au fait qu’ils étaient libres de fonder leurs propres établissements éducatifs et d’y utiliser leur langue. Sur ce point, Bosetti constate qu’« à Trieste, l’identité nationale n’était pas fondée par le sang, mais par la langue, vecteur de la culture » (p. 243). Selon lui, l’intégration à Trieste passait par la commerce : « Si la religion divise les sectaires, le commerce rassemble » (p. 76). C’est l’âme commerciale qui pourrait expliquer le succès du creuset au XIXe siècle. Bosetti en est persuadé : « En période de croissance économique, le libre-échange des marchandises favorise une libéralisation des mœurs et coutumes face à la pesanteur des traditions culturelles » (p. 151). Toutefois, il me semble que cette thèse ne s’applique qu’aux immigrants engagés dans le grand commerce.
4Si le sous-titre indique l’ambition du livre d’interroger les complexes réalités de l’immigration triestine, l’ouvrage ne parvient pas à cet objectif. Les quelques indications que Bosetti donne sur l’importance du commerce, de la religion, de la langue, de l’assimilation culturelle et du nationalisme sont intéressants pour comprendre le succès, les défis et la désintégration du creuset Trieste. Mais l’analyse manque de problématisation et de méthodologie. Quelles archives ont-elles été consultées ? Quel genre de sources l’auteur a-t-il utilisé? Notons aussi l’absence d’historiographie anglophone ou germanophone sur Trieste. Un l’état de l’art aurait pu être ajouté pour mieux situer l’ouvrage dans la littérature sur Trieste et celle sur l’empire d’Autriche et ses stratégies pour faire face à une composition multi-ethnique et multi-religieuse de sa population. Dans le livre, on trouve peu de références à des sources originales, hormis des publications littéraires. Ce point rend difficile l’exploitation par les autres chercheurs de la richesse des multiples petites histoires que présente Bosetti. Son intérêt pour les sources littéraires pourrait d’ailleurs expliquer la dominance des élites dans le livre.
5Malgré ces manquements manifestes, l’ouvrage permet d’apprendre beaucoup sur Trieste et ses habitants et de comprendre les problèmes et les peurs, mais aussi les ambitions, la fierté identitaire et l’indépendance de ces immigrés venus à Trieste du temps de l’Empire des Habsbourg. Fournir cette expérience historique au lecteur est l’un des objectifs de la recherche historique légitime, qui est souvent oublié. Bosetti ne semble pas avoir écrit cet ouvrage dans le but d’expliquer l’intégration des immigrés à Trieste. Il a décrit Trieste et la vie des immigrants à Trieste. Par ses descriptions vivantes, il nous donne l’opportunité de réfléchir sur le sujet de l’immigration avec des exemples historiques.
6L’histoire du Trieste entre 1719 et 1915 se raconte comme une tragédie qui finit avec la désintégration du creuset, du fait des tensions intercommunautaires, particulièrement celles entre les bourgeoisies nationalistes italiennes et slovènes. Bosetti conclut, non sans dramatisme, que le démembrement du creuset triestin a marqué « la ruine d’une fraternité européenne » (p. 321).
Pour citer cet article
Référence électronique
Ramses Delafontaine, « Gilbert Bosetti, Trieste, Port des Habsbourg 1719-1915 : De l’intégration des immigrés à la désintégration du creuset (FR) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 juillet 2017, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/23275 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.23275
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