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François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot, Sabine Rozier (dir.), L’Ordinaire du politique. Enquêtes sur les rapports profanes au politique

Baptiste Pagnier
L'ordinaire du politique
François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot, Sabine Rozier (dir.), L'ordinaire du politique. Enquête sur les rapports profanes au politique, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, col. « Paradoxa », 2016, 410 p., ISBN : 978-2-7574-1473-6.
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  • 1 Lire à ce sujet l’article de Nicolas Mariot, « Pourquoi il n’existe pas d’ethnographie de la citoye (...)

1L’objectif de cet ouvrage est de « s’intéresser à ce qui va de soi pour l’acteur social » dans son rapport banal et quotidien au politique (p. 15), c’est-à-dire dans sa relation à « ce qui ressort des activités des spécialistes de l’activité politique », ou, selon une autre perspective, davantage inspirée par le pragmatisme, à ce qui est le produit de « la capacité des acteurs sociaux à problématiser des questions, y compris les plus concrètes » (p. 12-13). La difficulté travaillée tout au long de l’ouvrage consiste à saisir empiriquement ces rapports profanes (qui ne sont pas du fait de professionnel-le-s de la politique) au politique y compris hors des moments électoraux, sans pour autant les extraire des configurations dans lesquelles ils s’accomplissent1. Il s’agit donc de placer au cœur du travail de recherche des pratiques qui prennent en réalité peu de place dans la vie des enquêté-e-s. Ne pas présupposer un intérêt universel au politique et s’interroger sur la dimension pré-réflexive des pratiques politiques permet ainsi d’éviter le biais scolastique qui conduit à prendre les intérêts du chercheur ou de la chercheuse pour ceux des agents.

  • 2 Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (Amiens).

2Le livre est découpé en deux parties : la première (la plus longue) reprend 14 communications présentées au congrès de l’Association française de science politique de 2011, d’une petite vingtaine de pages chacune et présentant pour la plupart les résultats d’une enquête ou effectuant une réflexion sur celle-ci ; la seconde, plus originale, constitue un retour collectif et réflexif sur une enquête du CURAPP2. Les différentes contributions de la première partie ont été regroupées deux par deux en sept « séquences » thématiques qui constituent autant de prismes par lesquels appréhender l’ordinaire du politique : la distance au vote, le rapport aux médias, la socialisation par le travail, ou encore l’écriture de courriers aux élu-e-s. Ces séquences sont introduites par l’un-e des quatre directeur-trices de l’ouvrage, ce qui donne une dimension comparative et une certaine cohérence à l’ensemble. Ne pouvant rendre compte en détail de chacun des textes présentés, nous nous concentrerons sur quelques-uns d’entre eux.

3Alors que l’étude des relations profanes au politique est souvent synonyme d’étude des classes populaires, Éric Agrikolianski met en cause l’idée selon laquelle « la bourgeoisie constituerait la dernière classe en soi et pour soi » (p. 29), défendue par exemple par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Il observe les rapports obliques à la politique qu’entretiennent les habitant-e-s du XVIe arrondissement parisien. Cette distance aux luttes électorales procède d’un « scepticisme expert » (position de surplomb des électeurs se sentant les plus légitimes), d’un « dédain distancé » (traitant la politique comme un objet secondaire), ou d’un « individualisme antipolitique » (proscrivant l’expression publique des opinions). Plusieurs autres contributions observent également un rapport oblique, voire distant, à la politique, mais selon d’autres modalités et dans d’autres classes sociales : c’est le cas de l’étude de Sébastien Vignon sur la participation aux élections municipales dans un village de la Somme où « l’affaiblissement du lien d’appartenance locale » (p. 76), dû à l’arrivée de nouvelles populations urbaines, et la disparition des incitations au vote (familiales ou de voisinage) conduisent à un désinvestissement des élections municipales. Des socialisations professionnelles différenciées, comme celle des ingénieurs (caractérisée par le doute méthodique et une culture de la discussion), des DRH (marquée par un refus d’adhérer à une position tranchée), ou des agriculteurs (attachés à moderniser leur exploitation, et de ce fait insérés dans des réseaux extérieurs), étudiées par Ivan Sainsaulieu, Muriel Surdez et Éric Zufferey, peuvent également être au principe de rapports au travail structurant les rapports au politique, lesquels conduisent « à “politiser” aussi bien qu’à “dépolitiser” » (p. 142). Plusieurs contributions interrogent des documents écrits, comme celle de Fabrice Ripoll et Jean Rivière qui met en lien technique de mobilisation lors de scrutins municipaux (tract, affiche…) et degré de compétition dans plusieurs communes périurbaines. Lorenzo Barrault-Stella étudie les demandes de passe-droits aux élus, qui sont socialement différenciées et peuvent médier le rapport au politique de celles et ceux qui en sont le plus distant-e-s. L’analyse de Sabine Rozier (qui s’appuie sur un matériau recueilli par Camille Magen) porte sur un objet proche : un échantillon d’une centaine de courriers envoyés à un député. Elle cherche à « mettre en lumière les potentialités critiques » des individus, « et notamment la manière dont [ils] parviennent à lier leurs préoccupations concrètes […] à des espérances collectives » (p. 228). Elle regroupe les courriers sous trois « figures idéales-typiques de scripteurs et de formes d’interpellation » (p. 229), en fonction de la manière dont l’auteur-e de la lettre s’adresse à l’élu-e (en le voyant comme un sauveur, ou au contraire en se plaçant plutôt comme témoin d’une injustice).

4Certains chapitres s’attachent à une réflexion sur les méthodes qui permettent de saisir les rapports ordinaires au politique. Christèle Marchand-Lagier « revisite » ainsi des enquêtées plusieurs années après la fin de sa thèse pour étudier le poids des configurations et des prédispositions familiales dans leur engagement au Front national. Il s’agit de regarder comment la perte du mari ou une rupture conjugale a pu influer sur les convictions et les pratiques politiques de ces femmes qui étaient électrices de ce parti au moment de la thèse de l’auteure. Julien Audemard, lui, met en place une enquête par boule de neige sur l’intégration du politique « aux relations sociales ordinaires » (p. 181). Il observe les logiques de passation (les 10 personnes de l’échantillon de départ doivent à leur tour demander à 6 proches de remplir le questionnaire, puis ces derniers le font à leur tour passer à 5 personnes chacun). En particulier, l’exercice implique, pour les membres de l’entourage direct de l’enquêteur, de parler politique avec leurs proches : l’analyse des données produites par le questionnaire et complétées par des entretiens auprès de certain-e-s participant-e-s montre qu’en général, « la proximité relationnelle et affective entre deux personnes [réduit] les coûts politiques causés par la participation à l’enquête » (p. 194), mais « la recherche de la ressemblance politique est […] plus marquée chez les enquêteurs dont il a été possible d’évaluer qu’ils se percevaient en opposition à leur groupe d’appartenance » (p. 195). Cécile Braconnier dresse un état des lieux des moyens de saisir les conversations politiques, mais aussi des limites de ces outils qui, pour certains, consistent en des expériences de laboratoire et sont très difficiles à mettre en œuvre (par exemple, s’il s’agit d’écouter et de noter attentivement des conversations dans le cadre d’une observation participante). Elle plaide in fine pour l’exploration d’entretiens in situ, c’est-à-dire réalisés par deux personnes ayant l’habitude de discuter ensemble, dans une configuration qui se veut la plus proche possible d’une conversation quotidienne. L’ensemble des contributions du livre est éclairé par le texte de Philippe Aldrin et Marine de Lassalle, qui revient sur la situation d’enquête comme interaction irréductible aux conversations ordinaires pour s’intéresser « au parler politique […] en tant qu’acte social et au faire parler politique en tant que méthode d’enquête » (p. 300). Plutôt que la compétence politique, les auteur-e-s ont cherché à « étudier l’énonciation du rapport au politique comme l’ensemble des dispositions relationnelles acquises permettant de penser et exprimer les articulations entre le soi et l’univers politique » (p. 300). Le rapport ordinaire au politique tient en son « redimensionnement à soi », c’est-à-dire en la retraduction pratique d’enjeux politiques (ici, l’enquête porte sur le rapport ordinaire à l’Europe). Les auteur-e-s citent par exemple un entretien avec une femme de pêcheur qui perçoit l’Europe par le prisme conflictuel des licences de pêche que l’Union européenne accorde : la politisation de sa parole s’appuie sur des principes universels de justice. Parfois, ces « connexions entre les territoires du soi et le terrain de la politique » (p. 308) n’opèrent pas, faute de pouvoir s’auto-situer et s’identifier dans l’espace social (en fonction, par exemple, de son entourage et de sa politisation), ce qui ne dispose alors pas à la « socioindividuation des opinions » (aptitude à « (se) tenir (à) un point de vue de bout en bout de l’entretien », p. 313).

5Le dernier chapitre, retour réflexif sur une enquête collective par entretiens approfondis panélisés visant à « reconstituer [les] réseaux de sociabilité et [les] trajectoires sociobiographiques » de quelques enquêté-e-s suivi-e-s sur deux ans, menée par François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot et Sabine Rozier, n’a pas pour but de présenter une recherche achevée, mais plutôt de plonger le lecteur ou la lectrice dans la recherche en train de se faire et dans les questionnements qui se sont présentés dans le cadre du dispositif de décryptage des entretiens. Le cas d’un enquêté en particulier, appelé Max, est longuement exposé, et accompagné de longs extraits d’entretiens qui mettent au jour « l’encastrement biographique des préférences politiques et leurs ancrages socialement différenciés en évitant de ne [le] considérer que sous [son] rôle d’électeur qu’on ne voudrait connaître qu’à l’aune d’hypothétiques orientations partisanes » (p. 338). Les auteurs engagent alors une réflexion sur les opérations les plus banales de la recherche et leurs implications épistémologiques, avec des questionnements sur le mode de retranscription des entretiens, la citation d’extraits des propos de l’enquêté-e, la place de sa voix et de ses gestes, les limites de la proximité entre enquêteur-euse et enquêté-e, la répétition des entretiens, etc. À ce titre, ils appellent à réfléchir sur ces opérations qui, trop souvent, sont considérées par les chercheur-euse-s comme allant de soi.

6Cet ouvrage collectif offre donc un bon aperçu des travaux existant sur les rapports profanes au politique et constitue une invitation stimulante à réaliser de nouvelles enquêtes sur cet objet, qui tiendraient cette dimension de la vie sociale pour une pratique comme les autres, ne pouvant être abstraite ni des relations avec les proches, ni de la trajectoire des agents, et surtout seraient attentives à ne pas mettre l’intérêt du savant pour la politique dans la tête des enquêté-e-s.

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Notas

1 Lire à ce sujet l’article de Nicolas Mariot, « Pourquoi il n’existe pas d’ethnographie de la citoyenneté », Politix, vol. 4, n° 92, 2010, p. 165-194, qui permet de comprendre dans quels questionnements s’inscrit le présent ouvrage.

2 Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (Amiens).

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Referencia electrónica

Baptiste Pagnier, « François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot, Sabine Rozier (dir.), L’Ordinaire du politique. Enquêtes sur les rapports profanes au politique », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 06 julio 2017, consultado el 11 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/23238 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.23238

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