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Nicolas Framont, Les candidats du système

Fabrice Hourlier
Les candidats du système
Nicolas Framont, Les candidats du système. Sociologie du conflit d’intérêts en politique, Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « Documents », 2017, 162 p., ISBN : 9782356875211.
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Texte intégral

1Au travers de son ouvrage, Nicolas Framont veut nous désillusionner quant à l’autonomie du personnel politique vis-à-vis du monde des affaires, à leur mobilisation en faveur de l’intérêt général, et plus encore à leur posture de rebelles envers le système. Le point de départ est le constat d’un discours « anti-système » de plus en plus fort notamment chez les candidats à la dernière élection présidentielle. Le titre annonce la couleur et la teneur du livre : ces candidats font partie intégrante du système, même s’ils s’échinent à se présenter soit comme ceux qui vont oser changer radicalement les choses, soit comme des individus qui partagent les centres d’intérêt, les pratiques voire les souffrances des simples citoyens. L’ouvrage adopte rapidement une approche beaucoup plus globalisante qu’un simple passage en revue des différents candidats à la présidentielle. L’analyse de Nicolas Framont s’appuie explicitement sur la théorie marxiste et montre de façon plutôt convaincante que celle-ci est opératoire pour décrire la situation française de ce début de XXIe siècle.

2D’une part, le personnel politique (élus ou hauts fonctionnaires) a des liens ou des proximités fortes avec la classe bourgeoise (que l’on rebaptise celle-ci « classe supérieure » ou « élites »). Pour le démontrer, l’auteur s’appuie d’abord sur les statistiques concernant les revenus pour situer économiquement les élus nationaux. Ainsi, on apprend que l’indemnité mensuelle d’un député le situe dans les 3% de la population les mieux payés. Ensuite, Framont reprend la démarche des ethnographes spécialisés dans l’étude de la grande bourgeoisie pour présenter des éléments biographiques, les fréquentations ou des éléments de discours qui montrent la symbiose entre les hommes politiques et les élites économiques. Enfin, il revient sur la porosité des frontières entre les mondes politique et économique : les hauts fonctionnaires peuvent aller « pantoufler » dans de grandes entreprises ; des ministres, conseillers ou anciens présidents peuvent se recycler comme conférencier, consultant ou membre du conseil d’administration d’une grande entreprise.

3D’autre part, les idées du personnel politique correspondent à l’idéologie dominante qui est l’idéologie de la classe dominante. L’auteur reprend les analyses du discours néolibéral pour redonner à celui-ci son contenu contemporain. Il recense par ailleurs les canaux de diffusion de cette idéologie vers le monde politique : grandes écoles, cercles (comme le club du Siècle ou l’Union Interalliée), think tanks, cabinets de lobbying.

4La coupure entre le personnel politique et la grande majorité de la population les amène à négliger l’intérêt général. L’auteur mobilise la notion de conflit d’intérêts et même celle de « corruption infra-judiciaire » (p. 30). Le passage par ces deux notions permet de confirmer et d’actualiser la citation de Marx selon laquelle « le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la bourgeoisie » (cité p. 26).

5Nicolas Framont propose des développements assez stimulants pour la réflexion sur l’entêtement du personnel politique à mener des politiques néolibérales. Les « réformateurs » persévèrent malgré l’absence quasi-systématique des résultats annoncés. L’auteur parle de croyance ou de pensée magique à propos de ces idées, qui se présentent pourtant comme technocratiques et gestionnaires. De même, côtoyant des personnalités beaucoup plus riches qu’eux (le monde des riches est très hétérogène), certains acteurs politiques seraient particulièrement serviles dans le but d’obtenir de bonnes places dans le privé en vue de s’enrichir davantage par la suite. Il nous semble que cette dernière piste aurait plus de résonance si elle s’appuyait sur une étude de terrain.

6En conclusion, l’auteur estime que le monde politique ne pourra pas s’ouvrir à des personnes d’origine sociale différente ou qui ne sont pas formatées à la pensée dominante actuelle. Le système est structuré de manière à ce que les actions des individus se fassent au service des intérêts dominants.

7Pour nous convaincre de cette fermeture, l’auteur souligne que le recrutement des technocrates au sein des dirigeants des partis politiques se fait aux dépens des mécanismes classiques de sélection interne où le militantisme de terrain est fortement valorisé. Avec le système récent des primaires, les militants n’ont plus l’exclusivité pour imposer leurs vues ou un profil de candidat. Le cas d’En Marche montre qu’un mouvement politique peut être créé ex nihilo par un candidat auto-désigné ralliant autour de lui de simples supporters sans pouvoir de décision.

8Enfin, le mécanisme même des élections ne constitue pas une force de rappel à l’intérêt général : les comportements électoralistes ne conduisent pas pour autant les candidats (à l’élection ou la réélection) à abandonner les politiques favorables à la minorité la plus riche de la population, comme l’ont démontré il y a déjà quelques années des politistes américains et la récente élection de Donald Trump.

  • 1 Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de Sciences Po, (...)

9L’auteur adopte une posture très systémiste : l’implicite de sa démonstration est qu’un acteur politique favoriserait toujours les intérêts de son groupe social. Il nous semble devoir y apporter quelques nuances issues des sciences sociales pour ne pas avoir que la destruction/reconstruction comme solution. D’une part, Pierre Bourdieu avait mis en lumière que des conditions de sélection, d’autonomie et de récompense dans certains champs (universitaires et artistiques) ou dans ce qu’il a appelé la « noblesse d’État » permettent à ses participants de développer un intérêt pour l’universel. D’autre part, selon leur socialisation, des individus et a fortiori des représentants politiques peuvent acquérir des valeurs et un rapport à l’argent qui leur font développer un sens de l’intérêt général malgré leur classe ou un environnement hostile. Enfin, l’ouvrage classique de Bernard Pudal1 montre que des conditions historiques particulières ont débouché sur une forte promotion de responsables politiques issus des classes populaires au sein des partis et des élus. Cela peut suggérer des pistes de réforme du système politique malgré sa tendance à œuvrer aux intérêts de l’oligarchie.

10L’ouvrage semble acter un programme de recherches à venir pour l’auteur. Elles sont en bonne voie. Le mélange d’anecdotes de petites phrases centrées sur quelques individus (des candidats à la présidentielle), d’un côté, et de grands raisonnements macrosociologiques de l’autre ne rend pas toujours la démonstration aisée et peut déstabiliser le lecteur. Le contenu reste toutefois intéressant. Notons enfin le florilège d’informations sur le désormais président Macron, qui peuvent permettre de mieux anticiper et comprendre la gestion à venir du pays.

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Notes

1 Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de Sciences Po, 1989.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabrice Hourlier, « Nicolas Framont, Les candidats du système », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 juin 2017, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/23065 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.23065

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