Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (dir.) Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises
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- 1 A l’image de l’ouvrage Histoire et sciences de gestion coordonné par Ludovic Cailluet, Yannick Lema (...)
1Avec ce dictionnaire historique, la comptabilité bénéficie d’un éclairage précieux qui prend en compte le temps et l’espace. Ce croisement se développe depuis quelques années sous l’impulsion de chercheurs et chercheuses visant à souligner les apports de l’histoire aux sciences de gestion1 dans des domaines comme l’histoire des entreprises ou la culture d’entreprise. En effet, s’agissant de techniques quantitatives de gestion que les historiens de l’économie ont associées au développement du capitalisme, les notions et termes comptables méritent d’être analysés de manière approfondie pour mieux comprendre le fonctionnement et l’évolution des entreprises. Le formidable développement économique qu’ont connu les économies occidentales à partir du XVIIIe siècle s’est accompagné de nombreuses modifications de la manière dont les entreprises ont établi et tenus leurs comptes. Cette plongée dans les outils de gestion, les professions comptables ou les spécificités des secteurs économiques permet de mieux saisir la place centrale occupée par l’entreprise dans l’économie du XXIe siècle.
2Le Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises vient compléter une série de travaux récents consacrés à la construction d’un des outils de gestion les plus caractéristiques de l’économie moderne. On pense par exemple au Dictionnaire historique de la comptabilité publique dirigé par l’historienne Marie-Laure Legay, paru en 2010, ou à Histoire du management, manuel publié chez Nathan en 2014 et auquel les trois directeurs de cet ouvrage ont contribué. Comme le souligne dans sa préface le professeur de sciences de gestion Bernard Colasse, spécialiste des recherches comptables, le caractère original du dictionnaire est à souligner en ce qu’il croise des regards permettant de mieux comprendre les débats contemporains relatifs à la comptabilité. Il ne s’agit plus d’une « pure technique, d’une neutralité axiologique absolue » mais bien d’un « instrument d’aide à la décision » dont il est primordial de saisir les enjeux de pouvoir qu’elle soulève.
3Les contributions collectées dans cet ouvrage agréable à lire, synthétique et pédagogique, alimentent en premier lieu les débats essentiels en sciences sociales sur la construction des données qui en fondent l’analyse. Les recherches convoquées dans ce dictionnaire montrent qu’au-delà d’une production des connaissances pratiques et utiles aux acteurs économiques, les études comptables ont, depuis quelques dizaines d’années, ouvert des champs d’analyse novateurs. On retrouve ainsi une problématique presque classique en épistémologie des sciences de gestion : la démonstration que les savoirs développés dans ce domaine ne sont pas uniquement techniques et à visée opérationnelle. La construction des normes comptables répond par exemple à des défis profondément liés aux périodes historiques qui les voient apparaître : les directives européennes sont indissociables du développement du marché unique, la juste valeur permet de mieux décrire la comptabilité d’entreprises opérant dans des marchés de capitaux mondialisés, etc.
4De même, quand des nouvelles problématiques apparaissent (par exemple, valoriser des secteurs économiques qui ont changé de fond en comble comme l’industrie ou l’agriculture), la comptabilité s’appuie sur des grands principes structurants pour décrire ces phénomènes. Ainsi les comptes de groupe, qui permettent d’analyser le regroupement de plusieurs entreprises, ont d’abord et avant tout visé à produire une meilleure information financière sur ces nouvelles structures. Ce qu’on a appelé la « consolidation » a finalement consisté à harmoniser des pratiques nationales. L’ouvrage décrit également les influences sensibles que connaissent les concepts comptables (découlant des principes issus de la comptabilité anglo-saxonne plus orientée vers les marchés de capitaux notamment) et leur impact en retour sur les pratiques des autres organisations (la comptabilité publique a été ainsi très nettement repensée sous le prisme de la comptabilité des entreprises avec la loi organique relative aux lois de finance qui introduit de nouvelles règles de valorisation du patrimoine public).
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5Le Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises est marqué par une grande ouverture vers les autres sciences sociales. Les contributions relèvent du droit, de l’économie, de la gestion mais aussi des sciences politiques et de la sociologie. C’est notamment ce croisement qui constitue la grande richesse de l’ouvrage : l’impact des règles comptables sur le management des entreprises ou l’influence évoquée plus haut sur le pilotage des politiques publiques sont bien décrits dans plusieurs entrées2. Comme l’indique Bernard Colasse dans sa préface, cela découle d’une démarche « critique » qui vise à étudier la comptabilité dans le contexte qui est propre avec chacun de ses développements, qui interagit sur les techniques et qui a des conséquences sociales. Parmi les contributions emblématiques de cette démarche on évoquera celles qui traitent de la comptabilité des corsaires, de la traite négrière ou du management domestique… Autant de domaines dans lesquels le principe d’une quantification et d’une comptabilisation de la richesse se sont imposés avec des spécificités liées aux activités menées.
6Parmi les quelques cent-soixante entrées du dictionnaire, réalisées par plus de quatre-vingt contributeurs, sont évoqués des évènements clés de l’histoire économique : de l’ordonnance de Colbert à la faillite d’Enron en passant par l’influence du Code de commerce de 1807 en France. Par ailleurs, on découvrira aussi l’organisation capitalistique des moulins occitans du XIIe au XIXe siècle, les éditeurs et libraires de la comptabilité au XIXe siècle ou la protection des créanciers en cas de faillite au XVIIIe siècle. Chaque contribution est accompagnée d’une bibliographie synthétique pour poursuivre et approfondir la thématique.
7C’est bien la variété des thématiques traitées dans ce dictionnaire qui en fait un livre remarquable. La description de l’organisation de la profession comptable, ou des études qui permettent de devenir professionnel du chiffre, croisent les nouvelles normes comptables internationales ou la description des politiques de dividende et des enjeux qui en découlent. Loin de viser l’exhaustivité ou de produire un système de pensée, le Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises ouvre des pistes d’analyse et de réflexion qui décrivent tout autant l’influence du capitalisme sur les outils de gestion que la place des techniques quantitatives sur les pratiques des entreprises.
Notas
1 A l’image de l’ouvrage Histoire et sciences de gestion coordonné par Ludovic Cailluet, Yannick Lemarchand et Marie-Emmanuelle Chessel, Magnard-Vuibert, 2013.
2 La partie consacrée à la Comptabilité analytique et au contrôle de gestion décrit bien ces liens entre management et principes comptables avec les méthodes de calcul de coût ou les tableaux de bord ; la partie Comptabilité privée/publique évoque l’influence de la comptabilité des organisations privées sur celles de l’État notamment.
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Referencia electrónica
Guillaume Arnould, « Didier Bensadon, Nicolas Praquin et Béatrice Touchelay (dir.) Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 20 septiembre 2016, consultado el 11 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/21386 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.21386
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